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Dans les eaux de baignade, les cyanobactéries, amies ou ennemies ?

L’été 2022 a été le plus chaud enregistré en France depuis 1900. Et s’il vous est venu l’idée de vous rafraîchir en allant vous baigner dans un lac, une rivière ou une base de loisirs, vous en avez peut-être été empêché en raison d’une fermeture pour cause de prolifération de cyanobactéries, qui peuvent s’avérer toxiques pour notre santé ou celles de nos animaux. Mais qui sont ces cyanobactéries ? Quels problèmes posent-elles ? Sont-elles nos amies ou nos ennemies ?

Les cyanobactéries, ingénieures de la biosphère

Peut-être faut-il commencer par les présentations. Les cyanobactéries sont, comme leur nom l’indique, des bactéries microscopiques, de couleur bleu-vert.

Mais elles ne sont pas seulement des micro-organismes qui gâchent nos baignades ! Loin d’être de simples « nuisibles », ce sont avant tout les inventeuses de la photosynthèse oxygénique (qui utilise du CO2 et produit de l’O2, comme celle utilisée par les arbres). Elles sont donc à l’origine de toute la photosynthèse et de l’oxygénation de notre planète… sans lesquelles nous n’existerions pas. Rien que ça !

Petit retour en arrière. L’origine des cyanobactéries remonte aux temps très anciens de l’Archéen, entre 2,7 et 3,5 milliards d’années. À cette époque, d’autres bactéries utilisent déjà des machineries moléculaires appelées photosystèmes, capables de convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique, permettant leur croissance et leur multiplication. Grâce à ces photosystèmes, ces bactéries peuvent déjà convertir du carbone inorganique (comme le dioxyde de carbone atmosphérique) en molécules complexes nécessaires au vivant (comme les sucres, les lipides ou les acides nucléiques). 

Mais pour la première fois, les cyanobactéries vont associer deux photosystèmes distincts et complémentaires. Cela va leur permettre de réaliser une forme alors inédite de photosynthèse, particulièrement productive, qui produit comme « déchet » du dioxygène.

Grâce à cette productivité, le succès écologique des cyanobactéries est très rapide, et elles se développent très largement… transformant au passage toute la chimie de la biosphère.

Jusque-là, en effet, océans et atmosphère ne contenaient que très peu d’oxygène, et abritaient donc des micro-organismes anaérobies. Or, le développement de ces cyanobactéries pratiquant la photosynthèse oxygénique va produire beaucoup, beaucoup d’oxygène ! Cet oxygène s’accumule d’abord dans les océans puis, au cours du dernier milliard d’années écoulé, dans l’atmosphère.

Photo d'un lac d'Île-de-France montrant une efflorescence de cyanobactéries

Lorsqu'elles sont trop nombreuses, les cyanobactéries peuvent rendre les eaux des lacs impropres à la baignade. Ici, une efflorescence de cyanobactéries sur un lac d'Ile-de-France en août 2022

© S. Duperron

Mais ce n’est pas tout. Il y a environ un milliard d’années, les cyanobactéries sont entrées en symbiose avec une lignée d’organismes unicellulaires dotés d’un noyau. Elles ont ainsi donné naissance aux chloroplastes, des petits compartiments verts responsables de la photosynthèse présents dans les cellules des micro- et macro-algues, et des végétaux terrestres. 

Les cyanobactéries sont donc à l’origine de toute la photosynthèse et de l’oxygénation de notre planète ! Notre existence même en est une conséquence, d’une part puisque l’oxygène est indispensable à toute vie animale, et d’autre part puisque nous dépendons largement des plantes pour notre alimentation.

Les effets néfastes des cyanobactéries

Mais revenons au présent, et à nos cours d’eau ou nos lacs. Quand la température s’élève, la photosynthèse s’accélère. Si l’on ajoute à cela l’eutrophisation, c’est-à-dire l’enrichissement des eaux par des nutriments comme le phosphore ou l’azote de nos engrais, le résultat ne se fait pas attendre : les cyanobactéries prolifèrent. L’eau claire du lac devient une soupe verte ou rouge, selon les espèces… Une simple conséquence de leur redoutable efficacité !

Ces phénomènes sont connus depuis l’Antiquité, ou encore chez les Aztèques et les Mayas, dans certains plans d’eau douce tout comme dans les Océans. Cependant, le réchauffement climatique ainsi que l’augmentation des activités humaines (agriculture, rejet d’eaux usées insuffisamment traitées…) au cours des dernières décennies ont augmenté la fréquence et l’intensité de ces épisodes.

Or, ces proliférations de cyanobactéries sont néfastes pour la faune, la flore et la santé humaine.

Ainsi, même si la photosynthèse produit de l’oxygène, la biomasse de cyanobactéries produite lors des proliférations est rapidement dégradée par des bactéries qui vont consommer cet oxygène. Cela conduit in fine à l’anoxie des eaux (c’est-à-dire un manque d’oxygène) et à l’asphyxie des animaux, en particulier les poissons qui peuvent ainsi mourir brusquement.

D’autre part, certaines espèces de cyanobactéries (dites cyanobactéries toxinogènes) synthétisent de puissantes toxines, appelées cyanotoxines. Les plus préoccupantes pour la santé humaine sont les microcystines, les cylindrospermopsines, les anatoxines, les saxitoxines et les nodularines.

Après ingestion, contact ou inhalation, elles agissent sur différents organes comme le foie (effets hépatotoxiques), le système nerveux (effets neurotoxiques), les systèmes reproducteurs (effets reprotoxiques) ou les muqueuses (effets dermatotoxiques), avec des conséquences pouvant aller jusqu’à la mort. Des cas d’intoxications, dont celles mortelles de chiens, sont ainsi rapportés chaque année en période estivale.

En France, les cyanotoxines les plus fréquentes sont réglementées et régulièrement dosées dans les eaux de consommation et de loisirs. Lorsque les valeurs seuils de cyanobactéries toxinogènes ou de cyanotoxines sont dépassées, les autorités peuvent être amenées à limiter les activités voire fermer l’accès aux plans d’eau, ou limiter l’utilisation ou la consommation de l’eau.

Les cyanobactéries sont aussi des alliées pour la santé

Heureusement, toutes les cyanobactéries ne produisent pas de toxines, et elles ne produisent pas que des toxines. 

Elles sont en effet considérées comme des chimistes hors pair, produisant une grande diversité de molécules bioactives, dont certaines trouvent des applications dans le domaine de la santé. Dans une synthèse récente, notre équipe a ainsi recensé la production par les cyanobactéries de 10 classes de composés chimiques, présentant au moins 14 types d’activités potentiellement bénéfiques, et dont la plupart demeurent à explorer.

Parmi les exemples les plus emblématiques, la dolastatine 10 est à l’origine de la commercialisation d’un médicament anticancéreux (le brentuximab vedotin) utilisé dans le traitement du lymphome dans la maladie de Hodgkin.

La microalgue Limnospira fusiformis

La microalgue Limnospira fusiformis observée grâce à un microscope optique

© MNHN - C. Duval

Un autre exemple est celui de la cyanobactérie Limnospira (anciennement nommée Arthrospira) utilisée comme complément alimentaire depuis des siècles et commercialisée sous le nom générique de « Spiruline ». Cette cyanobactérie est riche en protéines, en minéraux, en vitamines et acides gras insaturés.

Avec plus de 1700 espèces connues et bien davantage encore restant à décrire, les cyanobactéries représentent donc une ressource importante pour l’innovation bioinspirée.

Les cyanobactéries, sentinelles avant tout

Il est probable que les proliférations de cyanobactéries soient encore fréquentes l’été prochain, et qu’elles nous priveront parfois d’activités nautiques, de pêche, ou de baignade. Plus grave, dans de nombreuses régions du monde, elles affectent directement les ressources en eau potable dont dépendent les populations.

Mais au-delà de leur impact sur nos activités, ces épisodes révèlent avant tout les déséquilibres et la mauvaise santé des écosystèmes aquatiques.

Fortement liée aux activités humaines qui contribuent à l’eutrophisation des eaux, l’augmentation des proliférations de cyanobactéries partout dans le monde doit nous interpeller sur les menaces qui pèsent sur la qualité de l’eau et la biodiversité, et soulignent à quel point le bien-être de l’humain est intimement lié à celui des écosystèmes aquatiques.

Sébastien Duperron, Professeur d'écotoxicologie microbienne, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN); Benjamin Marie, Research scientist, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Cécile Bernard, Professeure du Muséum national d'Histoire naturelle., Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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