Les voyages d'Homo sapiens

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Publié le 23 janvier 2025

Il y a bien longtemps qu’Homo sapiens a décidé d’aller voir ailleurs. Par nécessité ou par plaisir, il s’est répandu sur toute la planète. Si les scientifiques ne savent pas tout de ces migrations anciennes, ils peuvent retracer les premières arrivées de notre espèce dans les principales régions du globe.

Les sorties d'Afrique

Les plus anciennes traces de présence humaine hors d’Afrique ont été retrouvées en Géorgie. Datées de 1,8 million d’années, elles indiquent que des mouvements de population ont probablement commencé vers 2 millions d’années. En Europe, il existe d'autres traces des tout premiers peuplements mais elles sont rares.1

Pour la plupart des chercheurs et chercheuses, Homo erectus africain (aussi nommé Homo ergaster par une partie de la communauté scientifique) a été le premier à migrer. Certains pensent toutefois qu’Homo habilis fait un tout aussi bon candidat et pourrait être le premier migrant.

Quelle que soit l’espèce qui a franchi le pas, ses membres n’ont pas décidé de quitter l’Afrique un beau matin, en suivant une carte ou un plan établi. Il s’agit plutôt de déplacements sur quelques kilomètres, et probablement d’allers-retours. C’est pourquoi les scientifiques ne parlent pas d’une sortie d’Afrique mais de sorties plurielles.

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    Une dent de lait datée de 1,4 millions d'années a été découverte dans le sud de l'Espagne. Un fragment de mâchoire du même âge a été exhumé dans le nord cette fois-ci. Outre ces fossiles, des outils de pierre taillée attestent d'une présence humaine remontant à plus d'un million d'année en Europe, et plus particulièrement dans le nord de l'Italie, l'ouest de l'Ukraine et en France (Indre, Hérault et Alpes-Maritimes). 

Le berceau africain

Même s’il reste difficile de déterminer où notre histoire a précisément commencé, il ne fait aucun doute que les origines de l'humain se trouvent en Afrique. Vieux de plus de 200 000 ans, les fossiles découverts à Omo Kibish dans l’actuelle Éthiopie, disputent le titre de « plus ancien Homo sapiens » à d'autres, qui ont été datés de 300 000 ans et mis au jour sur le site de Jebel Irhoud, au Maroc.

Les nouvelles capacités du genre Homo

Mais qu’est-ce qui motive ces déplacements de proche en proche ? Les préhistoriens privilégient plusieurs hypothèses, mettant notamment en avant la bipédie stricte comme facteur déclenchant. Alors que la station debout et la marche sur deux membres inférieurs existent chez différents animaux, elles restent occasionnelles, comme chez les primates non-humains, ou peu efficientes, comme chez les australopithèques.
C’est seulement à compter d’Homo habilis et Homo erectus africain, que l’on voit apparaître un parfait bipède endurant, comme nous le sommes aujourd’hui. Une capacité qui a pu être un facteur décisif pour commencer à arpenter le monde.

Une autre des conditions envisagées par les chercheurs et qui aurait incité nos ancêtres à se déplacer est le fait que ces derniers se transforment progressivement de charognards en chasseurs. En suivant peu à peu les troupeaux, les voici qui changent de territoire probablement sans s’en apercevoir. De courtes distances en courtes distances, ils traversent des continents entiers - l'Afrique puis l'Asie, sur quelques générations.

Traces de pas fossiles

Traces de pas fossiles, site de White Sands, New Mexico

Homo sapiens : un explorateur

Homo sapiens est le premier à occuper toutes les régions du monde. Selon la science qui étudie la génétique des populations, en particulier avec l’aide de la datation moléculaire, tous les humains qui vivent aujourd’hui à la surface de notre planète sont issus d’une série de sorties d’Afrique qui se seraient produites il y a 50 000 à 70 000 ans. C’est donc Homo sapiens qui va s’étendre sous toutes les latitudes, altitudes, climats et environnements, preuve de sa capacité à s’adapter aux écosystèmes les plus diversifiés.

Ainsi, à la différence des continents africain et asiatique déjà fréquentés par d’autres espèces avant la nôtre, l’Australie (au moins vers 65 000 ans), l'Amérique (au moins vers 25 000 ans) ou encore les îles lointaines du Pacifique (il y a 3 000 ans) vont connaître leurs toutes premières occupations humaines. En témoignent les faisceaux d’indices - outils, restes osseux, restes humains, etc. – exploités par les préhistoriens.

Le dessous des cartes : des représentations trompeuses ?

Comment représenter les migrations sur une carte et surtout illustrer le dynamisme de ces mouvements ? Les flèches unidirectionnelles ne rendent pas compte des allers-retours probables et semblent indiquer une progression intentionnelle, dans une même direction toujours plus lointaine. Un scénario qui est loin de convaincre les préhistoriens.

Il est aussi peu vraisemblable que les migrations de Homo sapiens soient jalonnées d’étapes précisément localisées dans le temps et l’espace, comme le moment de l’arrivée d’une population dans un lieu, et les scientifiques estiment qu’elles résultent plus probablement d’un foisonnement de rencontres et de métissages.

L’utilisation de flèches pour figurer les grandes migrations est souvent trompeuse, car elle ne laisse pas la place aux incertitudes et aux discussions nombreuses sur les voies empruntées.
Florent Détroit, paléoanthropologue, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.

Carte des migrations anciennes d'Homo sapiens, de la sortie d'Afrique à la colonisation des îles du Pacifique

Carte « Migrations anciennes d'Homo sapiens, de la sortie d'Afrique à la colonisation des îles du Pacifique » tirée du catalogue de l'exposition Migrations, une odyssée humaine, 2024

© F. Le Goff

Rencontres et métissages

Si la chronologie des migrations conserve son importance, les scientifiques travaillent aujourd’hui à établir plus précisément la contemporanéité entre les différentes espèces humaines qui ont habité le monde, les rencontres et les potentiels évènements de métissage entre leurs représentants.

La difficile attribution des vestiges aux différentes espèces

Avant et pendant les migrations d’Homo sapiens, au moins quatre ou cinq espèces humaines sont présentes sur les territoires nouvellement fréquentés par lui. Une cohabitation qui s’avère un casse-tête pour les préhistoriens ! En effet, comment attribuer des découvertes matérielles comme des outils lithiques ou des reliefs de repas à l’une ou l’autre de ces espèces en l’absence d’ossements humains auxquels les associer ? Il faut à ce jour se contenter d’hypothèses.

Homo sapiens et Néandertal se sont bien croisés

L’étude des génomes a permis des avancées significatives en attestant d’épisodes de métissages, preuve de la cohabitation de différences espèces. Ainsi, il y a bien des gènes communs entre Homo sapiens et Homo neanderthalensis, ainsi qu'entre ces deux derniers et les Dénisoviens, plus à l’Est de l’Europe actuelle. Et probablement pour lesquelles les fossiles n’ont pas encore été retrouvés ou identifiés !

En ce qui concerne Homo sapiens et Néandertal, le séquençage de l'ADN de fossiles qui leur sont attribués et dont les génomes ont été comparés avec ceux de populations humaines actuelles montre un métissage indubitable.

Il reste toutefois impossible de préciser où a eu lieu leur rencontre : en Europe ou sur le chemin qui y conduit, potentiellement au Proche-Orient dont les traces archéologiques montrent qu’il est occupé en alternance par les deux espèces sur une période comprise entre 100 000 et 50 000 ans…

Homo sapiens en Europe

Lorsque Homo sapiens arrive en Europe, vers 50 000 ans, celle-ci est déjà habitée par Homo neanderthalensis. Difficile toutefois de déterminer la chronologie exacte de l’arrivée des premiers et de l’extinction des seconds, et donc de leur potentielle rencontre. La question alimente les débats depuis des décennies. D’autant que l’analyse de vestiges attribués à l’un et à l’autre sur des périodes successives, comme les dents humaines exhumées à la grotte Mandrin (Ardèche), vient complexifier la donne en montrant qu’il peut y avoir une alternance dans l’occupation des sites.

Quelles que soient les découvertes à venir, les avancées récentes permettent d’ores et déjà de tempérer l’image qui colle à la peau de Homo sapiens : celle d’un exterminateur de population. Car, si l’on constate que la disparition des autres espèces survient systématiquement peu de temps après son arrivée, rien n’atteste qu’il en soit responsable – a fortiori de façon volontaire.

Carte de la répartition du genre Homo, entre - 50 000 et - 60 000 ans

Carte de la répartition du genre Homo, entre - 50 000 et - 60 000 ans, tirée du catalogue de l'exposition Migrations, une odyssée humaine, 2024

© F. Le Goff

Relecture scientifique

Florent Détroit

Florent Détroit

Paléoanthropologue et professeur au Muséum national d'Histoire naturelle (Histoire Naturelle des Humanités Préhistoriques - UMR 7194)

Couverture du catalogue de l'exposition "Migrations"

Migrations. Une odyssée humaine

Catalogue de l'exposition « Migrations. Une odyssée humaine » au Musée de l’Homme (novembre 2024 - juin 2025)

  • Paru le 21 novembre 2024
  • Broché avec rabats
  • 16 × 22,5 cm
  • 232 pages
  • 34 €