Taxonomie, systématique, à quoi sert de classer le vivant ?
Depuis toujours, les humains ont cherché à classer le vivant. Pour ce faire, plusieurs disciplines scientifiques se sont développées, dont la systématique et la taxonomie. La systématique dit comment classer. Dans sa version moderne, elle construit l’arbre phylogénétique. La taxonomie s’appuie, quant à elle, sur cet arbre pour créer des ensembles emboîtés, sur lesquels la nomenclature pose des noms. Explications avec Guillaume Lecointre, systématicien au Muséum.
La systématique, science de la classification
La systématique est la science qui met en place un système d’organisation des espèces. Aujourd’hui, elle cherche à illustrer au mieux les relations de parenté entre toutes les espèces connues.
Une science de l’organisation
Le fait-même de ranger les espèces d’une certaine façon (en pile, en arbre, en tiroirs…) définit la systématique. Cette discipline rend compte de l’organisation générale, comme un programme qui guiderait la classification. Elle dit comment envisager l’agencement des espèces les unes par rapport aux autres.
Ainsi, la systématique d’aujourd’hui rend compte d’une organisation du vivant en groupes emboités les uns dans les autres et les uns par rapport aux autres. Pour se représenter cette organisation, on pourrait imaginer une grande armoire dans laquelle sont rangées les espèces. Pour trouver le hérisson commun, il faut d’abord ouvrir le grand tiroir des vertébrés, puis à l’intérieur de celui-ci chercher le tiroir des Mammifères. Dans ce dernier, on cherchera ensuite les Érinacéidés, avant de trouver le hérisson. On part ainsi du plus grand groupe pour aller vers le plus spécifique.

Schéma de Charles Darwin dans L’Origine des espèces, 1859
Charles Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or The Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, Londres, J. Murray,1860, planche gravée, Muséum national d’histoire naturelle, 4734Comment rendre compte de la parenté entre espèces ?
Les scientifiques depuis le XVIIIe siècle utilisent l’image de l'arbre pour représenter la diversité du vivant. Cette métaphore illustre un principe de hiérarchie : les grosses branches y représentent de larges groupes d’espèces tandis que l'extrémité d’une branche est l’illustration de l’espèce. Cet arbre a d’abord servi de métaphore à la généalogie, avant de représenter la phylogénie1, une illustration des relations de parenté entre espèces.
Depuis que Charles Darwin a présenté son Arbre du vivant, en 1859, les scientifiques ont cherché à regrouper dans un même ensemble les espèces d’une même branche, qui partagent les mêmes caractéristiques, héritées d’ancêtres communs.
L’anatomie comparée et la systématique phylogénétique2 avaient déjà permis de dessiner un arbre phylogénétique (reflet indirect d’un arbre généalogique) qui n’a pas de sommet unique, ne constate pas de "grandes étapes". Il établit juste qui partage quoi avec qui. Il raconte ainsi, à travers l’évolution, qui est apparenté avec qui.
Guillaume Lecointre, spécialiste de la classification du vivant
Qu'est-ce que l'arbre du vivant ?
Du changement dans les classifications
Cette classification en "arbre" allant du plus général au plus spécifique n’a pas toujours été la norme ! Depuis Aristote, il était commun d’organiser les êtres vivants en une "échelle", principalement empreinte de croyances religieuses et en se fondant sur le principe que certaines espèces vaudraient plus que d’autres. Celle-ci mettait en valeur un principe que nous savons aujourd’hui faux : elle plaçait l’humain comme la plus aboutie des espèces. Fin XVIIIe siècle, le schéma organisateur de la nature est passé de l’empilement, à la carte, puis aux tableaux, puis à l’arbre. Ces changements illustrent l’évolution de la systématique, la science de la classification.
Mieux comprendre les systèmes de parenté
Depuis les années 1990, l’organisation de l’Arbre du vivant s’est consolidée et complétée grâce aux recherches des liens de parenté au niveau moléculaire des organismes vivants. En somme, c’est également au niveau de l’ADN, de l’ARN ou encore des protéines des organismes-mêmes que l’on trouve des indices sur leurs relations de parenté. Les scientifiques peuvent ainsi comparer les génomes des espèces et confirmer ou infirmer l’organisation de l’Arbre du vivant. C’est ce que l’on nomme la systématique moléculaire. Le Muséum a été pionnier en la matière et s’est doté d’une plateforme de systématique moléculaire dès 1990.
Le classement phylogénétique déjoue les apparences
L’habit ne fait pas le moine ! La systématique phylogénétique, qu’elle soit moléculaire ou anatomique, montre des liens de parenté entre espèces que l’on pensait autrefois éloignées. C’est le cas, par exemple, du crocodile qui a davantage en commun avec la mésange qu’avec un lézard. En outre, avec les avancées des techniques de séquençage génétique, des espèces qui ne se ressemblent pas peuvent se révéler apparentées. Par exemple, les champignons sont plus proches des animaux que des plantes.

Arbre du vivant d’aujourd’hui. Cette figure est une phylogénie : elle montre des degrés relatifs de cousinage. Ainsi, l’araignée est plus apparentée au crabe qu’à l’escargot, et le crocodile est plus apparenté à la mésange qu’au lézard. Quelques dates sont signalées à l’aide de lettres pour fournir une idée de la chronologie de l’apparition des caractères qui définissent les branches.
© MNHN - G. Lecointre, J.-F. Dejouannet, repris par l'AFDECSeule, la systématique ne rend compte que d’une organisation générale. Il faut l’associer à la taxonomie pour aboutir à une classification du vivant. Après avoir établi la "colonne vertébrale" de cette organisation, il faut décider comment faire des groupes à partir d’elle. En somme, la systématique construit un arbre, tandis que la taxonomie dit quels ensembles produire.
La taxonomie, science de l’organisation
La taxonomie, aussi appelée taxinomie, est donc la science qui permet de regrouper les organismes biologiques dans des boîtes d’après leurs caractéristiques communes. Chaque boîte (peu importe son niveau dans la classification) est appelée "taxon".
Le taxon : un ensemble qui regroupe plusieurs espèces en fonction de caractéristiques exclusives
Les scientifiques se sont accordés pour dire que les êtres vivants pouvaient être réunis en fonction des caractères qu’ils ont en commun. Mais ce n’est pas tout : ces caractères doivent être exclusifs. Par exemple, les humains et les chimpanzés font partie des primates, car ils ont un caractère commun : le pouce opposable. Le groupe des primates est valide parce qu’on ne trouve pas le pouce opposable ailleurs. Ils en ont l’exclusivité. De même, les Vertébrés sont les animaux avec des vertèbres, les Mammifères sont les animaux à mamelles, et cela leur est spécifique.
Avec les découvertes récentes faites sur l’ADN, certaines caractéristiques communes et exclusives se révèlent invisibles à l’œil nu : les scientifiques se fondent donc aussi sur les gènes pour définir plus précisément les taxons.

Main d'un chimpanzé (pouce opposable)
© karenfoleyphoto - stock.adobe.com
Main d'un humain (pouce opposable)
© Lumeez I/peopleimages.com - stock.adobe.comOrganiser le vivant : la classification des taxons
Ainsi, que l’on compare les espèces par leurs gènes ou par leur anatomie, le vivant se classe par lignage généalogique3.
Un taxon est semblable à une boîte, pouvant en contenir d’autres plus petites, et faire partie d’un ensemble plus grand. Dans la classification, ces boîtes s’organisent selon leur degré de parenté : deux espèces sont dans une boîte de rang d’autant plus petit qu’elles sont étroitement apparentées dans l’arbre. La boîte la plus grande est la base de l’arbre, elle contient toutes les autres, et la boîte la plus petite est l’espèce, le plus petit des taxons.
Vu à travers une phylogénie, le groupe fondé sur au moins une caractéristique exclusive est dit monophylétique : cela signifie qu’il regroupe tous les descendants connus d’un même ancêtre commun. Par exemple, le groupe des oiseaux est monophylétique : tous les oiseaux descendent d'ancêtres communs qui leur on légué la plume, qu'ils ont en exclusivité.
L’espèce, le plus petit des taxons
Une espèce est la plus petite unité de la classification. C’est un segment généalogique unitaire.
Guillaume Lecointre, spécialiste de la classification du vivant
Une espèce est un segment généalogique unitaire. Ainsi, deux individus sont reconnus de la même espèce s’ils partagent les mêmes caractéristiques, s’ils parviennent à se reproduire entre eux et que leur descendance est fertile.
- 3Cʼest-à-dire que les groupes contiennent un ancêtre et tous ses descendants connus.

Schéma illustrant l'organisation de la place du loup commun dans la classification (de façon simplifiée)
© MNHNUn exemple de classification
Le loup commun est une espèce. Il fait partie de la famille des Canidés (avec les chacals et les renards), de l’ordre des Carnivores (avec les autres Canidés mais aussi les Félins), de la classe des Mammifères (avec les Canidés, les Félins, et tous les autres animaux à mamelles, comme les humains) et du sous-embranchement des Vertébrés (avec tous les animaux à vertèbres).
Erreurs de regroupements
Attention, certains regroupements créés dans le passé ont abouti à des groupes absurdes. Cette erreur a pu être commise au XIXe siècle, lorsque la classe des Invertébrés été créée. En effet, on y avait classé ensemble tous les animaux par leur absence de vertèbres. En passant par la négative, on ne disait pas ce qu’ils possédaient en commun et d’exclusif. L’absence de vertèbres ne leur est pas exclusif puisqu’on trouve une infinité de choses qui n’ont pas de vertèbres (les nuages, les pierres…). Cela ne disait rien d’eux.
Cette erreur vient de la confusion entre séparer et regrouper, c’est-à-dire entre trier et classer. Dans une classification, seules les présences de caractères ont du sens.
Une clef pour mieux distinguer
Pour trier les espèces, on utilise une "clef d’identification". Celle-ci se présente comme une suite de questions-réponses. Par exemple : Cette espèce a-t-elle une queue ? A-t-elle un museau ? En répondant à ces questions, on s’oriente progressivement dans la clé pour trouver un nom d’espèce au plus vite. Attention, si ces outils sont très utiles pour identifier, mais pas pour classer : ils ne construisent pas la classification. Ils permettent d’assigner un spécimen à un taxon, le plus souvent du niveau de l’espèce.
Le Muséum et la taxonomie
La taxonomie est une science indispensable à la connaissance du vivant. Elle est le socle des recherches en biologie. Le Muséum national d’Histoire naturelle dispose de nombreux experts dans ce domaine, notamment au sein de l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (ISYEB). Peu de muséums d’histoire naturelle à travers le monde possèdent un tel centre de recherche.
Journée européenne de la taxonomie
La nomenclature, science de l’attribution des noms
Une fois la classification proposée, et les boîtes faites en précisant quels sont les caractères communs et exclusifs, il faut nommer ces boîtes. Attention ! Ces noms ne sont pas donnés au hasard par les scientifiques. Pour échapper à l’arbitraire, des règles précises ont été mises en place : c’est la nomenclature.
La nomenclature est la science de l’attribution des noms aux taxons. Chaque nom répond à un code bien spécifique, celui du domaine concerné (zoologique, botanique, mycologique, bactérienne…). Ces codes, élaborés par des Commissions internationales, sont universels. Généralement, les noms seront en latin pour que tous les scientifiques communiquent dans la même langue.
Comment se construit un nom binominal ?
Les spécimens "type" et le rôle des collections naturalistes
Un spécimen "type" est un spécimen sélectionné qui sert de point de référence lorsqu'une espèce, animale ou végétale, est décrite et nommée pour la première fois. Les collections naturalistes ont pour rôle de conserver ces spécimens de référence et qui permettent d’avoir un outil de connaissance stable. Par exemple, le spécimen naturalisé de panda géant Ailuropoda melanoleuca qui se trouve dans les collections du Muséum national d’Histoire naturelle est le "type" de l'espèce. Il s’agit donc du spécimen de référence de cette espèce.
Remerciements
Dossier rédigé en juillet 2024. Remerciements à Guillaume Lecointre, systématicien et Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7205 - ISYEB), pour sa participation et sa relecture.