Qu’est-ce que la taxidermie ?
La taxidermie est un artisanat d’art qui consiste à donner aux animaux morts l’aspect qu’ils avaient de leur vivant. Cela implique de travailler leur peau pour redonner un aspect naturel aux spécimens. On dit qu’on "naturalise" un animal lorsqu’on reconstitue son anatomie selon une posture naturelle.
À quoi sert la taxidermie ?
À la croisée des arts et des sciences, la taxidermie a une portée assez étendue. Permettant l’étude, la conservation, la transmission, l’émerveillement, elle souligne la beauté animale, elle questionne et sensibilise sur la disparition de certaines espèces.
Garder une trace des animaux en danger
Face aux extinctions de plus en plus nombreuses, la taxidermie permet de maintenir une mémoire de certains animaux. Elle assure ainsi une permanence de leur souvenir à la vue des humains. En présentant au public des spécimens naturalisés, une trace des espèces extrêmement rares ou disparues (comme le thylacine) est conservée. Ces espèces pourront être contemplées et étudiées malgré leur disparition ou bien sans les retirer de leur milieu naturel.
Les visiteurs peuvent aussi se rendre compte de la matérialité de certains animaux qu’ils ne pourraient pas approcher d’aussi près, comme par exemple les lions, les éléphants ou encore les jaguars. Il s’agit là de représenter en taille réelle des animaux qui sont habituellement connus en seulement via des photos, et ainsi d’impressionner les visiteurs par leurs tailles, leurs formes et leurs expressions.
Pour se faire, les taxidermistes cherchent à redonner leur beauté aux spécimens sur lesquels ils travaillent afin d’émerveiller les publics. Ainsi, ils sensibilisent à la splendeur du monde animal ainsi qu’à sa fragilité et encouragent à œuvrer pour la préservation des animaux.
La taxidermie au service de l’illustration
Le Muséum national d’Histoire naturelle a une relation toute particulière avec la taxidermie : la plupart des spécimens présentés furent naturalisés pour des expositions se centrant autour du vivant. Les taxidermistes créent alors des pièces uniques en volume pour immortaliser des instants de prédation, de sommeil ou autres. Cela permet une restitution réaliste de grands et petits animaux que chacun peut admirer pour mieux se rendre compte de la réalité de scènes de vie.
La taxidermie, ce n’est pas du virtuel, une photo, ni une vidéo. Lorsque le public est face à une naturalisation, il se passe autre chose. Là, il se retrouve concrètement au plus proche de la matière organique d’un spécimen, de ses volumes, de ses teintes et ses spécificités, cette approche ne laisse jamais indifférent ! Dans les missions du Muséum, il y a "émerveiller", et cela fait partie des missions du taxidermiste. Même si rien ne pourra égaler la beauté du vivant, nous cherchons à restituer au mieux cette beauté animale, et ainsi à sensibiliser nos visiteurs. De plus, sans la naturalisation, nous n’aurions aucune trace de certains animaux, hormis quelques dessins ou squelettes.
Vincent Cuisset, taxidermiste au Muséum
Depuis quand existe la taxidermie ?
Préserver avant la taxidermie
Les Égyptiens étaient les précurseurs de la conservation avec la momification. Des procédés analogues ont aussi été observés en Asie, en Afrique subsaharienne et en Amérique précolombienne. Mais ces techniques sont quelque peu différentes : pour momifier on ne sépare pas intégralement la peau du reste du corps, tandis que pour naturaliser, oui.
Le terme généraliste de "naturalisation" était utilisé avant celui de "taxidermie", qui ne serait apparu seulement au début du XIXe siècle. Des auteurs anciens désignent d’ailleurs sous cette appellation la conservation de spécimens plongés dans des liquides à base d’éléments végétaux. Il s’agit le plus souvent de petits mammifères dont les membres armés de fils de fer leur permettent de tenir la pose dans des bocaux prévus à cet effet.
Un enjeu scientifique
Préserver les organismes pour les étudier, les décrire et les comparer a toujours été une volonté scientifique. Diverses techniques de conservation étaient ainsi utilisées : mise en alcool, dessication ou embaumement. Lorsqu’il s’agissait de fleurs ou de plantes, la méthode de l’herbier était utilisée pour conserver la forme du spécimen. Celle-ci a même été utilisée pour les poissons, mais n’offrait pas de résultat pérenne et esthétiquement présentable ! On comprend aisément qu’il était impossible d’utiliser toutes ces techniques pour des grands spécimens. Il fallait donc trouver une autre méthode de préservation. C’est ce qui a pu être fait au fil du temps et des découvertes techniques biologique et chimiques. En 1750, Jean-Baptiste Bécoeur (1718-1777), naturaliste ornithologue, introduit en France un répulsif pour insectes : le savon arsenical (camphre, arsenic en poudre, savon blanc, sel de tartre et chaux en poudre). Il se trouve que ce savon est décrit par Buffon comme une véritable révolution pour la conservation, car en effet les spécimens ne tenaient pas plus de 2 ou 3 ans sans s’abimer avant l’invention de ce savon. C’était un premier pas dans l’évolution des techniques de taxidermie.
Naissance de la naturalisation
Dérivée des techniques de momification, la taxidermie se développe en tant que telle entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Malheureusement, les méthodes de conservation n’étant alors pas encore parfaites, il reste très peu de travaux de cette période.
On trouve malgré tout en Italie un crocodile du Nil datant de 1530, ainsi que des chevaux entre la Hollande et l’Allemagne façonnés au XVIIe. Au Muséum, dans la Grande Galerie de l’Évolution, des animaux de l’ancien Cabinet du roi sont encore visibles. Autre pensionnaire remarquable, on peut y trouver le rhinocéros de Louis XV, naturalisé en 1793 !
Essor de la naturalisation
La pratique de naturalisation prend un véritable essor à partir du XIXe siècle, qu’elle soit utilisée en sciences ou en art, pour montrer la beauté du corps animal. En seulement deux siècles (XIXe et XXe), les taxidermistes du Muséum national d’Histoire naturelle ont naturalisé quelque 90 000 spécimens ! Les plus vieux d’entre eux datent en majorité de la période du Duc d’Orléans, à la fin du XIXe siècle. Une naturalisation très célèbre de cette époque est celle de "l’éléphante et la tigresse", notamment à cause de son histoire : enrôlé dans l’armée, Philippe d’Orléans est amené à tuer une tigresse dans les Indes anglaises pour se protéger. Souhaitant rendre hommage à ce splendide félin, il en fait réaliser une naturalisation qu’il lèguera au Muséum pour des raisons pédagogiques. Elle se trouve aujourd’hui dans la Grande Galerie de l’Évolution.
La mort est une étape de la vie, la suivante est la dégradation organique et la disparition du corps. Nous, les taxidermistes, on intervient juste à cette étape et on essaie d’empêcher la mort de terminer son travail, mais ce n’est pas une science exacte, c’est toujours compliqué, un combat jamais gagné à coup sûr.
Vincent Cuisset, taxidermiste au Muséum
Un peu d’étymologie !
Le terme de "taxidermie" vient du grec ancien "Τάξις" (taxis) qui signifie arranger, et organiser et "δερμα" (derma) la peau. On comprend bien ici le travail de tannage de la peau et d’arrangement esthétique de sa forme que sont amenés à faire les taxidermistes.
D’où viennent les animaux naturalisés du Muséum ?
Aucun animal naturalisé n’est tué pour la naturalisation ! Les animaux que préservent les taxidermistes sont souvent morts de causes naturelles en liberté, dans des réserves naturelles ou dans des zoos. Parfois, certains d’entre eux viennent de collisions lors d’accidents de voitures ou de braconnage, saisies par les douanes ou les agents de l’Office français de la biodiversité. Les associations de préservation des espèces sur le terrain choisissent souvent de conserver les corps de ces animaux dans des congélateurs, et proposent aux musées de les récupérer pour leur donner une seconde vie. Les seuls animaux qui ont été chassés et sont présentés aujourd’hui au Muséum sont ceux hérités des collections du Duc d’Orléans, datant de la fin du XIXe siècle.
La zoothèque du Muséum
Comment naturalise-t-on un animal ?
Conception d’un projet commun et croquis
Avant toute chose, les responsables d’une exposition et les taxidermistes se réunissent pour se mettre d’accord sur ce qu’ils veulent représenter. Les taxidermistes font des croquis, une petite sculpture ou une maquette pour donner une idée de ce qui serait envisageable aux responsables de l’exposition. Les taxidermistes s’inspirent de photos ou de vidéos d’observation de terrain pour étudier les scènes de vie animale telles qu’elles existent dans la nature, comprendre le comportement de leur spécimen et le retranscrire au mieux dans leur création.
Comme un cuisinier qui a ses propres recettes, chaque taxidermiste a ses techniques, ses matériaux, ses petits secrets de fabrications et à ses préférences de spécimens. Moi, j’ai une préférence à travailler les grands mammifères, je suis impressionné par leurs capacités physiques, leurs volumes, la puissance qu’ils dégagent et leur esthétique.
Vincent Cuisset, taxidermiste au Muséum
Dépouillage de l’animal et préservation de la peau
Après s’être mis d’accord sur un projet, la priorité est d’ôter la peau le plus tôt possible après la mort de l’animal, afin de la préserver de la dégradation. Pour les très grands spécimens, cela se fait en général sur le terrain, à l’endroit même où a eu lieu la mort dans des conditions souvent difficiles (chaleur, intempéries, etc).
Une fois la peau enlevée et mise en sécurité dans un congélateur, il faut prendre des photographies, faire des croquis anatomiques et prendre de mesures sur l’écorché de l’animal. On fait cela afin de ne pas perdre les repaires de ses mensurations, et surtout pouvoir recréer un spécimen le plus réaliste possible. Les taxidermistes mesurent ainsi les longueurs, les diamètres, les circonférences de chaque partie de l’animal, et le prennent en photo sous tous les profils. Certaines parties comme le crâne et sa dentition peuvent aussi être moulés en résine.
Création de la maquette
Grâce aux les mesures prises sur l’animal, le taxidermiste va créer une sculpture à l’échelle 1/10. Celle-ci lui permettra de vérifier qu’il n’a pas fait d’erreurs de mesures sur le terrain, mais aussi de présenter cette maquette aux commanditaires du projet pour valider la position en 3D de la future naturalisation.
Une fois le projet validé, le taxidermiste sculpte un mannequin à taille réelle dans la même position que la maquette. Il fait cette sculpture à l’aide de blocs de polystyrène de différentes densités pour reproduire le volume de chaque muscle, et de chaque partie du corps. Les membres sont également armés de tiges en acier inoxydable pour que cette structure porteuse soit solide. La peau est essayée une première fois et le mannequin rajusté jusqu’à ce que ses dimensions correspondent parfaitement à celles de la peau.
Une fois que les dimensions se valent parfaitement, le taxidermiste recouvre ce mannequin de fibre de verre et de résine pour le rigidifier et éviter que le polystyrène ne se dilate. Le spécimen sera ainsi conservé dans le temps malgré les changements de température et d’hygrométrie.
Montage de la peau sur le mannequin
Les spécialistes ont très peu de temps pour mener à bien cette étape. En effet, la peau sèche vite, et il faut la maintenir humidifiée pour continuer à pouvoir la travailler. On colle cette peau sur la coque de la sculpture, un jeu habile d’épingles se lance pour contraindre celle-ci à se maintenir en place et sécher convenablement, sans se déformer.
Sous surveillance, ce cuir va rétrécir et se tendre pendant trois à quatre semaines environ, selon son épaisseur, la température ambiante et la taille du spécimen. Pour les yeux, des reproductions réalistes en verre sont utilisées.
Finition
Lorsque la peau est complétement sèche, celle-ci est désormais figée et sa position ne peux plus être modifiée sous peine d’être cassée. Un effet collatéral de cette déshydratation est la disparition totale des teintes et des brillances des parties visibles de la peau. En somme, la peau se décolore et nécessite donc un travail sur le nez, les lèvres les paupières, l’intérieur des oreilles, les pattes, les sabots, la crête, les nageoires, les écailles, etc. Une dernière étape intervient : ce sont les "finitions". Il faut ainsi remaquiller à l’aide de peintures, de teintures, de cire et autres vernis les parties de peau décolorées, mais aussi retirer toutes les épingles, reboucher les trous qu’elles ont formés… Ensuite, les spécimens sont soufflés, dépoussiérés et nettoyés pour être présentables au public. Pour finir, ils sont fixés sur un socle ou une branche de présentation avant d’être placés dans l’exposition. Le spécimen est enfin prêt à être présenté aux visiteurs.
Qu’est-ce qu’on ne peut pas naturaliser ?
Certains animaux résistent à la naturalisation. Cela concerne surtout les animaux marins gélatineux, comme les céphalopodes ou les dauphins. En effet, leur peau ne peut pas être "tannée" ni cousue, ce qui rend impossible la pratique de la taxidermie traditionnelle pour arrêter la décomposition du corps.
Pour représenter ces animaux marins, trois solutions s’offrent aux taxidermistes :
- faire une sculpture en matière synthétique qui représente le spécimen ;
- si le spécimen est assez petit, le présenter dans un récipient où il baigne dans des liquides conservateurs. Cela peut être dans une flute, un bocal, un aquarium, le tout scellé hermétiquement ;
- très exceptionnellement, la technique de la plastination peux être utilisée. Il faut pour cela chasser tous les liquides hautement putrescibles (graisses, sang, eau) par la compression des chaires. Ensuite, il faut plonger le spécimen dans des bains successifs de divers alcools, à chaud et à froid. On injecte enfin un plastique spécifique dans la matière pour la préserver le plus possible. Durant ce processus, la peau perd beaucoup de pigments, il faut donc faire ensuite un gros travail de remise en couleurs et redonner un aspect mouillé au spécimen pour reproduire au mieux son aspect vivant.
Contrairement à la sculpture où l’on peut revenir autant de fois que l’on souhaite pour reprendre un volume, la taxidermie ne le permet pas. Lorsque qu’on en est à l’étape du montage de la peau sur le mannequin, il faut faire vite. En réhumidifiant, on arrive à retarder le temps de séchage de la peau pour pouvoir la travailler plus longtemps, mais c’est un jeu dangereux, car on risque de développer des moisissures qui vont dégrader la surface du cuir et faire soudainement tomber les poils. On risque donc de tout perdre. Dans tous les cas, on a moins d’une semaine pour tout finaliser. Ensuite, c’est trop tard. La peau est rigidifiée.
Vincent Cuisset, taxidermiste au Muséum
Wheke, le premier calmar géant conservé !
Wheke est un calmar géant venu de Nouvelle-Zélande qui se trouve aujourd’hui exposé dans la Grande Galerie de l’Évolution. Cette espèce des profondeurs est mystérieuse, rarement observée mais aussi mythique par les contes et légendes écrits à son sujet. Les calmars géants sont connus pour être les plus grands des céphalopodes ainsi que l’espèce qui possède l’œil le plus grand du règne animal. Wheke, quant à lui, est le premier au monde à avoir été conservé en volume par la technique de la plastination. Transporté dans du formol jusqu’au Muséum, le kraken de Paris fut plastiné pour permettre à tous les visiteurs de l’observer. Il a depuis été restauré dans les ateliers de taxidermie du Muséum.
L’éthique
Pour des raisons éthiques, il est évidemment interdit de naturaliser des humains. Ce serait une atteinte à la dignité corporelle.
Pourquoi ne dit-on plus empailler ?
On entend souvent le terme "empaillé" lorsqu’on parle d’animal naturalisé. Aujourd’hui, ce terme est considéré comme impropre, mais il tire son origine d’une vérité historique. En effet, les premières naturalisations ne se faisaient pas avec la précision actuelle, et les matériaux utilisés n’étaient pas les mêmes. Il était courant d’utiliser des feuilles, du foin ou encore des vieux journaux, mais aussi de la paille pour reproduire la forme du corps de l’animal naturalisé. On considère aujourd’hui que leur travail n’est souvent pas très réaliste, tenant plus d’une interprétation que d’un travail rigoureusement scientifique. Cela s’explique notamment par l’absence de vidéos ou de photos de l’animal qui guident aujourd’hui le travail des artisans. Par ailleurs, les produits et les matériaux utilisés aujourd’hui sont bien plus performants, ce qui aide à donner un rendu beaucoup plus naturel aux animaux, et évidemment, on n’utilise plus de paille !
D’autre part, le verbe "taxidermiser" n’existe pas. Un taxidermiste naturalise, fait une naturalisation, mais il n’existe pas de verbe à partir de ce terme.
Comment se conserve et s’entretient un animal naturalisé ?
De nombreux facteurs peuvent favoriser la dégradation d’un animal naturalisé. Parmi celles-ci, on note particulièrement :
- les mites, dermestes et anthrènes, qui se nourrissent des poils des plumes et des peaux ;
- les UV, lumières du Soleil et surtout de la Lune, car ils dégradent la pigmentation des poils (c’est la raison pour laquelle la Grande Galerie de l’Evolution se visite dans la pénombre et encore plus particulièrement dans la salle des espèces disparues où les spécimens sont d’une extrême rareté !) ;
- l’hygrométrie, car s’il fait trop humide les naturalisations moisissent, et s’il fait trop sec les cuirs se rétractent et se déchirent.
Ainsi, l’environnement doit être très maîtrisé et régulé pour conserver au mieux les spécimens naturalisés. Au Muséum, une veille sanitaire a lieu quotidiennement dans la Grande Galerie de l’Évolution pour s’assurer qu’il n’y a pas de dégradation sur les spécimens de l’exposition. Ils sont aussi régulièrement dépoussiérés à l’aide d’un chiffon ou d’un aspirateur spécial.
Restaurer des spécimens
Après avoir étudié les matériaux constitutifs d’animaux naturalisés (ce qui implique parfois de leur faire passer une radiographie), les taxidermistes peuvent se pencher sur la question de la restauration. Les retouches fréquentes concernent surtout le maquillage des animaux : c’est la "remise en couleurs". Avec le temps, il devient parfois nécessaire d’opérer un recollage de certains poils, tâche qui reste assez complexe.
Dossier rédigé en septembre 2023. Remerciements à Vincent Cuisset, taxidermiste au Muséum national d'Histoire naturelle, pour sa relecture et sa contribution.