Recherche scientifique

Les poissons d’eau douce seraient un marqueur des débuts de l’anthropocène

La répartition géographique des poissons d’eau douce a évolué lentement pendant des millions d’années. Puis les sociétés humaines ont massivement modifié cette distribution à partir du milieu du XXe siècle. C’est ce que démontre une récente étude menée par des chercheurs du Muséum. Elle soutiendrait ainsi l’avènement d’une nouvelle époque géologique modelée par l’activité humaine : l’anthropocène.

L’anthropocène provient des mots grecs anthropos (être humain) et kainos (nouveau). C’est le nom donné à une nouvelle époque géologique qui serait marquée par les activités humaines. Cette époque n’est pas encore reconnue par la Commission Internationale de Stratigraphie en charge d’établir l’échelle des temps géologiques standardisée. À l’heure actuelle, les scientifiques en débattent.

Les promoteurs de l’anthropocène s’interrogent également sur la date à laquelle cette époque aurait débuté. Certains avancent la colonisation américaine par les Européens ; d’autres, l’ère industrielle ; d’autres encore 1950…

Une récente étude sur la répartition géographique des poissons d’eau douce à laquelle a participé le Muséum national d’Histoire naturelle conforte la thèse d’une nouvelle époque géologique dessinée par les activités humaines et la ferait commencer au milieu du XXe siècle.

Altérations des régions biogéographiques de poissons d'eau douce

Les altérations des régions biogéographiques de poissons d'eau douce comme preuve de l'Anthropocène

© B. Leroy

Des introductions massives

Pendant des millions d’années, les poissons d’eau douce naissaient, vivaient et mouraient sur le même continent, dans la même région biogéographique. Du fait que les espèces ne peuvent franchir les océans et encore moins les montagnes, elles sont restées endémiques, c’est-à-dire propres à un certain endroit. Du moins, toutes l’étaient jusqu’à une période récente.

En effet, les chercheurs ont analysé les données relatives à plus de 11 000 espèces de poissons d’eau douce réparties dans le monde. Ils ont mis en lumière que près de 500 d’entre elles autrefois présentes exclusivement dans une seule région du monde s’ébattent désormais dans les eaux de plusieurs continents. C’est le cas de la carpe commune (Cyprinus carpio), du poisson rouge (Carassius auratus), du tilapia du Mozambique (Oreochromis mossambicus) ou encore de la perche truite (Micropterus salmoides).

Un marqueur de l’impact humain

En étudiant l’historique de la répartition géographique naturelle des espèces, les scientifiques ont d’abord identifié six régions naturelles apparues au fil de l’évolution de la Terre qui, pendant des millions d’années, ont abrité chacune des espèces très spécifiques : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique, Europe-Russie-Moyen-Orient, Asie et Océanie. Mais à partir de 1950, l’augmentation de la globalisation des échanges commerciaux a engendré des déplacements massifs d’espèces. À tel point que quatre anciennes régions et sous-régions forment aujourd’hui une seule « super région » réunissant des espèces communes. Il s’agit de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Asie dans sa grande majorité, d’une grande partie de l’Océanie et de la partie sud de l’Amérique du Sud.

Cette super région possède un groupe commun d’espèces introduites, qui constitueront les fossiles futurs. Cette modification d’ampleur du registre fossile – l’ensemble des fossiles existants, témoignant de l’histoire de la Terre – atteste de l’impact des activités humaines. Pour les scientifiques qui ont mené cette étude, elle est donc un indicateur clair marquant les débuts de l’anthropocène.

Référence scientifique

Leroy B, Bellard C, Dias MS, Hugueny B, Jézéquel C, Leprieur F, Oberdorff T, Robuchon M, Tedesco PA. In Press. Major shifts in biogeographic regions of freshwater fishes as evidence of the Anthropocene epoch. Science Advances doi:10.1126/sciadv.adi5502

Remerciements à Boris Leroy, maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 8067 Biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques) pour sa participation et sa relecture.