Le déclin des insectes met en péril le vivant

Diagnostiqué il y a près de vingt ans, le déclin des insectes s’accélère dans l’indifférence générale, mettant en péril de nombreuses espèces. Nous pouvons encore agir pour l'arrêter.

Les chiffres sont sans appel : les populations d’insectes ont diminué de 70 à 80 % dans les paysages européens mixtes agro-industriels, comme le montrent de nombreuses études menées durant ces dix dernières années.

Pourtant, malgré les signalements de la communauté scientifique, le déclin des insectes est encore négligé voire douté dans la société. Force est de constater que les insectes ne suscitent pas le même intérêt que les grands mammifères ou les arbres. Trop souvent perçus comme indésirables, les insectes sont rarement la cible d’actions de préservation.

Mis à part l’abeille domestique prisée pour son miel, on méconnaît le rôle essentiel des insectes qui sont pourtant des maillons clés de la bonne santé des écosystèmes.

On méconnaît aussi la diversité de  cette grande famille apparue il y a 400 millions d’années et qui représente 80% des espèces animales. Nous pensons surtout aux espèces jugées nuisibles, que nous trouvons toujours trop abondantes dans notre environnement.

Faisons le point sur les causes et les conséquences de ce déclin avec Philippe Grandcolas, écologue et systématicien à l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (UMR 7205).

Le déclin des insectes, un phénomène nouveau ?

Collection d'insectes - Harmas de Fabre

Collection d'insectes - Harmas de Fabre

© MNHN - A. Iatzoura

Depuis une vingtaine d’années, les scientifiques alertent sur le déclin des insectes qui est maintenant très largement documenté.

Le déclin des insectes fait partie du déclin global de la biodiversité, avec plus d’un million d’espèces menacées d’extinction à brève échéance, selon le dernier rapport de l’IPBES. Le début de cette crise d’extinction représente un des enjeux majeurs pour les humains, aux côtés du changement climatique.

Le rythme de cette sixième extinction est beaucoup plus rapide que les cinq grandes crises de la biodiversité que la Terre a déjà connu pendant les temps géologiques. Dans cette « nouvelle ère », l’anthropocène, l’humain devient le principale moteur de changement sur la planète.

 

Comment savons-nous que les insectes sont en déclin ?

Impacts d'insectes sur un pare-brise

Impacts d'insectes sur un pare-brise

© Colby - stock.adobe.com

Avec plus d’un million d’espèces d’insectes répertoriées dans le monde, ce déclin est plus difficile à mesurer que chez les vertébrés. Les chercheurs doivent s’appuyer sur l'échantillonnage de nombreuses populations, son analyse statistique et croiser les résultats d’études variées.
Sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité, les études convergent toutes vers le même constat : une diminution de la diversité des espèces et de leurs populations au fil des années.

Plusieurs études réalisées sur des périodes de l’ordre de la décennie ont confirmé l’effondrement des populations d’insectes. Une des méthodes consiste à installer des piégeages dans un lieu donné, ce qui permet d’y inventorier les insectes capturés à intervalles réguliers durant plusieurs années. On évalue l’abondance (le nombre d’individus), la richesse (le nombre d’espèces) et la biomasse (le poids).

Le déclin des insectes s’observe aussi au quotidien, ne serait-ce qu’à l’échelle des automobilistes qui constatent depuis plusieurs années la diminution des impacts d’insectes sur leurs pare-brises. Cette tendance a d’ailleurs été confirmée par une étude participative menée en Allemagne à partir d’un large panel de conducteurs ainsi qu’au Royaume Uni.

Pourtant, n’observe-t-on pas plus d’insectes qu’avant ?

Frelon asiatique au corps jaune et noir.

Le frelon asiatique (Vespa velutina) : une espèce exotique envahissante en métropole

© Wirestock - stock.adobe.com

Certaines espèces prolifèrent localement mais ce n’est pas synonyme de biodiversité pour autant ! Il faut distinguer l’abondance, le nombre d’individus au sein d’une même espèce, de la diversité des espèces. Ce n’est donc pas qu’une simple question de quantité mais de qualité.

À l’échelle de l’hexagone, on recense plus de 40 000 espèces d’insectes dont 5 000 participent à la pollinisation. Les espèces dites « spécialistes » semblent plus touchées que les généralistes dans certains cas.

Quelques espèces peuvent ainsi momentanément pulluler alors que la plupart sont en déclin. De manière globale, les indicateurs de diversité et d’abondance sont en baisse même si, à la marge, certaines espèces généralistes ou des espèces invasives, peuvent localement gagner du terrain.

Généralistes V spécialistes

Les espèces spécialistes dépendent d’un habitat restreint et de ressources spécifiques. Les espèces généralistes peuvent s'adapter à une plus grande variété de milieux et de sources de nourriture, à l’instar des espèces exotiques envahissantes.

Quelles sont les principales causes du déclin des insectes ?

Les populations d’insectes auraient commencé à diminuer avec les débuts de l’agriculture intensive et le développement des pesticides. L’utilisation d’intrants (tels que les pesticides, insecticides, antifongiques etc.) afin d’améliorer le rendement des cultures est une des principales causes de mortalité chez ces espèces.

Les néonicotinoïdes sont les pesticides les plus répandus dans le monde. Ces substances dites “systémiques” sont surtout appliquées par enrobage de la semence et se propagent dans toute la plante, avec des répercussions potentiellement dramatiques d’autant que l’enrobage de la graine contamine les sols et peut voyager par lessivage.

Photo d'un tracteur rejetant des aérosols sur un champ

Tracteur diffusant des engrais sur un champ de maïs

© marritch - stock.adobe.com

Plus largement, on peut faire ressortir plusieurs causes majeures de la perte de biodiversité tant animale que végétale, et qui englobe donc les insectes.

  • La perte et la fragmentation des habitats naturels : sous la pression des activités anthropiques, les espèces voient leurs zones d’habitat naturel de plus en plus réduit, voire détruit. Certaines doivent se déplacer sans garantie de trouver les ressources nécessaires à leur survie ; d’autres doivent tenter de se reproduire dans des environnements devenus hostiles.
  • La pollution : le déclin des insectes est accéléré par l’usage des pesticides, insecticides et herbicides, aussi connus sous le nom de « produits phytosanitaires » qui n’éliminent pas uniquement antagonistes des cultures mais toute une diversité d’espèces. Des herbicides comme le glyphosate éradiquent les plantes sauvages et notamment la flore adventice (coquelicots, liseron, etc.). Ces « mauvaises herbes » qui poussent spontanément sont des ressources complémentaires pour les pollinisateurs ou d’autres insectes auxiliaires. Le Glyphosate nuit aussi à la flore microbienne associée aux insectes auxiliaires. Tous ces produits se retrouvent tout au long des chaînes alimentaires, polluent les sols et les cours d’eau et nuisent à la santé des humains vivant à proximité. Avec d’autres polluants chimiques, ils font partie des perturbateurs endocriniens à l’origine de troubles et de malformations. Les insectes sont aussi impactés par l’urbanisation qui génère des pollutions lumineuse et sonore.
  • Le changement climatique entraîne des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les mégas feux, qui peuvent causer le décès ou le déplacement en masse de populations d’insectes. Leurs ressources peuvent aussi se raréfier en raison des décalages de plus en plus fréquents entre les périodes de floraison et les périodes de butinage. Enfin, leurs populations peuvent être directement impactées par des sécheresses trop prolongées.
  • Les espèces invasives : les insectes sont aussi menacés par les espèces exotiques envahissantes qui sont de plus en plus nombreuses en raison du changement climatique et de la mondialisation des échanges. Elles accaparent le territoire et les ressources des espèces locales, voire les agressent. Il arrive aussi que certaines espèces soient volontairement introduites pour lutter contre des ravageurs, telle que la coccinelle asiatique, avec pour effet collatéral de nuire aux espèces endémiques.

On voit donc que ce déclin multicausal est directement lié aux activités humaines.

Quelles sont les conséquences du déclin des insectes ?

Pollinisation des pommiers

La pollinisation des pommiers est principalement entomophile, c'est-à-dire réalisée par les insectes.

© Parallel_dream - stock.adobe.com

Les insectes sont à l’origine de la plupart des chaînes alimentaires et de la reproduction de la majorité des végétaux de notre planète. Qu’il s’agisse de la pollinisation, des proies qu’ils constituent pour de nombreuses espèces animales, ou encore de leur fonction de recycleurs, les insectes sont présents « à tous les étages ».

Se questionner sur l’impact du déclin des insectes sur la biodiversité revient à rappeler le rôle essentiel de ces invertébrés au sein des écosystèmes.

  • Les insectes contribuent à 90% de la reproduction des plantes à fleurs, indispensables à notre survie : cette pollinisation dite entomophile est un des vecteurs les plus efficaces de reproduction des plantes, devant la pollinisation par le vent (anémophile). Elle favorise le brassage des espèces (pollinisation croisée), indispensable au maintien d’une diversité génétique.
  • Les insectes sont à la base de nombreuses chaînes alimentaires : les insectivores sont nombreux et notamment les oiseaux, dont 60% d’entre eux dépendent des insectes pour se nourrir.
  • Les insectes contribuent à nourrir l’humanité : ils pollinisent environ un tiers des cultures destinées à notre alimentation. La consommation d’insectes, très nutritive et dont l'élevage en masse présente un plus faible coût environnemental, pourrait aussi se généraliser dans le futur.
  • Les insectes contribuent à recycler les matières organiques (bois, feuilles, fèces…), en particulier les coléoptères qui représentent un tiers des insectes.

La diminution des insectes a donc des conséquences en chaîne et touche de façon plus ou moins directe l’ensemble du vivant.

Que faire pour protéger les insectes à mon échelle ?

Sortie Spipoll - Vigie-Nature - sciences participatives

Sortie Spipoll - Vigie-Nature - sciences participatives

© MNHN - O. Ricci
  • Éviter les insecticides pour vos fleurs, jardins ou potagers.
  • Soutenir une agriculture agroécologique, respectueuse des sols et des écosystèmes qu’elle abrite, notamment en consommant des produits « bio » de circuits cours.
  • Utiliser des semences d’espèces indigènes et locales, en s’appuyant par exemple sur Végétal local, une marque collective de l’Office français de la biodiversité.
  • Aménager nos balcons ou jardins pour qu’ils puissent accueillir la biodiversité : disperser des graines de plantes sauvages, laisser des parcelles de terrain en jachère, ne pas brûler les feuilles mortes, construire des hôtels à insectes pour la nidification et l’hivernage etc.
  • Faire découvrir aux enfants les insectes et les mettre le plus possible en contact avec la nature. Vous pouvez aussi vous aider de l’application mobile INPN Espèces pour mieux connaître la faune et la flore autour de chez vous.
  • Participer à la science : rejoignez un programme de sciences participatives de Vigie-Nature, photographiez les insectes pollinisateurs avec le programme Spipoll.

Ne pas céder à l’amnésie environnementale

Les générations se succèdent et oublient souvent l’évolution et les changements de leur environnement. Le référentiel se décale, on ne reconnaît plus certaines espèces, et l’on ne sait même pas que certaines sont en déclin ou que d’autres ont disparu.

Sensibiliser à la connaissance de la biodiversité est une étape indispensable à toute action de préservation. D’autant plus qu’il nous reste tant d’espèces à découvrir !

Conférence " Insectes, un déclin silencieux "

© MNHN

Repères

2021, Avis de l’Académie des sciences sur le déclin des insectes. Plusieurs scientifiques alertent sur l’urgence de freiner le déclin des insectes et rappellent les risques majeurs qu’il fait porter aux écosystèmes. Jactel, H., Imler, J.L., Lambrechts, L., Failloux, A.B., Lebreton J.D., Le Maho, Y., Duplessy, J.C ., Cossart, P. & Grandcolas, P. (2021). Le déclin des insectes : il est urgent d’agir ; Insect decline: immediate action is needed. Comptes Rendus Biologies

2021, Déclin des insectes à l’Anthropocène [revue PNAS] - Insect decline in the Anthropocene: Death by a thousand cuts David L. Wagner, Eliza M. Grames, Matthew L. Forister, May R. Berenbaum, and David Stopak

2019, Le déclin des arthropodes dans les prairies et les forêts est associé à des facteurs au niveau du paysage [Revue Nature] - S. Seibold, M. M. Gossner, N. K. Simons, N. Blüthgen, J. Müller, D. Ambarlı, K. E. Linsenmair, “Arthropod decline in grasslands and forests is associated with landscape-level drivers”, Nature 574 (2019), no. 7780, p. 671-674.

2019, Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère [rapport historique de l’IPBES - Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques] C’est l’évaluation la plus exhaustive réalisée sur le déclin de la biodiversité au cours des cinq dernières décennies et qui estime qu’1 million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction.

2019, Déclin mondial de l'entomofaune [revue ScienceDirect] L’étude révèle que le taux majeur de déclin des insectes pourrait entraîner l'extinction de 40 % des espèces d'insectes dans le monde au cours des prochaines décennies. Francisco Sánchez-Bayo, Kris A.G. Wyckhuys, Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers, Biological Conservation, Volume 232, 2019, Pages 8-27, ISSN 0006-3207

2017, Diminution de plus de 75 % sur 27 ans de la biomasse totale d'insectes volants dans les aires protégées [revue Plos One] Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, et al. (2017) More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLOS ONE 12(10): e0185809.

2016, rapport d’évaluation de l’IPBES sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire - Le rapport pointe, entre autres, “que les pollinisateurs sauvages ont diminué en termes de présence et de diversité (et d’abondance pour certaines espèces) aux échelles locale et régionale, en Europe du Nord-Ouest et en Amérique du Nord”.

2016, Impacts de l'utilisation des néonicotinoïdes sur les changements de population à long terme chez les abeilles sauvages en Angleterre [revue Nature communications] L’étude montre des preuves d'une augmentation des taux d'extinction de la population en réponse à l'utilisation du traitement des semences aux néonicotinoïdes sur le colza. Woodcock, B., Isaac, N., Bullock, J. et al. Impacts of neonicotinoid use on long-term population changes in wild bees in England. Nat Commun 7, 12459 (2016).

2016, La communauté des papillons évolue sur deux siècles [revue Nature] L’étude a analysé l’évolution d’une communauté de papillons sur deux siècles et constate que le nombre d’espèces a considérablement décliné. La proportion d’espèces spécialistes a diminué tandis que celle des espèces généralistes a augmenté. Habel, J.C., Segerer, A., Ulrich, W., Torchyk, O., Weisser, W.W. and Schmitt, T. (2016), Butterfly community shifts over two centuries. Conservation Biology, 30: 754-762.

2013, L'indicateur européen des papillons des prairies : 1990-2011 [revue EEA Technical Reports] L’étude menée dans 19 pays d'Europe montre que depuis 1990 jusqu'en 2011, les populations de papillons ont diminué de presque 50 %, indiquant une perte dramatique de la biodiversité des prairies. van Swaay, C., van Strien, A., Harpke, A., Fontaine, B., Stefanescu, C., Roy, D., ... & Warren, M. (2013). The European grassland butterfly indicator: 1990–2011. EEA Technical Reports, 11.

2010, Déclin mondial des pollinisateurs : tendances, impacts et moteurs [revue ScienceDirect] L’étude décrit la nature et l'étendue des déclins signalés, les facteurs potentiels de perte de pollinisateurs et leurs conséquences écologiques et économiques. Simon G. Potts, Jacobus C. Biesmeijer, Claire Kremen, Peter Neumann, Oliver Schweiger, William E. Kunin, Global pollinator declines: trends, impacts and drivers. Trends in Ecology & Evolution, Volume 25, Issue 6,2010

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