Exploration scientifique
Karubenthos Guadeloupe
En 2012, le Muséum national d’Histoire naturelle, le Parc national de la Guadeloupe et l’Université des Antilles et de la Guyane ont réalisé un grand inventaire des algues et invertébrés marins des écosystèmes côtiers de Guadeloupe, dénommé Karubenthos I. Afin de consolider leur collaboration, les mêmes acteurs ont décidé de poursuivre l’exploration de la Guadeloupe en ciblant, en 2015, les environnements profonds, jusqu’ici peu explorés et avec un fort potentiel en découvertes scientifiques, dans le cadre de campagne océanographique dénommée Karudeep ou Karubenthos II.
L’archipel guadeloupéen est aujourd’hui l’un des territoires caribéens les mieux connus en matière de biodiversité terrestre et marine. Les missions d’explorations marines « Karubenthos » menées en 2012 et 2015 par le Muséum national d’Histoire naturelle, le Parc national de la Guadeloupe et l’Université des Antilles ont permis la découverte de plus de 300 nouvelles espèces et donné lieu à plus de 300 publications scientifiques.
Le projet Karubenthos 1 réalisé en 2012, et le projet Karubenthos 2 réalisé en 2015 avaient pour objectif d’inventorier les algues et invertébrés marins de Guadeloupe.
- > 25 000échantillons collectés318nouvelles espèces découvertes> 200publications scientifiques
2012 : Karubenthos 1
Réalisé en mai 2012, le projet Karubenthos 1 visait donc précisément à combler cette lacune. Il s’inscrit dans un renouveau des inventaires « de nouvelle génération », visant à alimenter les bases de données internationales – d’échantillons, d’images et de séquences moléculaires en réalisant un grand inventaire des algues et invertébrés marins des écosystèmes côtiers de Guadeloupe.
Trente ans après la création de l’Université Antilles-Guyane et vingt ans après celle du Parc National de la Guadeloupe, de nombreux compartiments de la biodiversité de la Guadeloupe restent encore méconnus. Si les compartiments les plus emblématiques (poissons, coraux) des écosystèmes marins de la Guadeloupe sont aujourd'hui bien inventoriés, il n'en va pas de même pour les compartiments du petit macrobenthos. Mollusques, crustacés, échinodermes et algues restent en effet l’une des boîtes noires dans l’inventaire de notre patrimoine naturel, alors même qu'ils sont les plus riches en espèces.
La mission principale a mobilisé cinquante personnes, des bénévoles et chercheurs issus du réseau du Muséum national d’histoire naturelle, mais aussi des chercheurs et des personnels de l’Université Antilles-Guyane et des agents du Parc National de la Guadeloupe. Au total, 8 nationalités étaient représentées (Venezuela, Cuba, Pays-Bas, Espagne, Suède, États-Unis, Mozambique, France).
Sites échantillonnés
- Grand Cul-de-Sac et Petit Cul-de-Sac ;
- Côte sous-le-vent ;
- Port-Louis et Anse Bertrand ;
- Petite-Terre, Saint François, la Pointe des Châteaux, le Sec Pâté ;
- En complément : Grand Cul-de-Sac et Petit Cul-de-Sac, Côte sous-le-vent, Port-Louis et Anse Bertrand.
Plusieurs méthodes d'échantillonnage
Pour tenir compte de la richesse des habitats, de la spécialisation écologique des organismes, et de leur petite taille, les chercheurs ont recours à plusieurs méthodes d'échantillonnage, afin de ne laisser aucune niche écologique de côté.
Pour cela une panoplie d'approches est utilisée :
- Les pêcheurs à pied : ils échantillonnent algues et invertébrés dans la frange littorale.
- Les récolteurs à vue : ce sont des plongeurs qui – tels des cueilleurs-chasseurs –, observent les tombants, herbiers et fonds sédimentaires, à la recherche d’espèces fragiles et/ou dispersées dans le milieu.
- Les brosseurs-suceurs : les plongeurs utilisent une suceuse pour aspirer le petit macrobenthos réfugié dans les creux et interstices des rochers, mais aussi dans les fonds meubles. Ils nettoient aussi blocs et débris coralliens avec des brosses afin de récolter les petits épibiontes – faune ou flore fixées- et la petite faune vagile – animaux se déplaçant sur le fond.
- Les dragueurs et poseurs de nasses : ces techniques permettent d’échantillonner et collecter des espèces non accessibles aux équipes de plongeurs. La drague est utilisée dans les fonds meubles et est déployée jusqu’à 200 m de profondeur. Les nasses appâtées permettent la capture de petits carnivores et charognards.
C’est à l’Université Antilles-Guyane, où un véritable laboratoire de campagne a été installé pour l’occasion, que l’ensemble des échantillons ramenés par les équipes de terrain sont tamisés et triés. Les espèces remarquables et représentatives sont photographiées, puis traitées (prélèvement de tissus pour le barcoding) et stockées (mises en conditionnement dans l’éthanol) avant archivage dans les collections nationales du Muséum. Ce dernier mobilisera ensuite son réseau d'experts pour la phase d’identification la plus pointue.
Karubenthos 1 : les résultats
Cet inventaire a été le plus approfondi jamais réalisé dans la Caraïbe, avec des résultats exceptionnels sur les mollusques, les crustacés et les algues.
Quelques chiffres :
- 45 plongées
- 302 stations de collecte
- 71 dragages de 3 à 150 mètres
- 31 filières de pièges
- 37 sites littoraux
- 550 litres d’éthanol consommés
- 1200-1500 espèces de mollusques
- 350-400 espèces de crustacés
- 300 espèces d’algues
- 90 espèces d’échinodermes
À ce jour, ce ne sont pas moins de 94 nouvelles espèces de mollusques et une nouvelle espèce de crustacés qui ont été décrites et font l’objet de 23 publications scientifiques.
Bon nombre de ces espèces portent des noms qui rappellent la Guadeloupe, Karukera, ou les Indiens Arawak : ainsi, les gastéropodes Haplocochlias arawakorum Rubio & Rolán, 2015 ; Pygmaepterys karukerensis Garrigues & Merle, 2014 ; Notobryon caribbaeum Caballer & Ortea, 2014 ; ou Zebinella guadeloupensis Faber & Moolenbeek, 2013, portent désormais les couleurs de la Guadeloupe dans l’inventaire du vivant.
Par ailleurs, 26 000 données d’occurrence issues de l’expédition, correspondant à 1 179 espèces, sont accessibles sur le site de l'Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN). Les portails internationaux de partage des connaissances, tel que le GBIF sur la biodiversité ou BOLD pour les séquences moléculaires, sont aussi alimentées par les données issues de Karuebnthos 1.
Malgré l'intensité de l’échantillonnage réalisé sur Karubenthos 1, Les Saintes, Marie-Galante, la Désirade n’ont pas été prospecté et feront l’objet d’une future expédition spécifique.
Partenaires Karubenthos 1
2015 : Karubenthos 2
La campagne Karubenthos 2 cherchait à réaliser l’inventaire du benthos profond de la Zone Économique Exclusive (ZEE) de la Guadeloupe, de 50 à 800 mètres. La campagne océanographique Karubenthos 2 s'inscrit dans le programme Tropical Deep-Sea Benthos d'exploration des faunes profondes benthiques tropicales.
L’exploration de la zone profonde « Caraïbes » a connu son Âge d’Or dans les dernières décennies du XIXe siècle. Depuis, faute de moyens dédiés et peut-être aussi faute de mobilisation de la communauté scientifique, la région est restée à l’écart des grands programmes d’inventaires des faunes profondes. Ainsi, la base de données internationale OBIS (Ocean Biogeographic Information System) ne recense que 280 espèces d’invertébrés benthiques dans les Zones Économiques Exclusives (ZEE) de Martinique, Guadeloupe et Dominique à une profondeur supérieure à 100 mètres, soulignant le déficit de données sur ce patrimoine.
Nous appartenons à la première génération de scientifiques simultanément conscients que les trois-quarts des espèces de la Planète restent encore à découvrir et à décrire, et qu’en même temps le quart, le tiers voire la moitié des espèces aura probablement disparu d’ici le milieu ou la fin du siècle. Accélérer l’exploration et la découverte des espèces est donc une urgence, non seulement pour les scientifiques, mais également pour les gestionnaires des milieux et des ressources naturelles. Ceci vaut en particulier pour les mers tropicales et le potentiel de découvertes en Guadeloupe est élevé.
En 2012, le Parc national de la Guadeloupe, l’Université des Antilles et de la Guyane et le Muséum national d’Histoire naturelle avaient déjà réalisé un grand inventaire des algues et invertébrés marins des écosystèmes côtiers de Guadeloupe. Fort du succès de Karubenthos 1 et afin de consolider leur collaboration, les mêmes acteurs ont décidé de poursuivre l’exploration de la Guadeloupe en ciblant maintenant les environnements profonds, jusqu’ici peu explorés et avec un fort potentiel en découvertes scientifiques !
La campagne s’est déroulée à bord de l’Antéa, navire de recherche mis à disposition par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). L’équipe embarquée comprenait des chercheurs du Muséum, de l’IRD et de l’Université des Antilles et de la Guyane, et des agents du Parc national de la Guadeloupe ; des agents du sanctuaire Agoa ont recueilli des données acoustiques et visuelles sur les mammifères marins.
20 % des nouvelles espèces marines décrites dans le monde ont pour origine les expéditions du Muséum et de l’IRD : cette équipe est devenue le principal acteur de l’exploration de la biodiversité des grands fonds des mers tropicales.
En 30 ans, le programme Tropical Deep-Sea Benthos a en effet réalisé plus de 5 000 opérations (dragages et chalutages), essentiellement dans le Pacifique Sud et Ouest et dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien. La campagne Karubenthos 2 était la première opération de ce programme dans la zone caraïbe.
En Guadeloupe, trois grandes zones ont été identifiées comme présentant des topographies intéressantes (monts sous-marins, pentes, bancs). Elles ont été échantillonnées avec les engins de pêche qui ont fait preuve de leur efficacité et de leur robustesse au cours des nombreuses campagnes en mer du programme Tropical Deep-Sea Benthos : la drague Warén pour les fonds rocheux et le chalut à perche pour les fonds meubles.
Les spécimens récoltés sont, dans un premier temps, triés à bord par grands groupes zoologiques (crustacés, mollusques, échinodermes, etc.). Un protocole particulier est mis en place pour la préservation de spécimens en vue du séquençage de l’ADN.
Au retour de la mission, les échantillons ont fait l’objet d’un tri plus approfondi, puis ont été ventilés vers un réseau international de spécialistes qui en assureront l’étude et la valorisation scientifique.
Karubenthos 2 : les résultats
Partenaires Karubenthos 2