Insectes invasifs : des espèces exotiques envahissantes
Qu'elle soit arrivée par bateau, sous les semelles d'un voyageur ou dans la besace d'un collectionneur, l'espèce invasive débarque, un jour, dans un territoire nouveau pour elle. Elle y prolifère aux dépens des espèces autochtones. Ce phénomène, bien connu chez les végétaux ou les mammifères, concerne également les insectes.
Scénario d'une invasion
Importation, introduction, acclimatation : telles sont les premières étapes d'une invasion par des espèces exotiques. Viennent ensuite la naturalisation, la prolifération et l'expansion.
L'importation, volontaire ou accidentelle
Une espèce peut être déplacée hors de son milieu naturel par accident. Des moustiques se sont ainsi retrouvés embarqués dans des avions. Mais elle peut avoir été volontairement importée, comme ce fut le cas des coccinelles asiatiques introduites aux États-Unis et en Europe pour lutter contre les pucerons.
Vous avez dit exotiques et envahissantes ?
Certains les appellent « espèces exotiques envahissantes » (abrégé en « EEE »), d'autres parlent d’espèces « invasives ». Les deux termes sont équivalents. Ils désignent des espèces venues d’ailleurs, dont la prolifération menace un écosystème.
De l'introduction à l'acclimatation
Libérées dans le milieu naturel de leur pays d'accueil (on dit qu'elles sont alors « introduites »), la plupart des espèces exotiques ne survivront pas. Sauf quelques-unes qui y trouveront non seulement un climat qui leur convient, mais aussi de la nourriture. Ce sont les premières étapes de l'invasion.
Seules les espèces exotiques qui peuvent avoir des effets néfastes sont considérées comme envahissantes.
Claire Villemant, entomologiste, maître de conférences et spécialiste des hyménoptères au Muséum national d’Histoire naturelle
Loin de leurs prédateurs
Dans leur pays d'accueil, les espèces invasives ne sont plus menacées par leurs prédateurs habituels ni par les microbes et parasites qui les affectent dans leur pays d'origine. C'est l’une des raisons de leur prolifération.
La menace des espèces exotiques envahissantes
Les espèces invasives représentent un réel danger pour l'équilibre entre les espèces au sein de notre environnement.
Un risque pour la biodiversité
Parce qu'elles prennent la place d'espèces locales, accaparent leurs ressources alimentaires ou même les agressent, les invasives appauvrissent la biodiversité en place. On estime qu'elles constituent une menace pour environ un tiers des espèces terrestres et contribuent à près de la moitié des extinctions connues à l’échelle mondiale. Leur impact est particulièrement fort dans les îles , et notamment les îles d'outre-mer qui concentrent 74 % des EEE.
Un appauvrissement naturel qui coûte cher !
À cause des impacts sur les paysages, sur le tourisme et l'agriculture, les espèces invasives auraient causé 1 600 milliards d'euros de dégâts dans le monde entre 1970 et 2017. En France, le fardeau se chiffre entre 48 et 420 millions d'euros par an.
Les échanges commerciaux au niveau international sont la source d’une grande majorité des invasions d'espèces.
Claire Villemant, entomologiste, maître de conférences et spécialiste des hyménoptères au Muséum national d’Histoire naturelle
Un phénomène accéléré par la mondialisation et le changement climatique
La multiplication des voyages de personnes et de marchandises augmente la probabilité pour des individus, œufs, larves, nymphes ou adultes, de se retrouver en territoire nouveau. Si en plus ils y trouvent des espèces locales affaiblies par exemple par la pression urbaine, la pollution ou le réchauffement climatique, comme c'est le cas de nombreuses populations d'insectes dans le monde, ils gagneront vite du terrain.
Faut-il craindre les espèces invasives ?
Certes, elles déstabilisent parfois gravement les écosystèmes, mais les espèces invasives n'ont pas toutes d'effet direct sur notre santé. La punaise diabolique et le frelon asiatique sont parfois diabolisés. D'où l'intérêt de bien les connaître pour relativiser nos peurs.
Portraits d'insectes envahisseurs
Des dizaines d'insectes invasifs menacent la biodiversité du territoire français. En voici quelques exemples.
Le frelon asiatique
Appelé frelon à pattes jaunes, Vespa velutina mesure jusqu'à 3,2 cm de long. La population installée en France serait issue d'une seule reine, arrivée avant 2004, probablement dans des poteries chinoises destinées à un horticulteur d'Aquitaine. Elle est désormais très implantée sur notre territoire et chez tous nos voisins européens, du Portugal aux Pays-Bas.
Sa piqûre n'est pas plus douloureuse ni dangereuse que celle d'une guêpe ou d’une abeille. Toutefois, comme elles, le frelon peut, d’une seule piqûre, mettre en danger la vie de personnes allergiques.
Le frelon asiatique attaque les abeilles domestiques et de nombreux autres insectes pour nourrir ses larves. Il entrave le butinage des abeilles, dont la colonie meurt parfois l’hiver suivant par manque de nourriture.
Le moustique tigre
Avec ses zébrures blanches, Aedes albopictus est facile à reconnaître. Ses larves ont voyagé vers l'Europe dans les années 1990, profitant de zones humides dans de vieux pneus. Il a gagné l'Hexagone en 2000 et occupe désormais la moitié de notre territoire.
Par sa piqûre, ce moustique peut transmettre des maladies d'une personne infectée à une autre, en particulier le chikungunya, la dengue et le Zika. Ces maladies sont présentes dans de nombreux territoires d’outre-mer et en Europe, les cas de transmission autochtone (sans être porté par un voyageur extérieur) de chikungunya et de dengue augmentent.
Les punaises de lit
Brunes, d'une taille de 3 à 7 mm, les punaises de lit se cachent dans la literie ou le parquet. Elles piquent les occupants du logement pour se nourrir de leur sang. Ces insectes vivent avec les humains depuis la nuit des temps, mais ils avaient presque disparu des pays développés dans les années 1950 grâce à l'amélioration de l'habitat et l'usage d'insecticides puissants comme le DDT, désormais interdit. Ils reviennent à la faveur de l'essor du tourisme et de l'acquisition d'une résistance aux insecticides.
Entre mars 2019 et avril 2020, en France, les infestations par les punaises de lit ont généré 72 000 consultations médicales. En plus de provoquer des démangeaisons, et des insomnies, elles affectent le moral des personnes dont l'habitat est envahi.
La coccinelle asiatique
Dans les années 1980, elle est introduite en Europe et aux États-Unis pour lutter de manière biologique contre les pucerons qui ravagent les cultures. Elle s'adapta si bien qu'elle est devenue invasive. Elle dévore non seulement les pucerons, mais aussi les larves des coccinelles des espèces européennes, et leur transmet un microorganisme parasite. Elle aime en plus se regrouper sur les grappes de raisin, donnant au vin des saveurs indésirables.
Tous vigilants contre les insectes invasifs
Parce qu'ils sont petits, et n'inquiètent qu'une fois qu'ils sont bien implantés dans leur nouvel environnement, les insectes exotiques envahisseurs sont souvent difficiles à éradiquer.
La lutte biologique incertaine
Faire venir un prédateur ou un parasite de la zone d'origine de l'envahisseur ? Si la lutte biologique semble intéressante, elle peut provoquer une invasion supplémentaire et déstabiliser encore plus l'écosystème d'accueil. On a ainsi renoncé à favoriser l'infection du frelon asiatique par un ver (nématode), car il n'est pas assez efficace pour menacer les colonies et il peut aussi parasiter d’autres espèces comme les bourdons.
Les pesticides toxiques
Non seulement les pesticides sont souvent toxiques (pour l'environnement et les humains qui les épandent), mais ils perdent vite de leur efficacité. Des lignées d’individus résistants apparaissent rapidement chez les espèces à fort taux de multiplication.
Des OGM controversés
Pour lutter contre le moustique tigre, on a modifié génétiquement l’espèce pour rendre les mâles stériles. Des lâchers ont été réalisés, notamment à La Réunion, pour tester cette méthode de lutte. Si elle semble efficace, elle suscite des polémiques, car il s’agit de transformer artificiellement le vivant avec un impact inconnu.
La prévention
Certains gestes simples peuvent être efficaces s'ils sont adoptés par tous. Pour lutter contre le moustique tigre, il s'agit par exemple de faire la chasse aux surfaces d’eau stagnante, même minimes (sous les pots de fleur, dans les pneus abandonnés, les cannettes vides, etc.). Contre la punaise de lit, penser à nettoyer soigneusement ses valises et leur contenu après un voyage.
La méthode douce des sciences participatives
Plus une invasion est prise tôt, plus elle est facile à combattre. Informer les populations, former des observateurs, permet de suivre la progression d'une invasion. Et éventuellement de la stopper : depuis 2007, des initiatives de sensibilisation à la menace du frelon asiatique encouragent à repérer et détruire les nids au bon moment. Une application et un site web traquent également la progression de la punaise diabolique en France.
En savoir plus
Dossier rédigé en novembre 2022. Remerciements à Claire Villemant, entomologiste, maître de conférences et spécialiste des hyménoptères au Muséum national d’Histoire naturelle.