Des micrométéorites en Antarctique

Les micrométéorites ultra-carbonées antarctiques (UCAMMs) contiennent des matières organiques uniques permettant d'étudier la formation du Système solaire, tout en donnant des indices sur la composition des objets les plus froids et lointains de notre galaxie. Comment trouver ces poussières extra-terrestres ? Comment les analyser ? Rencontre avec Jean Duprat, cosmochimiste au Muséum.

Comment définiriez-vous une micrométéorite ?

Une micrométéorite est une poussière extra-terrestre de taille comprise entre quelques dizaines et quelques centaines de microns (c’est-à-dire inférieure à 1 millimètre). Ce genre de poussière tombe en permanence partout sur Terre. L’entrée atmosphérique à grande vitesse des micrométéorites (à plusieurs dizaines de kilomètres par seconde) provoque un échauffement de l’atmosphère terrestre et, pour les plus grosses micrométéorites, le phénomène d’étoiles filantes.

La plupart des micrométéorites ont des caractéristiques ressemblant à un type particulier, rare, de météorites que l’on appelle les chondrites carbonées. Un exemple emblématique de ce type de météorite est issu de la chute d’Orgueil, dont une partie est conservée au Muséum. Les poussières extraterrestres forment, de très loin, la source principale de matière extraterrestre reçu à la surface de notre planète, de l’ordre de 20 000 tonnes/an avant l’entrée atmosphérique, dont un quart (environ 5 000 tonnes/an) arrivent à la surface terrestre sous forme de particules : ce sont les micrométéorites. Le reste est volatilisé lors de cette entrée dans l'atmosphère terrestre. À titre de comparaison, la quantité de météorites est près de 1000 fois inférieure à celle des micrométéorites (5-10 tonnes/an). Les micrométéorites ne sont pas des « poussières de météorites », elles forment une classe particulière de matériaux extraterrestres.

Pourquoi collecter des micrométéorites en Antarctique ?

Parce que c’est l’endroit le plus propre de notre planète. Les micrométéorites tombent partout sur Terre, à raison de quelques dizaines de particules par m2 et par an. Nous marchons donc tous les jours sur des poussières extraterrestres. Si on souhaite les collecter, il faut les distinguer de leurs homologues terrestres ce qui n’est pas simple sous nos latitudes où les micrométéorites sont noyées au sein d'une multitude de poussières terrestres. Pour les plus fragiles d’entre-elles (les plus intéressantes car les mieux préservées), les micrométéorites peuvent être rapidement altérées puis détruites après leur arrivée à la surface terrestre. Pour trouver des micrométéorites fragiles et peu altérées, il est essentiel de se rendre dans des endroits où il y a très peu de poussières terrestres. C’est exactement le cas au centre du continent Antarctique. Depuis plus de 20 ans, grâce au soutien logistique et financier de l’Institut polaire français1, nous effectuons des collectes de micrométéorites à proximité de la station de recherche franco-italienne Concordia située à Dôme C, à 1 100 kilomètres des côtes de Terre Adélie. Le continent Antarctique est isolé par de vastes océans et ses régions centrales sont quasiment complètement protégées du flux de poussières terrestres (pour les tailles supérieures à une dizaine de µm). La neige de surface à Dôme C est exceptionnellement pure, et la majorité des poussières que nous y collectons sont d’origine extraterrestre. De plus, les températures y sont particulièrement froides (entre –20 °C et –50 °C durant l’été austral, elles peuvent chuter jusqu’à – 80 °C en hiver), c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’eau sous forme liquide, les particules ne subissent donc aucune altération mécanique ni aqueuse. L’ensemble de ces caractéristiques font de Dôme C un site exceptionnel pour la collecte de poussières extraterrestres.

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    Institut Paul-Emile Victor

Recherche de micrométéorites en Antarctique

© MNHN - J. Duprat
Recherche de micrométéorites en Antarctique

Recherche de micrométéorites en Antarctique - tranchées

© MNHN - J. Duprat

Quelles sont vos méthodes de collecte ? Quels outils utilisez-vous ?

Nous faisons creuser des tranchées de 5 à 10 mètres de profondeur pour accéder à des couches de neige qui prédatent largement l’activité humaine sur le site. Puis nous enlevons des flancs de ces tranchées la couche de neige contaminée par les engins pour ensuite commencer l’extraction de cubes de neige ultra-propres. Nous rapportons cette neige à la station Concordia où nous la fondons et la filtrons pour atteindre des tailles supérieures à 20 µm. Chaque fonte représente quelques m3 de neige, un volume suffisant pour collecter quelques centaines de micrométéorites. Les prélèvements de neige dans la tranchée et leur fonte et leur filtration sont effectués dans des conditions de propreté rigoureuses pour éviter de contaminer les particules ou les filtres avec des poussières terrestres. C’est un des aspects les plus difficile et critique de ces collectes. Les filtres sont ensuite rapidement séchés puis placés sous atmosphère inerte (sous azote pur) pour être expédiés en France.

Comment analyser une micrométéorite ?

Analyse de micrométéorite

Analyse de micrométéorite

© MNHN - J. Duprat

Tout d’abord, il faut extraire les micrométéorites des filtres. C’est une opération longue et minutieuse qui consiste à extraire des centaines de particules pour ensuite séparer celles qui nous intéressent du reste, et vérifier leur nature extraterrestre. Cette opération de tri s’effectue en salle blanche, puis se poursuit à l’aide d’analyses de microscopie électronique à balayage. Les images et analyses élémentaires de la composition moyenne de chaque particule permettent d’identifier les micrométéorites de façon plus sûre. Nous avons effectué ce type de recherche systématique sur des milliers de particules pour parvenir à réunir une collection de poussières extraterrestres unique au monde : la collection Concordia. Cette collection contient des particules fragiles dans un état de conservation inégalé. Leurs caractéristiques uniques sont liées à l’endroit exceptionnel de leur collecte, ainsi qu’aux protocoles que nous avons développés au cours des dernières décennies. Le travail sur cette collection a permis d’identifier des particules extraterrestres profondément différentes de celles que nous connaissions jusque-là. Il s’agit de particules dont le taux de carbone est exceptionnellement élevé, ce sont des micrométéorites ultra-carbonées, ou UCAMMs (Ultra-Carbonaceous Antarctic Micro-Meteorites).

Dans les météorites de type chondrites carbonées (comme celle d’Orgueil), la teneur en Carbone est de quelques pourcents en masse, dans les micrométéorites ultra-carbonées cette teneur dépasse les 50% et peut atteindre plus de 90 %. Ce sont des objets hors-norme qui n’ont pas d’équivalent dans les collections de météorites. La composante carbonée des UCAMMs est sous forme de matière organique, c’est-à-dire d’assemblages moléculaires constitués d’éléments légers (carbone, hydrogène, azote, oxygène).

D’où viendraient ces roches ?

Micrométéorite de la collection Concordia

Micrométéorite de la collection Concordia

© CNRS/MNHN - C. Engrand/J.Duprat

La matière organique des UCAMMs s’est très probablement formée à la surface de comètes lors de l’irradiation de glaces riches en azote par le rayonnement cosmique provenant de notre Galaxie. Les orbites du (ou des) corps parent(s) des micrométéorites que nous avons étudiées étaient, initialement, très probablement situées au-delà de l’orbite de Neptune, dans des régions très froides où les molécules azotées se trouvent sous forme solide et constituent des manteaux de glaces à la surface des objets. Il s’agit des corps glacés de la ceinture de Kuiper et/ou du Nuage de Oort, les objets les plus lointains liés gravitationnellement à notre étoile.

Les UCAMMs permettent donc de lever le voile sur la composition isotopique des manteaux glacés cométaires. Situées bien au-delà des orbites des planètes géantes glacées (Uranus et Neptune), les comètes sont des objets extrêmement difficiles d’accès pour lesquels nous ne disposons que de peu d’informations précises sur la composition de leur surface. L’étude de ces micrométéorites riches en matière organique ouvre une nouvelle fenêtre pour l’étude de la composition des glaces présentes à la surface des comètes. Leur matière organique représente une archive exceptionnelle des réservoirs d’éléments volatils condensés à la surface des objets les plus froids du système solaire.

Comment ces roches sont-elles arrivées sur Terre ?

Des micrométéorites sont en permanence éjectées de leur corps parent soit lors de collisions entre astéroïdes ou lors du dégazage de comètes à leur approche du Soleil. Les micrométéorites (UCAMMs) que nous avons étudiées ont très probablement commencé leur existence à la surface de corps glacés qui orbitaient au-delà de la planète Neptune. Puis l’orbite de leur corps parent a été déstabilisée et celui-ci s’est dirigé vers le système Solaire interne sous forme de comète. À l’approche de notre étoile, le Soleil, les glaces de cette comète ont commencé à se sublimer pour former une queue de gaz et de poussières à l’arrière de la comète. Les poussières ainsi éjectées ont voyagé dans l’espace interplanétaire. La plupart ont été englouties par le Soleil mais certaines ont échappé à cette destinée et ont été capturées par la Terre. Celles que nous avons étudiées ont, par hasard, terminé leur course dans les neiges des régions centrales du continent Antarctique où nous avons eu la chance de les trouver.

Entretien avec

Jean Duprat

Chercheur en cosmochimie et directeur de recherche au CNRS (Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie - UMR 7590)

Référence scientifique

Nitrogen organics from comets probed by ultra-carbonaceous Antarctic micrometeorites, J. Rojas, J. Duprat, E. Dartois, T-D. Wu, C. Engrand, L. R. Nittler, N. Bardin, L. Delauche, S. Mostefaoui, L. Rémusat, R. M. Stroud, B. Guérin, Nature Astronomy, publié le 10 septembre 2024. 
Doi : 10.1038/s41550-024-02364-y 

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