L’évolution du vivant

Pourquoi une souris ressemble-t-elle à une autre souris ? Pourquoi le paon mâle a-t-il de belles plumes colorées ? Pourquoi est-il surprenant que la taupe européenne et la taupe marsupiale se ressemblent ? Pourquoi la tuberculose devient-elle résistante aux traitements antibiotiques ? Autant de questions auxquelles vous trouverez des réponses dans ce dossier sur l’évolution du vivant.

Lézard Podarcis siculus

Lézard Podarcis siculus

© H. Hillewaert / CC BY-SA 4.0

En 2004, sur l’îlot de Mrcaru en mer Adriatique, quelle ne fut pas la surprise des chercheurs qui venaient de reprendre l’étude d’une population de lézards de l’espèce Podarcis sicula interrompue par le conflit en ex-Yougoslavie ! Les descendants des 5 couples introduits originellement sur l’îlot étaient très différents de leurs ancêtres. En l’espace de 36 ans, ils avaient non-seulement conquis ce territoire, mais leur régime alimentaire, leur comportement, leur morphologie et l’anatomie de leur intestin avaient changé en comparaison de la population dont étaient issus les "lézards pionniers".

Leur tête était devenue plus large et plus longue permettant une morsure plus puissante. La part du végétal s’était accrue dans leur régime alimentaire. D’ailleurs, leur intestin présentait un nouvel organe : des valves cæcales permettant de mieux digérer la cellulose grâce à un processus de fermentation. Ces lézards n’étaient plus des animaux territoriaux comme l’étaient leurs ancêtres. Leur capacité à chasser s’était émoussée à la faveur d’un comportement de fouille.

Les générations successives de cette population avaient donc subi des modifications importantes favorisant un changement de régime alimentaire. Cette transformation rapide et impressionnante ne relève pourtant pas de la magie mais d’un processus aujourd’hui bien connu : l’évolution. Dans ce dossier, vous découvrirez les mécanismes à l’œuvre dans ces transformations.

Avec la Grande Galerie de l’Évolution, le Muséum national d’Histoire naturelle a été le premier à présenter ses collections dans le contexte de l’évolution. Une décision qui reflète la mission de diffusion des connaissances du Muséum : permettre une meilleure compréhension par le grand public du vivant et des dynamiques qui le régissent. Une mission complémentaire de celle de recherche sur l’évolution en cours au sein de l’institution.

Qu’est-ce que l’évolution ?

À l’heure où vous lisez ces lignes un crapaud gobe un insecte, un virus se glisse dans une cellule et en change le patrimoine génétique, un coquillage fait le tour de la planète accroché à un supertanker, une plaine humide est envahie par une crue, une femelle chimpanzé apprend à son petit à se servir d’une brindille pour attraper des termites. Autant d’événements piochés parmi des milliards d’autres qui, chacun à leur échelle, infléchissent le cheminement de l’évolution du vivant.

Le mot "évolution" revêt de nombreux sens en fonction du contexte dans lequel il est utilisé. Cette multitude conduit à bien des incompréhensions quand il s’agit d’aborder ce sujet dans le cadre du vivant. Quand nous parlerons ici d’évolution, c’est d’un processus et d’une théorie dont il sera question.

Un processus

Un processus de changement perpétuel auquel est soumis le vivant. Un processus qui n’admet pas de jugement de valeur, où aucune espèce n’est supérieure ou plus évoluée qu’une autre. Un processus dans lequel l’homme n’a pas une place à part. Un processus qui, partant de la variabilité des organismes, aboutit au foisonnement de la vie sur notre planète. Un processus qui produit aussi bien de la régularité que du changement. Un processus qui n’a jamais de fin, tant qu’il y a du vivant.

Fac-similé de l'ouvrage de Charles Darwin "L'origine des espèces"

 Fac-similé de l'ouvrage de Charles Darwin "L'origine des espèces" - Grande Galerie de l'Évolution

© C. Ficaja

Une théorie

Une théorie générale de la biologie, de la paléontologie et de l’anthropologie qui se nourrit de faits observés par les chercheurs et les relie entre eux pour comprendre l’évolution du vivant. Par le passé, de nombreuses théories ont voulu expliquer la multiplicité du vivant. Aujourd’hui, une seule est considérée comme valide : la théorie darwinienne de l’évolution.

Les principes essentiels qui la régissent ont été énoncés par Darwin en 1859 dans son livre De l’origine des espèces. Avec cette théorie, il tentait de répondre à plusieurs questions : pourquoi rencontre-t-on de la régularité à grande échelle chez les êtres vivants alors que le changement à petite échelle est permanent ? Pourquoi et comment certains changements à grande échelle se stabilisent-ils ? Sa réponse : par la sélection naturelle.

Cette théorie a ensuite été mise à l’épreuve par les avancées scientifiques faites depuis 150 ans avec, notamment, la découverte des gènes et de l’ADN, l’embryologie ou la construction de phylogénies. Malgré le bond incroyable fait par les sciences, le principe de la sélection naturelle reste aujourd’hui valide.

Pourquoi parle-t-on de théorie ?

On parle de théorie parce qu’il ne s’agit pas ici d’une explication figée ou définitive de l’évolution. Elle est la synthèse la plus cohérente possible qui a pu être déduite des faits observés et des connaissances scientifiques actuelles. Il reste cependant des questions en suspens, des fragilités. Cette théorie sera toujours améliorable et évoluera au fil des recherches, des questionnements et des découvertes, même si les principaux axes qui l’étayent ont prouvé leur solidité.

L’évolution aujourd’hui

Guillaume Lecointre avec un poisson téléostéen

Guillaume Lecointre avec un poisson téléostéen lors de l'exploration Mers Australes en 2007-2008

© MNHN

Interview avec Guillaume Lecointre

Chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle, il travaille en systématique, c’est-à-dire en sciences des classifications. Son métier consiste à retrouver les degrés relatifs d’apparentement entre les espèces. Il construit des classifications en s’appuyant sur l’anatomie et la comparaison des gènes. Guillaume Lecointre est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de l’évolution.

Pourriez-vous nous parler de votre travail de chercheur ?

Ma spécialité zoologique concerne les téléostéens c’est-à-dire les poissons osseux modernes, qui composent 55 % des espèces de vertébrés connus (31 000 espèces). Mon terrain de zoologiste se trouve dans les eaux marines antarctiques, où les téléostéens sont adaptés à des températures très froides. C’est la raison pour laquelle ils sont intéressants : leur température interne peut descendre en dessous du point de congélation ! Ils ont des protéines anti-gel dans le sang. Notre équipe se rend en Antarctique (Terre Adélie) tous les ans pour y travailler sur la faune marine.

Quels sont les enjeux liés à l’évolution aujourd’hui ?

L’évolution est la théorie générale de la biologie, de la paléontologie et de l’anthropologie. Pourtant, elle n’est pas encore complètement intégrée par certaines sous-disciplines qui devraient le faire. La médecine, par exemple, relève de la biologie. Mais elle a mis beaucoup de temps à comprendre le corps humain à la lumière du principe de variation-sélection appliqué aux cellules d’un même corps, et même au génome. La biologie moléculaire a eu, quant à elle, beaucoup de mal à se sortir de notions incompatibles avec l’évolution. Elle voyait les interactions biologiques, génétiques et biochimiques comme s’il s’agissait d’un "programme" ou d’un "mécano". Ces approches sont considérées aujourd’hui comme erronées. On explique beaucoup mieux les réalités moléculaires et biochimiques révélées par les nouvelles technologies par le principe de variation-sélection qu’à partir d’un "programme".

Reste-t-il des découvertes à faire en évolution ?

Bien entendu. Le monde des micro-organismes nous révèle des modalités d’échanges génétiques très éloignées de ce que l’on trouve chez les organismes de grande taille. Leur évolution générale ne prend pas la forme d’un arbre d’apparentement classique où le génome est hérité des parents. Nous découvrons chez eux des êtres mosaïques dont le génome est constitué en partie de gènes acquis auprès d’autres organismes (virus, bactéries, etc.).

La conception que l’on a des rapports entre la "culture" et la "nature" change aussi. La sélection culturelle est à l’œuvre. Elle rétro-sélectionne les gènes des humains d’aujourd’hui, si bien que la séparation nature-culture devient ténue, voire caduque.

La sélection naturelle explique autant la stabilité des structures du vivant que leur changement. On considère aujourd’hui que ce mécanisme du changement s’applique aussi bien à l’individu qu’à l’espèce.

Si je comprends bien vous me dites qu’aujourd’hui on applique la théorie de l’évolution à tous les niveaux du vivant. Est-ce ce que l’on entend quand il est question d’approche darwinienne du cancer ?

Le cancer est une croissance cellulaire qui n’est plus coordonnée avec le reste de l’organisme. Lorsqu’on tentait de l’appréhender avec la notion de "programme", il s’agissait de trouver des "gènes du cancer" pour comprendre la maladie. Or, le couple variation-sélection au cœur du corps somatique permet de réinterpréter ce phénomène, comme un processus de variation extrême des cellules tumorales suivies. Une sélection qui dérape vers le maintien de cellules cancéreuses très résistantes à l’origine des rechutes. Les solutions thérapeutiques envisagées en sont complètement bouleversées.

Pourquoi est-il important de comprendre l’évolution même quand on n’est pas chercheur ?

Comprendre l’évolution, c’est comprendre l’histoire et la dynamique de la biosphère. Mais pas seulement : en comprenant l’évolution, nous nous donnons les moyens d’envisager comment la biodiversité pourrait réagir aux modifications accrues que nous imposons à l’environnement physique et biologique. Bref, comprendre l’évolution, c’est se donner les moyens de protéger efficacement la biodiversité.

C’est aussi nous relier à la biodiversité en comprenant l’humanité au travers de nos origines. Les occidentaux ont une culture qui les coupe du monde animal et de leur environnement en général. Il faut favoriser une compréhension de l’homme qui l’intègre complètement dans la Nature.

Les mécanismes de l’évolution

Prenons une souris domestique (Mus musculus). Que voyons-nous ? Deux petites oreilles rondes, de grands yeux noirs luisants, un poil court et soyeux, quatre petites pattes griffues, un museau pointu… Prenons une seconde souris domestique. Qu’observons-nous ? Deux petites oreilles rondes, de grands yeux noirs luisants, quatre petites pattes griffues, un museau pointu… Ces deux individus sont semblables et pourtant ils ne sont pas identiques. C’est là que réside l’une des clés de l’évolution.

L’évolution est source de changement mais aussi de régularité. Elle est la raison pour laquelle une souris ressemble à une souris mais que chacune d’entre elles est différente.

L’évolution repose sur la combinaison de plusieurs mécanismes : la variabilité, l’héritabilité, la dérive, la sélection, l’adaptation et la spéciation. Ils affectent les individus et les populations. Ils permettent la complexité du vivant.

Le hasard et la sélection

Comment expliquer l’évolution ? Le hasard et la sélection. Guillaume Lecointre écrit à ce sujet : "Si l'on s'autorise une métaphore, le hasard des mutations ou de toute autre source de variation est le carburant de l'évolution. La sélection, sorte de tamis très étroit, est le moteur de l'évolution."

Le hasard assure le foisonnement du vivant produisant une infinité de variations différentes, puis l’environnement fait le tri : c’est la sélection naturelle. Ces deux mouvements expliquent la diversité du vivant, la capacité des populations à s'adapter au changement, mais aussi la stabilité que l'on constate au sein d'une population adaptée à son milieu.

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Le hasard dans la théorie de l'évolution expliqué par Pierre-Henri Gouyon, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle. Extrait du livre audio L'Évolution par Pierre-Henri Gouyon.

© Éditions De Vive Voix, 2014

La variabilité et l’héritabilité

Pourquoi chaque souris est-elle différente de sa voisine ? Pourquoi le taureau Charolais pèse-t-il plus d’une tonne et demi quand la vache Highland est petite et laineuse ? Pourquoi ressemblons-nous à nos parents ?

La variabilité

C’est Darwin qui a compris le premier l’importance jouée par la variabilité entre individus dans l’évolution. Il a su reconnaître que ces variations sont le fruit du hasard. Elles n’apparaissent pas pour les besoins du porteur. Prenons l’exemple du cristallin chez l’homme. La forme du cristallin peut varier suivant les personnes, entraînant une vue plus ou moins bonne qui peut nécessiter le port de lunettes.

Un changement total de perspective par rapport à la doctrine, notamment développée par Lamarck, qui soutenait que l’individu s’adaptait forcément à son milieu puisque les variations étaient forgées par leurs efforts. Pour Darwin, les individus varient et c’est la population qui s’adapte.

Les variations s’observent au niveau de la morphologie et du comportement de l’individu. Elles sont en grande partie inscrites dans son patrimoine génétique. Parmi ces nouveaux traits, certains seront avantageux pour l’individu, d’autres auront un effet neutre, enfin certains le désavantageront. Ici, le hasard est à l’œuvre.

Une question se pose alors : si la variation intervient au niveau de l’individu pourquoi ne se limite-t-elle pas à celui-ci ? C’est là qu’intervient l’héritabilité.

Taureau Charolais primé au Salon de l'Agriculture

Taureau Charolais primé au Salon de l'Agriculture de Paris en 2010

CC BY-SA 4.0 forum www.concoursvaches.fr

L’héritabilité

L’hérédité est le phénomène qui permet la transmission des caractères des parents à leur descendance. À ce stade, le hasard est encore à l’œuvre. Il détermine, comme dans une immense loterie, quels traits seront passés à la génération suivante. Ces traits ont alors la propriété d’héritabilité.

L’existence de l’héritabilité a été reconnue bien avant que l’on ne connaisse les mécanismes biologiques de l’hérédité sur lesquels elle repose. Très tôt, les éleveurs ont observé que leurs animaux transmettaient leurs qualités et leurs défauts à leurs petits. Ils ont alors commencé à sélectionner des reproducteurs en fonction de leurs qualités. C’est ainsi que les taureaux Charolais, une race élevée pour la viande, peuvent peser 1,5 tonnes. Quand les vaches Highland sont petites, protégées par une couche de graisse sous la peau et laineuse pour tirer le meilleur parti des terres pauvres, froides et marécageuses de l’Écosse.

Pendant longtemps, les sciences de l’évolution ont eu une approche restrictive de l’héritabilité, limitant la transmission au patrimoine génétique du ou des parents. Mais cette vision a évolué depuis une quinzaine d’années, à commencer par la reconnaissance de la transmission épigénétique. Ce n’est pas anodin, puisque l’épigénétique conditionne l’état de lecture des gènes et leur héritabilité. Cet état de lecture est, d’ailleurs, influencé par l’histoire de l’individu et son environnement. L’épigénétique permet d’expliquer pourquoi de vrais jumeaux, au patrimoine génétique initial identique, ont des traits physiques et biologiques différents.

Outre l’épigénétique, on reconnaît aujourd’hui la transmission culturelle par l’apprentissage, mais aussi la transmission de comportements, de langues, de techniques et de pratiques alimentaires. Certaines études actuelles tendent même à montrer qu’il existe une héritabilité de la musique.

Le champ de ces transmissions influence fortement le choix des partenaires sexuels, et donc la structure génétique des populations.

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L'épigénétique expliqué par Pierre-Henri Gouyon, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle. Extrait du livre audio L'Évolution par Pierre-Henri Gouyon.

© Éditions De Vive Voix, 2014

Dérive et sélection naturelle, moteurs de la stabilité et du changement

Nous connaissons le rôle joué par le hasard dans les traits exprimés par un individu et la manière dont ces traits peuvent se retrouver à la génération suivante. Face à cette diversité, comment peut-on expliquer l’existence d’une certaine stabilité au sein des populations ?

La dérive

La dérive décrit une fluctuation aléatoire de la transmission d’un trait de caractère à une descendance plus ou moins nombreuse. Il peut s’agir par exemple des aléas de la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule lors de la reproduction sexuée, sachant que chaque spermatozoïde et chaque ovule sont génétiquement uniques. Dans une grande population, elle explique les fluctuations aveugles de la fréquence d’un trait d’une génération à l’autre, d’où le terme de "dérive". Dans une population limitée, elle peut expliquer que des traits considérés comme neutres, parce qu’ils n’apportent pas d’avantage sélectif, finissent par hasard au cours des générations par atteindre l’ensemble de la population.

Poisson téléostéen Chionodraco hamatus

Poisson téléostéen Chionodraco hamatus dont le sang ne gèle pas.

© E. Le Guilloux

La sélection naturelle

Avec la sélection naturelle, certains caractères héritables peuvent se diffuser au sein d’une population quand ils apportent un avantage à ceux qui les portent en termes de nombre de descendants. Au contraire, ils disparaîtront de la population s’ils constituent un désavantage. Les variations de ces caractères sont filtrées par les contraintes chimiques, physiques, biologiques du milieu.

Nous pouvons prendre comme exemple certains poissons téléostéens vivant dans les eaux marines de l’Antarctique. Ils présentent, dans leur tube digestif, une enzyme habituellement trouvée dans le pancréas qui empêche les liquides de geler. Exprimées dans le foie, ces enzymes se retrouvent dans le sang des poissons. Par conséquent, ils peuvent survivre dans une eau à la température proche de -1,8°C. Si par une mutation de son génome, l’un de ces poissons ne sécrétait pas cette enzyme, sa vie serait de courte durée : il gèlerait ! Il n’aurait probablement pas l’occasion d’avoir une descendance. La conservation des protéines anti-gel chez ces animaux est le fruit de la sélection naturelle.

Les modalités de la sélection naturelle

Pourquoi la grenouille de dard de poison est-elle bleu vif ? Pourquoi les lycaons nourrissent-ils leurs petits et ceux des autres membres de la meute sans distinction ?

La sélection naturelle se mesure au nombre de descendants que produit une variation. S’ils sont héritables, les traits qui auront le plus de chances d’être représentés à la génération suivante sont ceux qui permettent de :

  • capter des ressources : c’est l’aptitude qui est souvent la plus connue. Elle peut être illustrée par le combat que se livrent des grizzlis (Ursus arctos horribilis) pour avoir accès à une rivière poissonneuse et constituer les réserves de graisse qui leur permettront de passer l’hiver.
  • échapper à ses prédateurs : le cheval (Equus caballus) fait preuve de rapidité et d’endurance pour pouvoir fuir ses prédateurs. Le phasme feuille de Java (Phyllium bioculatum) et le phasme bâton (Carausius morosus) se confondent avec les plantes qu’ils habitent. La grenouille de dard de poison (Dendrobates azureus) arbore des couleurs éclatantes pour prévenir les prédateurs du poison qu’elle sécrète.
  • attirer le sexe opposé : être capable d’avoir des descendants, c’est d’abord avoir accès au sexe opposé. L’exemple le plus connu est la magnifique queue du paon (Pavo cristatus) mâle qui lui accorde les faveurs des femelles mais le rend vulnérable aux prédateurs.
  • tirer parti d’une association entre espèces : ce peut être une relation symbiotique, par exemple, les mycorhizes qui se forment entre les racines des plantes et les champignons, ou de parasitisme qui est l’un des phénomènes les plus répandus du vivant.
  • tirer parti d’associations au sein même de l’espèce : pour Darwin c’est là que se trouve l’origine de la coopération, de l’entraide, et même de la compassion. Chez les lycaons, les adultes se relaient pour aller à la chasse. À leur retour les chasseurs régurgitent leur butin pour leurs petits et ceux des autres indifféremment, ainsi que pour les "baby-sitters".
  • générer de la variation : multipliant ainsi les chances d’une population de s’adapter à son environnement en augmentant le nombre d’"essais-erreurs". C’est le phénomène constaté avec les "mauvaises herbes" qui deviennent résistantes aux pesticides.

La compétition et la coopération

Comme vous pouvez le constater, la sélection naturelle produit de la compétition mais aussi de la coopération. Cette première relation est souvent mise en avant quand on parle d’évolution. Cependant la coopération a joué un rôle déterminant au cours de l’évolution du vivant. En témoigne le microbiote que nous abritons dans notre système digestif. Les 100 000 milliards de micro-organismes (bactéries, levures, virus), qui le constituent, assurent en partie notre survie en tant qu’individus.

Grizzlis se battant pour avoir accès aux poissons d'une rivière

CC BY-SA 3.0 B. Inaglory

Cheval de Przewalski rustique, rapide et endurant

CC BY-SA 2.0 L. Hirlimann

Phasme qui se confond avec la plante qu'il habite

© MNHN - J.-M. Baufle

Grenouille dard de poison qui affiche sa toxicité par sa couleur bleu vif

© MNHN - C. Hano
Avec sa queue le paon mâle impressionne les femelles de son espèce

Avec sa queue le paon mâle impressionne les femelles de son espèce

© MNHN - C. Lemzaouda
Mycorhizes de mycélium de champignon (blanc)

Mycorhizes de mycélium de champignon (blanc) associé à des racines (brunes)

© A.-Ph. D. Picard / CC BY-SA 3.0

Lycaon tenant un morceau de viande dans sa gueule

© S. Moghe / CC BY-SA 3.0

L’adaptation

La forme de notre bassin est-elle adaptée ? Un caractère peut-il être à la fois adapté et inadapté ? Pourquoi la taupe commune et la taupe marsupiale se ressemblent-elles ?

L’adaptation est la stabilisation d’une ou plusieurs variations favorables dans la population. Ce n’est pas un processus figé. Les traits favorables un temps peuvent devenir défavorables quand le milieu change.

Notre bassin a la forme contrainte des bipèdes de notre lignée. Il y a 4 millions d’années, cette forme a permis la bipédie permanente, mais son ouverture était limitée en partie inférieure. Comme les bébés des australopithèques avaient de petites têtes, cela ne posait pas de problème. Seulement, voici un million d’années, les primates de notre lignée ont manifesté une augmentation spectaculaire du volume de la tête. La forme de notre bassin n’a, elle, pas changé. Il ne peut pas s’ouvrir plus, et nous sommes aujourd’hui l’une des espèces de mammifères chez laquelle l’accouchement est le plus difficile.

Plus une population offre de diversité en son sein, plus elle aura de capacité à s’adapter au changement. On le constate notamment avec la résistance bactérienne. Ainsi la tuberculose, une maladie traitée grâce aux antibiotiques, présente aujourd’hui des souches résistantes aux traitements.

L’adaptation, résultat de compromis sélectifs

La sélection naturelle ne mène pas à la perfection mais à des compromis qui permettent à une population d’être adaptée à un milieu à un moment précis. Ainsi certains traits peuvent se révéler avantageux d’un certain point de vue et désavantageux d’un autre : la queue du paon mâle l’avantage vis-à-vis des femelles mais le désavantage vis-à-vis des prédateurs.

La drépanocytose (ou anémie à cellule falciforme) est une maladie héréditaire qui affecte l’hémoglobine des êtres humains (Homo sapiens). Elle peut provoquer une anémie chronique et des douleurs articulaires. Il y a encore peu de temps cette maladie pouvait se révéler mortelle. Nous pourrions donc nous demander la raison pour laquelle entre 10 et 40 % de la population serait porteuse de ce gène en Afrique équatoriale. La réponse est adaptative, les personnes porteuses de cette variation sont protégées contre les effets du paludisme, une affection parasitaire très répandue dans cette région. Voilà un autre exemple de trait désavantageux qui devient, localement, partiellement avantageux.

La convergence

En matière d’adaptation, l’habit ne fait pas toujours le moine. La convergence est un phénomène adaptatif qui peut parfois prêter à confusion. Comparez une taupe commune (Talpa europaea) à qui de nombreux jardiniers français vouent une guerre sans merci, et une taupe marsupiale (Notoryctes typhlops) qui creuse ses galeries en Australie. En observant, leur cécité, leur absence d’oreille, leur corps plat et allongé et leurs puissantes pattes griffues, vous jureriez qu’elles occupent une place voisine sur le grand arbre du vivant. Pourtant la taupe commune est plus apparentée au hérisson qu’à la taupe marsupiale, qui elle, est proche du kangourou. Leur morphologie a convergé vers une "forme taupe" adaptée aux contraintes sélectives liées à leur vie de fouisseuse souterraine.

La spéciation

Le concept d’espèce est-il pertinent dans le contexte de l’évolution ? Quelle est la différence entre une espèce et une population ? Quand sommes-nous face à une nouvelle espèce ?

Population ou espèce

Quand on parle d’évolution, il est souvent question de population : un ensemble d’individus qui échangent leurs gènes et partagent des caractéristiques qui permettent de les regrouper. Ce terme est plus volontiers utilisé que celui d’espèce. En effet, comme le constatait déjà Darwin, la dénomination d’espèce reflète plus un besoin de classification de l’homme qu’une réalité scientifique. La réalité du vivant est beaucoup plus changeante et floue. Elle s’accorde mal avec une classification rigide. L’espèce caractérise un ensemble de populations reproductivement séparées d’autres populations, lesquelles sont alors désignées par un autre nom d’espèce.

À ce titre, la spéciation - ou apparition de nouvelles espèces - peut être considérée comme un effet poussé de la variation. La spéciation intervient quand un groupe d’individus se scinde en sous-groupes qui n’ont plus d’échanges. Des raisons géographiques ou des changements de comportement peuvent en être la cause. Les populations divergent alors sous les effets de la dérive et de la sélection naturelle jusqu’au moment où, trop différentes, elles ne peuvent plus se reproduire entre groupes.

Un exemple de spéciation sur une durée réduite

Un exemple frappant est celui des 6 espèces de souris rencontrées sur l’île de Madère. Les souris sont arrivées sur l’archipel en deux vagues. Il y a mille ans à bord de drakkars vikings, puis en plus grand nombre il y a 500 ans avec les colons portugais. L’île volcanique présente un relief tourmenté et les souris ne sont pas montagnardes. Elles se sont ainsi retrouvées divisées en 6 populations isolées vivant dans les vallées. La dérive a fait son œuvre et des analyses récentes de leurs caryotypes ont montré que, si la souris domestique continentale présente 40 paires de chromosomes, les populations de souris trouvées sur Madère présentent entre 22 et 30 paires de chromosomes. Leurs chromosomes ont fusionné au cours du temps et ces changements se sont stabilisés dans les populations. Les hybrides qui naissent entre les 6 groupes sont stériles. Ici, la spéciation est intervenue sur un laps de temps très court.

Biodiversité et évolution

Pour beaucoup, la biodiversité est l’état actuel de la diversité du vivant. Une vision figée dans laquelle on croise quelques espèces ou écosystèmes emblématiques qui devraient être conservés à tous prix. Pourtant la biodiversité est un concept complexe et dynamique.

La biodiversité englobe l’ensemble du vivant dans l’infinité de ses variations et de ses interactions, des individus aux écosystèmes, en passant par les populations et les espèces. Mais c’est aussi un équilibre dynamique entre extinction et divergence qui permet le foisonnement de la vie et son adaptation sur notre planète.

L’évolution est le moteur de la biodiversité. L’extinction des espèces est un phénomène naturel de cet équilibre dynamique. Elle est compensée par la divergence qui permet l’apparition de nouvelles populations mieux adaptées à leur milieu, lequel sera tôt ou tard amené à changer.

L’intégralité du vivant présent aujourd’hui sur notre planète est le fruit de cet équilibre dynamique à l’œuvre depuis l’apparition de la vie. Génération après génération, le vivant se réinvente, créant de la biodiversité.

C’est ce que montre le célèbre schéma de l’arbre du vivant présenté par Darwin dans De L’origine des espèces. À chaque génération, ou à chaque tranche de temps, symbolisées par les lignes horizontales, le vivant produit des rameaux. Certains survivront sur une ou plusieurs générations, d’autres pas.

L’arbre du vivant tel que représenté par Darwin dans son livre "De l’origine des espèces"

La biodiversité en danger

Ce qui change aujourd’hui, c’est la relation dynamique entre extinction et divergence. Les populations s’éteignent à un rythme soutenu à cause des changements environnementaux radicaux et rapides subis par les écosystèmes. Elles n’ont pas le temps de s’adapter à ces changements. À cette limitation par le temps s’ajoute celle de la diversité. En effet, les habitats sont de plus en plus morcelés. Les échanges entre populations sont donc limités, ainsi que le nombre d’individus sur un territoire, compromettant la variété et le brassage indispensables à l’évolution.

Quand il est question de "protection de la biodiversité", il peut être décidé de protéger certaines espèces ou certains écosystèmes, mais ces efforts se révéleront inutiles si l’équilibre dynamique n’est pas préservé. Certaines politiques environnementales adressent cet enjeu particulier. Le Réseau Natura 2000, qui représente 18,36 % du territoire européen et 12,60 % du territoire français, ou de la Trame verte et bleue tentent d’instaurer une continuité écologique sur le territoire. Leur objectif est d’éviter l’isolement des populations et de créer des zones favorables à la biodiversité sans pour autant en exclure l’activité humaine.

Cette carte représente l'étendue du réseau Natura 2000 en Europe en 2012

© European Environment Agency

L’importance de la biodiversité : la banane en exemple

La banane (Musa) Cavendish représente 45 % de la production mondiale de ce fruit. Son commerce est dominé par 5 grands groupes internationaux. Elle peut être récoltée encore verte, se conserve bien et a une forme parfaite. La banane que vous achetez au supermarché ou chez votre primeur est très probablement issue de cette variété. Or les plantations présentent très peu de diversité génétique puisque les bananiers sont obtenus presque exclusivement par clonage.

Pour comprendre ce que cette hégémonie et cette homogénéité impliquent, nous pouvons nous pencher sur le destin funeste de la variété de banane qui a dominé le marché mondial avant la Cavendish. À la fin du XIXe siècle, le développement des transports maritimes et ferroviaires a autorisé la banane Gros Michel à être diffusée partout dans le monde. Mais, au début du XXe siècle, des plants de cette variété ont été contaminés par un champignon fatal aux bananiers, le Fusarium oxysporum f. sp. cubense aussi connu sous le nom de maladie de Panama. L’épidémie s’est propagée autour du globe jusqu’à un effondrement de la production mondiale de banane dans les années soixante. Rien n’a pu être fait pour l’enrayer, la pauvreté de la diversité génétique de cette variété l’a rendue particulièrement vulnérable à la maladie. Elle a empêché l’émergence d’une population de bananiers résistants. Aujourd’hui, on cultive les bananes Gros Michel que sur quelques îles et en Afrique sur des plantations qui n’ont jamais été contaminées.

En 2008, des chercheurs ont découvert que des bananiers Cavendish de Sumatra et de Malaisie avaient été infectés par le même champignon. L’histoire se répétera-t-elle ?

Une question s’impose : que se passerait-il si une épidémie de cette ampleur frappait la production de maïs, de riz, de soja ou de blé ? Nous savons que la mécanisation de l’agriculture et les attentes des consommateurs ont entraîné une uniformisation de la production agricole à grande échelle. Cette uniformisation est allée de pair avec un appauvrissement de la biodiversité agricole, rendant la production de nos aliments vulnérables aux maladies, aux ravageurs et aux conséquences du changement climatique.

Pourtant tout n’est pas perdu. Reprenons l’exemple de la banane. On estime qu’elle a été domestiquée il y a plus de 6 000 ans en Papouasie-Nouvelle-Guinée ; puis elle s’est diffusée rapidement dans toutes les régions dont le climat permettait sa culture. Il existe aujourd’hui environ 1 000 variétés de bananes dans le monde dont plus de 300 cultivars de bananes dessert (les bananes sucrées). C’est probablement au sein de cette biodiversité, issue de l’évolution et du travail de sélection effectué par les fermiers, qu’est inscrite la survie de la banane.

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Le bananier est l'une des espèces qui a pu souffrir d'un manque de biodiversité -

CC BY-SA 3.0 Dickelbers

Ce dossier a été rédigé en décembre 2014 par Pauline Briand, journaliste indépendante. Il prolonge, sur internet, la mission de diffusion des connaissances du Muséum en présentant succinctement l’état actuel des connaissances. Tous nos remerciements à Guillaume Lecointre, directeur du département de recherche Systématique et Évolution du Muséum, pour sa précieuse relecture.

Livres de références utilisés pour le dossier

  • L’évolution, question d’actualité ?, par Guillaume Lecointre, Éditions Quae & MNHN, 2014
    Guide critique de l’évolution, par Corinne Fortin, Gérard Guillot, Guillaume Lecointre et Marie-Laure Le Louarn-Bonnet, Éditions Belin, 2009
  • Les mondes darwiniens, par Thomas Heams, Philippe Huneman, Guillaume Lecointre et Marc Silberstein (éditeurs), Matériologiques.com, seconde édition, 2011

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