Prairies franciliennes : un écosystème à préserver
Les prairies naturelles représentent encore près de la moitié de la surface agricole française, mais, soumises à de fortes pressions anthropiques, elles voient leur biodiversité s’amoindrir. Des études scientifiques montrent pourtant qu’il est urgent de préserver cet écosystème et les équipes du Museum conduisent des recherches en Île-de-France où les prairies naturelles sont menacées de disparition.
Un havre pour la biodiversité

Biodiversité dans la prairie
© MNHN - A. LebourgTrèfle des prés, centaurée, marguerite, colchique… riche de la trentaine d’espèces de plantes hautes en couleurs qu’elle abrite, la prairie naturelle fait le bonheur des promeneurs.
Et aussi celui de nombreuses espèces végétales et animales, tant cet écosystème caractérisé par une structure à deux étages – graminées en partie haute et espèces à fleurs en partie basse – bruisse de vie.
On y croise ainsi le hérisson et le campagnol, on y entend voleter papillons, abeilles, bourdons et autres butineurs, tandis que des espèces nichant au sol, comme le Tarier des prés ou le Pipit des arbres, y font leur abri au cœur des herbes hautes.
Les prairies franciliennes menacées
Les prairies naturelles représentent encore près de la moitié de la surface agricole française. Mais elles sont soumises à une forte pression anthropique. En raison de pratiques agricoles intensives, la plupart ont fait l’objet de traitements fertilisants et phytosanitaires. Elles ont aussi été largement ensemencées de variétés commerciales à haut rendement, comme la luzerne et autres plantes destinées au fourrage. Avec la fauche précoce, ces pratiques menacent la plupart des espèces sauvages qui caractérisent ces écosystèmes : elles peinent à conserver leur place et la biodiversité des prairies s’amoindrit.
Dans les régions très urbanisées, la densification pèse également sur le devenir des prairies naturelles et plus largement des surfaces « toujours en herbe » (avec les jachères, les bandes enherbées, etc.). C’est le cas de l’Île-de-France où ce type de surface laissée en herbe ne représente plus que 6 % du territoire et où peu de prairies peuvent être qualifiées de bien portantes, c’est-à-dire suffisamment diversifiées.
Le saviez-vous ?
Depuis les années 1960, la surface « toujours en herbe » en France métropolitaine a diminué de 28 %.
Un écosystème à préserver

Papillon en train de polliniser
© MNHN - A. LebourgBien que considéré comme un milieu « commun », l’écosystème de la prairie n’en revêt pas moins une importance cruciale, notamment dans un contexte de changement climatique. Sa préservation contribue à répondre à l’enjeu de la conservation de la biodiversité et des îlots de fraîcheur au cœur des grandes métropoles.
Des services essentiels
Comme les haies et les mares, les prairies naturelles diversifiées abritent et nourrissent une grande diversité d’espèces. Elles se révèlent également très utiles pour l’humain par les services écosystémiques qu’elles fournissent, c’est-à-dire – selon la définition de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) – les biens et services que les humains « peuvent tirer des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer leur bien-être ».
Ainsi, elles s’avèrent une ressource nourricière pour le bétail dans les zones d’élevage et partout pour la faune sauvage. Elles jouent également un rôle capital dans la pollinisation puisque les plantes à fleurs sont une ressource essentielle (pollen, nectar) pour les espèces sauvages qui pollinisent fruits et légumes à hauteur de 84 %. Bien gérée, une prairie peut aussi participer de manière significative au stockage des gaz à effet de serre.
Tout savoir sur les insectes
Au cœur des trames vertes et bleues
L’évolution de l’usage des terres (urbanisation, conversion en terres agricoles, etc.) et la multiplication des infrastructures de transport éloignent les surfaces végétalisées les unes des autres. Ce processus de fragmentation des habitats rend plus difficile les contacts entre les différentes espèces qui fréquentent ces écosystèmes. Il amoindrit leurs échanges génétiques jusqu’à menacer d’extinction une partie des populations.
Pour remédier à cette fragmentation des habitats, la puissance publique développe des actions comme les trames vertes et bleues. Il s’agit de conserver ou de créer des espaces végétaux ou aquatiques pour restaurer la continuité des surfaces préservées de façon à limiter la diminution des surfaces végétalisées et les relier entre elles par des espaces intermédiaires, par exemple en préservant les prairies.
De plus en plus intégrées au développement de nos villes, ces trames participent aussi à contrecarrer les effets des îlots de chaleur urbains, se révélant ainsi un outil précieux de l’adaptation au changement climatique.
Restaurer des zones urbanisées

Echantillonnage du sol
© MNHN - A. LebourgRedonner une place à la biodiversité dans des zones urbanisées est une tâche aussi complexe qu’essentielle. Le Muséum apporte son expertise à des chantiers publics qui sont également des opportunités pour affiner les recherches en matière de restauration.
Adapter la méthode
Restaurer un écosystème n’est pas une opération simple et il n’est jamais garanti de revenir à son état naturel d’origine. Ainsi, on parle plus précisément de « réhabilitation », une démarche dont l’objectif consiste à se rapprocher le plus possible des caractéristiques de l’écosystème modèle.
Pour cela, et dans la mesure du possible, il faut annuler les perturbations que le site a subi, par exemple en cas de pollutions dues à l’emploi de fertilisants. Ensuite, il faut permettre à l’écosystème d’assurer à nouveau les cycles biologiques (reproduction, repos, nourriture, déplacement, etc.) des espèces qu’il abrite et de celles invitées à revenir.
Le sol étant un facteur clé de cette démarche, rien ne peut se faire sans restaurer ses propriétés physico-chimiques (structure, profondeur, texture, perméabilité, acidité, etc.) et biologiques (activité microbienne et faunique). Selon les sites, il faut ainsi prévoir des interventions de dépollution, de déblaiement, mais aussi d’ensemencement1 pour accélérer ou déclencher le processus de réhabilitation.
- 1Action de semer des graines dans une terre dans le but de la cultiver.
Une décennie pour restaurer les écosystèmes
Définie par l’ONU comme la « Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes », la période 2021-2030 encourage les opérations de restauration et accroît ainsi les occasions d’expérimenter les meilleures méthodes. Un contexte renforcé par le plan Zéro Artificialisation Nette qui, en France, impose de compenser chaque artificialisation effectuée dans une commune par la restauration d’une zone.
Un laboratoire grandeur nature
Service du Muséum national d’Histoire naturelle, le Conservatoire botanique national (CBN) du Bassin parisien apporte son expertise au cours des différentes étapes de la restauration des écosystèmes. Travaillant en étroite collaboration avec les services de l’État et les organismes scientifiques, le CBN accompagne également des partenaires divers dans leurs opérations écologiques. C’est le cas par exemple du partenariat noué en 2021 entre le Muséum, la CDC Biodiversité et la Société des Grands Projets dans le cadre des travaux du Grand Paris Express. Projet d’utilité publique de grande ampleur consistant en la construction d’un nouveau réseau de métro, le Grand Paris Express cherche à minimiser ses impacts sur la biodiversité et, quand cela s’avère impossible, à compenser ceux qui n’ont pu être ni évités, ni réduits.
Pour le Conservatoire botanique national du Bassin parisien, ce type de collaboration est notamment une opportunité de développer les expériences en matière de restauration écologique. Relativement jeune et complexe, cette science doit étoffer ses connaissances pour proposer des solutions efficaces et vertueuses, mieux à même de faire face aux différents changements à venir.
Parc de la Patte d’oie : un exemple de réhabilitation
Le Parc de la Patte d'Oie, sur la commune de Gonesse (Val d’Oise), fait partie des sites où le Conservatoire botanique national (CBN) du Bassin parisien accompagne des opérations de compensation écologiques du Grand Paris Express. Il a été décidé de planter et d’ensemencer plusieurs de ses dômes caractéristiques avec des espèces sauvages locales , comme le trèfle, le pâturin, le fromental. Ce mélange de semences naturelles est récolté directement dans des prairies anciennes, suffisamment diversifiées, et n’ayant pas subi de semis depuis plusieurs années.

Collecte de semences à l'Arboretum de Chèvreloup
© MNHN - A. Lebourg
Collecte de semences à l'Arboretum de Chèvreloup
© MNHN - A. Lebourg
Collecte de semences à l'Arboretum de Chèvreloup
© MNHN - A. Lebourg
Collecte de semences à l'Arboretum de Chèvreloup
© MNHN - A. LebourgUn cercle vertueux
Protéger la biodiversité des prairies naturelles peut aller de pair avec leur rentabilité économique, car celles-ci possèdent des qualités non négligeables. Elles constituent une source de nutriments diversifiée pour le bétail qui peut y pâturer au printemps, avant les montées en épis des plantes, et elles s’avèrent résilientes face aux aléas climatiques.
D’autres activités économiques comme la récolte de semence locale peuvent y être développées, pour le meilleur puisqu’elle incite à protéger ces écosystèmes afin de collecter une semence de qualité. Ces végétaux sauvages locaux sont intéressants car particulièrement bien adaptés aux conditions géo-climatiques de leur région d’origine ainsi qu’à la faune sauvage locale. Plus pérennes que les semences commerciales, ils profitent ainsi bien plus à la biodiversité.
Plus de semences sauvages locales
Pour s’approvisionner en semences sauvages locales, il est nécessaire de collecter des semences ou de produire des plants de végétaux sauvages, ce qui requiert des compétences bien particulières. Pour développer une filière locale et s’assurer de sa traçabilité, l’Office Français de la Biodiversité a créé la marque « Végétal Local ». Face à la quantité de semences nécessaires pour les projets de restauration (approximativement vingt-cinq à trente kilogrammes de semences pour ensemencer un hectare), d’autres solutions qualitatives sont à l’étude pour trouver des ressources de semences sauvages.
Remerciements
Article rédigé en juillet 2024, remerciements à Amandine Lebourg, chargée d'études Restauration des Prairies et Conservation au Conservatoire botanique national du Bassin parisien

Thématique associée