Prolifération des cyanobactéries : l’eau sous surveillance
Micro-organismes photosynthétiques, les cyanobactéries sont présentes depuis près de trois milliards d’années sur la planète et contribuent à l’oxygénation de notre atmosphère. Depuis les années 1980, elles prolifèrent dans nos lacs, étangs et cours d’eau, un phénomène qui n’est pas sans risque pour la santé des écosystèmes et des êtres vivants qui en dépendent.
Du Lac Érié au Nord des États-Unis au Lac Victoria en Afrique de l’Ouest, les proliférations de cyanobactéries dans les milieux aquatiques sont de plus en plus fréquentes sur tous les continents.
Bien que toutes les cyanobactéries ne soient pas nocives, certaines produisent des toxines qui peuvent s’avérer dangereuses voire mortelles pour les êtres vivants. Chaque année en France, elles se développent dans les plans d’eau et les cours d’eau durant la période estivale, entraînant des cas d’intoxications d’animaux et la fermeture de zones de baignade.
Qui sont les cyanobactéries ? Quelles sont les causes de leurs proliférations et comment les maîtriser ? Faisons le point avec Catherine Quiblier, chercheuse au Muséum, dont l’expertise est sollicitée depuis vingt ans pour faire évoluer les mesures de surveillance du développement des cyanobactéries, de la toxicité de l’eau et tenter d’endiguer leurs proliférations.
Qui sont les cyanobactéries ?
Plus connues sous le nom d’algues bleues, les cyanobactéries (Cyanobacteriota ou cyanophycées) ne sont pourtant pas des algues mais des bactéries.
Comme les microalgues, ces micro-organismes peuvent faire partie du phytoplancton : ils se développent dans les milieux aquatiques et pratiquent la photosynthèse. C’est-à-dire qu’ils utilisent le dioxyde de carbone et l’énergie solaire pour former leur matière organique et libèrent de l’oxygène. Le phytoplancton produit plus de la moitié de l’oxygène de la planète, l’autre moitié étant issue des plantes.
Présentes sous toutes les latitudes, les cyanobactéries occupent les milieux d’eau douce comme les milieux marins. Avec un peu d’humidité, elles peuvent aussi se développer sur terre, à la surface des sols ou des roches, voire sur le sable, la neige et la glace.
Pour se développer, elles ont besoin de lumière, de nutriments (dont le phosphore et l’azote). Les températures les plus favorables à leur développement sont très variables en fonction des espèces, même si pour une majorité d’entre elles les températures optimales sont supérieures à 20°C. On les trouve ainsi toute l’année dans les climats tropicaux, et on les observe surtout durant la période estivale dans les climats tempérés.
Des bactéries aux origines de la vie
Les cyanobactéries sont présentes depuis environ 3 milliards d’années et comptent parmi les premiers organismes photosynthétiques : elles ont participé à l’oxygénation de l’océan et à la formation de l’atmosphère actuelle, nécessaire au développement de formes de vie plus complexes.
On trouve leur trace dans les plus anciens fossiles connus, les stromatolithes, de grandes structures minérales formées par le dépôt de tapis microbiens. Le plus ancien stromatolithe découvert date de 3,45 milliards d’années.
Cyanobactéries planctoniques ou benthiques
Il faut distinguer deux types de cyanobactéries, qui ont des stratégies de développement différentes :
- Les cyanobactéries planctoniques : elles vivent en suspension dans la masse d’eau, et se développent principalement en zones pélagiques, c’est-à-dire hors des zones de fond et des rivages. Selon les espèces, leurs proliférations peuvent être observées dans toute la couche d’eau chaude des plans d’eau ou seulement en surface.
- Les cyanobactéries benthiques : elles se développent sur les substrats présents au fond de l’eau (cailloux, sable, tiges et feuillage des végétaux aquatiques…). Associées à des bactéries et des microalgues, leur développement conduit à la formation de biofilms. Ces derniers vont s’épaissir de plus en plus (jusqu’à 1 à 2 cm), accumulant les bulles de l’oxygène produit. C'est ainsi qu'ils peuvent se détacher du substrat, remonter à la surface puis être transportés par le courant avant de s’échouer.
Comment reconnaître les cyanobactéries ?
Lacs, étangs, réservoirs et cours d’eau : c’est dans les milieux d’eau douce et en particulier les milieux lacustres où l’eau est la plus stagnante, que leurs proliférations sont les plus visibles. Voici les principaux indicateurs qui permettent de suspecter des proliférations de cyanobactéries :
- Un changement de la couleur de l’eau : le plus souvent, l’eau prend une teinte vert-bleue intense voire rouge dans des cas beaucoup plus rares, selon les espèces en cause.
- À la surface, cette couleur peut prendre différents aspects, telles que des couches plus ou moins épaisses à la texture mousseuse ou de type flaques d’encre, ou encore se présenter sous forme de plaques, biofilms flottants.
- Une odeur particulière : présentes en masse, les cyanobactéries peuvent être très odorantes. Il peut s’agir d’une odeur nauséabonde, proche de celle d’une cave humide.
Pourquoi parle-t-on d’algues bleues ?
Les cyanobactéries sont souvent qualifiées d’algues bleues en raison de leur pigmentation et de leur présence dans les milieux aquatiques. Ces bactéries contiennent des pigments photosynthétiques dont, en quantité importante, la phycocyanine de couleur bleue, et dans une moindre mesure, la phycoérythrine, d’une couleur rouge sang. Elles présentent aussi, à l’instar des algues, de la chlorophylle.
Les cyanobactéries sont-elles toxiques ?
Toutes les cyanobactéries ne produisent pas de toxines, mais la plupart des cyanobactéries qui prolifèrent sont susceptibles d’en produire.
À ce jour, on connait environ 2 000 espèces de cyanobactéries. Certaines sont d’ailleurs bénéfiques pour la santé et utilisées dans la composition de médicaments. Une des plus connues est la « spiruline » (cyanobactérie du genre Limnospira) employée comme complément alimentaire pour ses apports protéïques importants.
Certaines espèces de cyanobactéries peuvent produire des toxines (cyanobactéries toxinogènes). Pour l’essentiel, les toxines produites sont contenues dans les cellules et ne sont libérées dans l’eau qu’au moment de la mort cellulaire. Les intoxications résultent donc essentiellement de l’ingestion des cyanobactéries et des toxines qu’elles contiennent, à l’exemple des chiens qui peuvent s’intoxiquer en consommant les biofilms dans les rivières.
Les cyanobactéries : amies ou ennemies ?
Certaines toxines dangereuses pour l’organisme
Les toxines produites par les cyanobactéries toxinogènes sont classées en trois grandes catégories en fonction de leur cible et donc de leurs effets délétères pour les organismes. On distingue les hépatotoxines qui vont agir sur le foie, des neurotoxines qui vont agir sur le système nerveux et des dermatotoxines et toxines irritantes qui agissent sur la peau et les muqueuses. Certaines de ces toxines pourraient également avoir des effets reprotoxiques (toxiques pour la reproduction).
Les symptômes observés dépendront des toxines présentes. Démangeaisons, vomissements, diarrhées, etc., certains symptômes sont communs à de nombreuses pathologies, ce qui peut conduire à des confusions. D’autres tels que les tremblements et difficultés respiratoires ou l'hypersalivation survenant juste après une baignade sont de bons indicateurs d’une intoxication potentielle à une neurotoxine.
Les intoxications se font par l'ingestion d’eau contaminée au cours d’activités récréatives (baignade, activités nautiques…) ou au robinet si le traitement de l’eau est déficient, et la consommation de denrées animales ou végétales contaminées.
Pourquoi les cyanobactéries prolifèrent ?
Les principales causes de prolifération des cyanobactéries observées ces dernières années sont liées à des facteurs anthropiques, c’est-à-dire aux activités humaines : l’eutrophisation des milieux (augmentation de la quantité de nutriments disponibles) et les épisodes de chaleur et de sécheresse qui s’intensifient en raison du changement climatique. Selon le mode de développement des cyanobactéries, une cause peut prévaloir sur l’autre.
L'eutrophisation des milieux en cause
Le premier facteur de prolifération des cyanobactéries planctoniques est l’eutrophisation des plans d’eau (lacs, étangs, retenues de barrage...), c’est-à-dire des apports excessifs de nutriments dans l’eau, notamment en phosphore et dans une moindre mesure en azote. Ces nutriments proviennent en majorité des engrais agricoles, des eaux usées et de l’érosion des sols. Ils se déversent dans les milieux d’eau douce par des sources souvent combinées : ruissellement des eaux de pluie, rejet d’eaux usées non traitées ou insuffisamment traitées, déversoirs d’orage, etc.
Cette eutrophisation s’est accélérée depuis le XXe siècle, avec l’accroissement démographique et l’intensification des activités humaines. Elle est principalement liée à des modes de production de plus en plus polluants comme l’agriculture et l’élevage intensifs, ainsi que par une gestion déficiente des eaux usées.
Des épisodes de sécheresse qui s’accentuent
Au regard des connaissances actuelles, les changements climatiques semblent jouer un rôle majeur dans les proliférations de cyanobactéries benthiques qui surviennent dans les cours d’eau. Les épisodes de sécheresse prolongée et leur conséquence sur les débits des rivières créent des conditions favorables à leur prolifération.
Avec le réchauffement climatique, les périodes d’étiage commencent plus tôt et sont de plus en plus longues.
Catherine Quiblier, chercheuse au Muséum national d'Histoire naturelle
Ces périodes d’étiage correspondent aux périodes de l’année où le niveau de l’eau est au plus bas dans les cours d’eau. La lumière qui pénètre alors plus facilement jusqu’au fond des rivières et le courant moins rapide vont favoriser le développement de biofilms. Plus ces périodes d'étiages se prolongent, plus les biofilms ont le temps de se développer.
Algues vertes, algues bleues : mêmes causes, mêmes effets ?
Les « algues vertes » sont des macros algues, et plus précisément des ulves (ou laitue de mer). Comme les cyanobactéries planctoniques, elles prolifèrent en raison des rejets trop importants de nutriments dans l’eau. Néanmoins, les intoxications liées aux algues vertes, bien connues sur les plages bretonnes, ne sont pas dues à des toxines que produiraient les algues mais aux émanations d'un gaz (le sulfure d'hydrogène ou H2S) libéré lorsqu’elles se décomposent. Cette décomposition va produire des poches de gaz qui, lorsqu’elles sont rompues, provoquent un dégagement brutal d’H2S pouvant provoquer la mort des êtres vivants qui l’inhalent.
Quels sont les risques liés aux proliférations de cyanobactéries ?
Un risque pour les écosystèmes
Les proliférations de cyanobactéries mettent en danger la santé des écosystèmes et menacent la biodiversité. En se développant en masse, les cyanobactéries captent toute la lumière et ne permettent plus aux autres espèces de se développer correctement.
La situation s’aggrave lorsqu’elles ces cyanobactéries meurent : les autres bactéries qui se développent en nombre pour les décomposer, consomment tout l’oxygène de la masse d’eau. Cette désoxygénation du milieu (anoxie) peut provoquer une mort brutale d’autres organismes aquatiques. Un exemple connu est celui des morts soudaines de poissons, dans des milieux fermés comme les étangs ou plans d’eau.
Une recrudescence des cas d’intoxication
La multiplication des proliférations de cyanobactéries augmente les risques d’intoxication. En France, les cas les plus évidents liés à la mort rapide de chiens venus s’abreuver aux points d'eau étaient jusqu’à récemment circonscrits aux gorges du Tarn.
Mais depuis l’été 2017, on observe une recrudescence de ces proliférations de cyanobactéries benthiques un peu partout dans le pays. Notamment dans la Loire, le Cher et la Vienne.
Catherine Quiblier
Une toxicité accrue des cyanobactéries benthiques ? En France et dans beaucoup d’autres pays du monde, les cyanobactéries benthiques qui prolifèrent principalement en rivières sont des espèces susceptibles de produire des toxines, notamment des neurotoxines de la famille des anatoxines. Des quantités importantes de ces toxines peuvent être trouvées dans des biofilms flottant sur la rivière ou échoués sur ses rives.
Chez les humains, les cas d’intoxications mortels connus liés aux cyanobactéries sont rares. Dans le monde, le cas le plus spectaculaire est celui de l’intoxication de patients dialysés dans un hôpital brésilien en 1996. 50 patients étaient alors décédés. En France, il n’y a pas de cas d’intoxication humaine létale recensé à ce jour.
Y a-t-il un risque à consommer l’eau du robinet ?
En France, les systèmes de traitement de l’eau et les contrôles systématiques effectués par les ARS (Agences Régionales de Santé) permettent de s’assurer de l’absence de la contamination de l’eau destinée à la consommation humaine par les cyanotoxines.
Les chiens : premières victimes des cyanobactéries ?
Les animaux domestiques qui viennent s’abreuver sur des points d’eau où se développent des cyanobactéries sont très exposés, et en particulier les chiens. On ne sait pas aujourd’hui si les canidés sont plus sensibles aux cyanotoxines en raison de particularités physiologiques, ou si c’est la conséquence d’une appétence pour les biofilms et l’odeur qu’ils dégagent.
Enfin, en tant qu’animal de compagnie des humains, ils font l’objet d’une attention particulière et sont emmenés chez le vétérinaire en cas de problème, ce qui pourrait aussi expliquer que cette espèce soit surreprésentée parmi les victimes.
Si certains cas d’intoxication d’animaux d’élevage ont pu être rapportés, toute une faune plus discrète et sauvage est aussi susceptible d’être impactée mais nous manquons de données pour ces autres espèces.
Quelles sont les mesures de prévention et leurs limites ?
En France, durant la période estivale la plus à risque, la surveillance des zones de baignade est réalisée tout au long de l’été. Ces contrôles sont effectués par les Agences régionales de santé (ARS) et peuvent conduire à l’interdiction totale d’accès à la zone.
Combiner surveillance et vigilance
Il ne suffit pas d’identifier la présence de cyanobactéries pour en déduire qu’un milieu présente un risque toxique. La caractérisation du risque implique des protocoles longs.
Puisque la production de toxines n'est pas systématique, on ne peut pas se satisfaire de connaître la biomasse des cyanobactéries (l’évaluation de leur quantité) et les espèces présentes, on doit pratiquer aussi une recherche des toxines et une évaluation de leurs concentrations.
Catherine Quiblier
À l’échelle du territoire, la surveillance reste assez partielle puisqu’elle ne concerne que les plans d’eau et rivières utilisés pour la production d’eau potable ou pour des activités de baignade surveillées.
Pour reprendre l’exemple des Gorges du Tarn où les cyanobactéries sont suivies dans les zones de baignade, les personnes qui circulent en canoë peuvent rejoindre d’autres zones, qui ne font l’objet d’aucun contrôle, mais où peuvent s’accumuler des biofilms.
La surveillance de l’ensemble des rivières et plans d’eau français demanderait des moyens humains et financiers considérables qui ne peuvent être mobilisés.
Pour compléter ces suivis, il est donc nécessaire d’inciter les populations qui fréquentent les plans d’eau et rivières à plus de vigilance, notamment en les informant sur les risques auxquelles elles peuvent être exposées (affichage, distribution de flyers, etc.). Ces mesures relèvent de l’action des maires sur leurs communes et des Agences Régionales de Santé.
À l’échelle individuelle, en cas de suspicion de cyanobactéries dans un point d’eau, voici quelques mesures de précaution :
- éviter la baignade et les activités nautiques ;
- ne pas utiliser l’eau pour des activités telles que l’arrosage d’un potager ;
- ne pas consommer le poisson pêché ;
- empêcher les animaux domestiques d’accéder au point d’eau pour s’abreuver.
Une prévention qui évolue avec l'état des connaissances
Depuis une vingtaine d’années, la surveillance dans les milieux aquatiques ne concernait que les cyanobactéries planctoniques et une seule famille de toxines.
Le dernier rapport de l’Anses sur les cyanobactéries paru en 2020 a permis, entre autres, d’inclure de nouvelles mesures : quatre familles de toxines sont aujourd’hui intégrées dans le protocole d’évaluation et une surveillance des cyanobactéries benthiques est également recommandée.
Les cyanobactéries planctoniques et les toxines de la famille des microcystines qui sont souvent produites lors de leurs proliférations sont bien connues des scientifiques et elles ont fait l’objet de très nombreux travaux au cours des 25 dernières années. Au contraire, les cyanobactéries benthiques ont encore été relativement peu étudiées, certaines connaissances manquent également concernant les anatoxines qu’elles peuvent produire.
Catherine QuiblierFaute de connaissances suffisantes pour établir un seuil limite sur les concentrations tolérables dans l’eau, l’ANSES recommande que l’on ferme une zone de baignade dès que l’on détecte cette toxine.
Des inégalités selon les pays et les zones géographiques
Les proliférations des cyanobactéries dans les milieux d’eau douce touchent l’ensemble de la planète mais elles sont prises en compte de façons très différentes selon le niveau de développement économique des pays.
Presque tous les pays économiquement développés ont mis en place une surveillance des cyanobactéries et de leurs toxines en se basant sur les recommandations de l’OMS et/ou sur celles de leurs propres agences de santé. En revanche, dans les pays en développement à l’exemple de ceux de l’Afrique sub-saharienne, un projet de recherche international a montré qu’il n’y avait dans ces pays aucune surveillance des cyanobactéries dans les plans d’eau et aucune information sur cette problématique auprès des populations vivant sur leurs rives.
Ces plans d’eau hébergent pourtant très souvent des proliférations de cyanobactéries et ils sont utilisés pour de multiples usages (baignade pour les enfants, eau de boisson, eau pour la cuisine, la toilette corporelle, le lavage des vêtements…) qui multiplient les risques d’exposition des populations locales aux cyanotoxines.
Comment limiter les proliférations des cyanobactéries ?
Pour lutter durablement contre les proliférations des cyanobactéries, il est nécessaire d’agir à la source et donc de déployer des efforts sur le temps long pour limiter l’eutrophisation des plans d’eau, en mettant en place des mesures à toutes les échelles de gouvernance.
Concernant le phosphore, les mesures prises depuis plus de trente ans pour améliorer la gestion et le traitement des eaux usées, et plus récemment la suppression du phosphate dans les lessives, ont eu une réelle efficacité et se sont traduites par une diminution significative des concentrations en phosphore dans les lacs et les rivières de France. Elles demeurent cependant encore beaucoup trop élevées dans de nombreux écosystèmes en raison notamment d’apports provenant de l’agriculture et des stations d’épuration des eaux usées.
Concernant l’azote, la directive "Nitrates", une directive Européenne visant à limiter l’usage des engrais, n’a permis à ce jour, qu’une diminution très limitée des quantités d’azote dans les milieux aquatiques français. L’agriculture intensive est une des principales sources d’azote par la fertilisation des sols. Sans mesures gouvernementales vraiment contraignantes, il est difficile de motiver les agriculteurs à améliorer leurs pratiques pour limiter les fuites d’azote car ils ne se sentent pas forcément concernés par ces problèmes. En effet, lorsque les rejets suivent le cours d’une rivière sur plusieurs kilomètres ou polluent un milieu lacustre, le lien de cause à effet se perd.
Il est difficile de limiter une pratique dont on ne perçoit pas les effets néfastes à proximité.
Catherine Quiblier
Par ailleurs, toutes les mesures qui contribuent à réduire la production des gaz à effet de serre et le réchauffement climatique pourraient également à terme contribuer à lutter contre l’eutrophisation et les proliférations de cyanobactéries.
Il serait illusoire et dangereux de vouloir « se débarrasser » des cyanobactéries qui font partie intégrante du fonctionnement des écosystèmes aquatiques et s’y développent naturellement chaque année. Leur présence est normale et indispensable, seuls les épisodes de proliférations posent problème.
Agir à la source
En France, plusieurs lacs touchés par l’eutrophisation ont fait l’objet, avec succès, de restauration de la qualité de leurs eaux qui ont permis de faire disparaitre les proliférations de cyanobactéries.
Le lac de Viry-Châtillon : un cas d’école ?
Très eutrophisé dans les années 90, le lac de Viry-Châtillon connaissait des proliférations de cyanobactéries qui pouvaient durer toute l’année. En 2005, grâce à un important travail sur un déversoir d’orage identifié comme la principale source d’azote et de phosphore, les gestionnaires de ce plan d’eau sont parvenus à se débarrasser rapidement des proliférations de cyanobactéries.
Plus le milieu d’eau douce est vaste et profond, plus les sources de pollutions par l’azote et le phosphore sont diffuses et plus le processus de résilience peut être long.
Catherine Quiblier
Même en limitant les apports de nutriments dans l’eau, il faut plusieurs années pour que s’éliminent ceux qui sont déjà présents dans la masse d’eau.
Le lac du Bourget : une lente résilience de l’eau
Contrairement au lac de Viry-Châtillon, la taille du bassin versant du lac du Bourget était très grande et les sources de pollution multiples. Il a fallu bien plus de temps - 40 ans ! - pour que le lac retrouve des eaux oligotrophes, peu chargées en azote et phosphore. Ce lac connaissait chaque hiver des proliférations d’une espèce de cyanobactérie spécialisée dans l’occupation des lacs profonds. La restauration de la qualité des eaux débutée dans les années 80 a demandé des investissements considérables à l’exemple du creusement d’un tunnel sous une montagne pour que les eaux usées en sortie des stations d’épuration de trois villes (Aix-les-Bains, Chambéry et le Bourget du Lac) ne se déversent plus dans le lac et d’actions multiples de sensibilisation menées auprès du grand public, des collectivités locales, des industriels et des agriculteurs.
Pas de solution miracle
La lutte contre les proliférations de cyanobactéries est devenue l’objet d’un commerce très lucratif de solutions censées tuer ou empêcher leur développement. Ces solutions font appel à l’emploi de substances chimiques (sulfate de cuivre par exemple) ou de procédés physiques tels que les appareils à ultrasons. Beaucoup de ces solutions ont une efficacité très limitée, voire souvent inexistante, sur les cyanobactéries. Quelques-unes sont efficaces, à l’exemple de l’usage du sulfate de cuivre, mais elles sont également toxiques pour de nombreux autres organismes.
Ressources et références
- Actualisation de l’évaluation des risques liés à la présence de cyanobactéries et leurs toxines, avis de l’Anses, mai 2020. En 2016, à la demande de la Direction générale de la santé, l’ANSES lance un programme de mise à jour des connaissances sur les cyanobactéries, pour réévaluer les réglementations et inclure notamment de nouvelles toxines liées au bactéries benthiques. Le rapport rendu en 2020 est aujourd’hui appliqué par les Agences régionales de santé.
- Les écosystèmes d’eau douce – Eutrophisation et cyanobactéries, J.-F. Humbert et C. Quiblier
- Les cyanobactéries en question, ANSES
- La collection de cyanobactéries et de microalgues eucaryotes du Muséum. Cette collection compte plus de 1 889 souches et constituent la plus grande collection française de phytoplancton dulçaquicole.
Dossier rédigé en octobre 2023. Remerciements à Catherine Quiblier, professeure de l’Université Paris Cité et chercheuse au Muséum national d’Histoire naturelle dans l'équipe Cyanobactéries, Cyanotoxines et Environnement (UMR 7245 Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes), pour sa contribution et sa relecture.