Recherche scientifique

Étudier la charpente de Notre-Dame pour connaître la météo médiévale

Catastrophe patrimoniale, l’incendie de Notre-Dame en 2019 permet aussi d’accroître nos connaissances : les débris de la célébrissime cathédrale sont autant de précieux témoins du passé !

Cette série suit le chantier scientifique de Notre-Dame, où bois carbonisés et pièces en métal révèlent leurs secrets. Pour ce premier épisode, on fait parler la charpente.

Notre-Dame est l’un des monuments français les plus célèbres au monde. Sa construction a commencé sous le règne de Louis VII, vers 1160 ; elle s’est étalée entre la fin du XIIe siècle, avec notamment la construction du chœur, et le début du XIIIe siècle, avec la construction de la nef puis de ses tours.

Connue aussi sous le nom de « forêt », sa charpente était composée d’un grand nombre de poutres en chêne. En réalité, ce n’est pas une charpente, mais plusieurs qui composent cette forêt. En effet, vers 1225, une partie de la cathédrale a été démantelée pour rehausser les fenêtres du haut. Puis, au cours de la grande restauration de Viollet-le-Duc au XIXe siècle, la flèche fut reconstruite ainsi qu’une partie des beffrois et la charpente des transepts.

Du 15 au 16 avril 2019, soit plus de 800 ans après son édification, la cathédrale brûle, une nuit durant, se réveillant dénuée de sa flèche, un trou béant à la place du toit.

D’abord considérés comme des débris, les vestiges de la cathédrale, notamment les poutres calcinées, ont été inventoriés et leur position dans la cathédrale enregistrée avant qu’ils soient évacués vers un entrepôt dédié. Les morceaux de bois, pour certains noircis en périphérie, pour d’autres, carbonisés à cœur, sont désormais accessibles aux chercheurs pour révéler leurs secrets. Une équipe de près de 70 chercheurs s’est regroupée pour les étudier sous toutes les coutures.

Ce que nous racontent les bois de la charpente, c’est un millénaire d’histoire partagée entre les hommes, la société et les forêts. Les arbres abattus pour construire la charpente détiennent par exemple dans leurs cernes un enregistrement de ce qu’était le climat quand ils ont poussé.

Ainsi, la destruction – déplorable – de la charpente de Notre-Dame offre une occasion unique d’accéder au climat du Moyen Âge en Île-de-France.

Quel temps faisait-il au Moyen Âge ?

Les chênes de la charpente de la nef et du chœur ont poussé au cours des XIe-XIIIe siècles, période concomitante à l’« optimum climatique médiéval » et pour laquelle il n’existe pas encore de données climatiques dans le nord de la France.

Dans les années 1990, une quarantaine de prélèvements par carottage (à la tarière de Pressler) ont été réalisés, mais les méthodes sont destructives et aucune autre étude n’aurait donc pu être entreprise depuis.

Cette phase de climat « optimal » correspond à une augmentation de la fréquence relative des épisodes chauds, principalement autour de l’Atlantique Nord, identifiée en 1965 par des documents historiques (littérature classique, registres administratifs et ecclésiastiques) et par l’étude de carottes de glace, de cernes et de rendements de récolte.

Aujourd’hui, cette période est appelée « anomalie climatique médiévale ». Ce terme, proposé par le chercheur nord-américain Scott Stine en 1994, nuance la première appellation : si cette période est bien caractérisée par des températures clémentes (de quelques dixièmes de degrés plus élevées que celles de 1960-1990) ou une plus grande aridité en Europe et d’autres parties du monde, elle ne s’est pas déroulée de façon synchrone et uniforme dans toutes ces régions, avec des zones vraisemblablement plus froides ou plus humides.

Températures moyennes globales depuis l’an 0.

© Ed Hawkins

En effet, le climat fluctue sous l’influence de facteurs externes au système climatique, aussi appelés « forçages » (intensité du rayonnement solaire, activité volcanique), mais aussi sous l’effet de sa propre dynamique. L’anomalie climatique médiévale est probablement due à une combinaison de ces causes de variations externes et internes.

Ces changements, par essence complexes, ont pu entraîner l’amplification ou l’atténuation de certains paramètres climatiques selon les régions, comme l’humidité relative ou la température.

Les cernes des arbres, ces archives naturelles

Nous ne disposons pas d’enregistrements météorologiques avant les périodes préindustrielles. Pour étudier le temps au temps des cathédrales, on utilise donc des enregistrements indirects, issus d’archives naturelles telles que les cernes du bois, les coraux, ou des carottes de glace ; puis il faut relier les observations de ces archives naturelles à des données climatiques instrumentales.

Ces dernières années, un certain nombre de reconstructions de température basées sur des archives naturelles comme les cernes d’arbres ont été réalisées. Mais les principaux épisodes climatiques au cours du dernier millénaire ne sont pas encore bien décrits, car il existe peu d’archives naturelles avec des résolutions temporelles très fines, à l’échelle de l’année ou du mois.

En étudiant les signaux climatiques enregistrés dans les cernes de croissance des chênes de Notre-Dame (largeur des cernes, densité du bois, composition isotopique de la cellulose), nous tentons de reconstituer les changements climatiques et environnementaux locaux et régionaux qui se sont produits pendant la croissance des arbres – cette discipline s’appelle la « dendroclimatologie ».

Ces études permettent aussi de mieux comprendre le chantier de construction de la cathédrale, les contextes social et économique de Paris, voire la croissance des chênes et des forêts dans leur cadre environnemental.

La croissance des chênes à la loupe

La largeur, la densité et la composition chimique et isotopique des cernes varient en fonction du climat. Les compositions isotopiques du carbone et de l’oxygène des cernes sont classiquement utilisés pour étudier l’évolution des climats passés, car ils ont été fixés lors de la saison de croissance. Ces compositions varient au cours des réactions métaboliques dans l’arbre et l’intensité des changements dépend des conditions environnementales et climatiques dans lesquelles s’effectue la croissance.

Par exemple, le carbone qui constitue la cellulose des arbres vient du CO2 de l’atmosphère. Il est assimilé au niveau des feuilles et intégré dans les sucres, qui vont eux-mêmes s’associer pour former des molécules de cellulose. Lors d’un été sec, l’arbre limite ses échanges gazeux pour ne pas se déshydrater, ce qui entraîne une augmentation du rapport isotopique du carbone des sucres, et par suite de la cellulose. Une valeur relativement élevée du rapport isotopique du carbone de la cellulose d’un cerne pourra donc indiquer que l’été pendant lequel l’arbre a formé ce cerne a été plutôt sec.

Selon l’espèce, la région et le milieu de croissance de l’arbre, les rapports isotopiques du carbone et de l’oxygène peuvent refléter la température atmosphérique, le stress hydrique, la quantité de précipitations ou encore la couverture nuageuse.

Comprendre comment le bois a brûlé

Coupe de bois de chêne archéologique, plus ou moins carbonisé en périphérie laissant apparaître les anneaux de croissance annuels.

© MNHN - A. Dufraisse

S’il est connu que la carbonisation modifie les propriétés physiques et chimiques du bois, on sait aussi que le degré d’altération de la matière varie en fonction du mode de combustion : la température, la durée du chauffage, la disponibilité de l’oxygène dans l’atmosphère, la forme et la taille de l’échantillon de bois, l’espèce et sa teneur en eau peuvent avoir un impact sur le processus de carbonisation.

Il est difficile de reproduire l’incendie d’une charpente en laboratoire, mais les processus de combustion et pyrolyse peuvent, eux, être reproduits et étudiés via des expériences.

Le développement récent d’outils analytiques pour caractériser l’intensité de carbonisation du bois brûlé pourrait permettre d’utiliser les isotopes du carbone et de l’oxygène des poutres calcinées de Notre-Dame – et plus généralement de charbons de bois – pour reconstruire le climat.

Par exemple, la méthode du « paléothermomètre Raman » permet d’estimer les températures maximales atteintes lors de l’incendie de Notre-Dame autour de 1 200°C. En dessous de 400°C, la méthode de spectroscopie infrarouge permet de sonder les différentes étapes de décomposition thermique des composants du bois.

Pour chacun de ces outils, une courbe de calibration entre température supposée atteinte et différence mesurée dans la signature isotopique du bois peut être réalisée expérimentalement à partir de bois brûlés. Ces calibrations vont nous permettre, dans les prochaines années, de « corriger » les valeurs isotopiques, et ainsi de remonter à la variabilité naturelle du climat lors du long chantier de construction de Notre-Dame.

Alexa Dufraisse, Directrice de recherche CNRS en archéobotanique, spécialisée en dendro-anthracologie et en anthraco-isotopie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) ; Diane du Boisgueheneuc, Doctorante en dendroclimatologie, Sorbonne Université ; Frédéric Delarue, Chargé de recherche CNRS, Sorbonne Université ; Valérie Daux, Professeure en Géosciences, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Lire le deuxième épisode de la série sur le site du Muséum.

The Conversation
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