Champignon comestible contre maladie génétique

Plusieurs solutions thérapeutiques sont maintenant disponibles pour quelques maladies génétiques rares, mais à un coût très élevé car elles sont basées sur la thérapie génique ou à base d’acides nucléiques. La banque d’extraits de substances naturelles (l’extractothèque du Muséum national d’histoire naturelle) a permis d’identifier un potentiel candidat médicament issu d’un champignon comestible.

Cette découverte ouvre des pistes thérapeutiques intéressantes pour les patients atteints de maladies génétiques rares en réparant les mutations « non-sens » et en restaurant ainsi la fonction des gènes mutés, avec un coût plus faible.

En 2007, le Muséum décide de s’engager, avec plusieurs autres établissements scientifiques, dans la mise en place de la Chimiothèque nationale, une collection de molécules issues de la recherche des laboratoires académiques français. Les molécules découvertes au Muséum dans les dernières décennies viennent alors agrandir cette collection nationale. Le Muséum continue dans cette voie et s’implique dans la création d’une collection non plus cette fois-ci de molécules pures mais d’extraits chimiques complexes réalisés par extraction des molécules des différents spécimens disponibles dans les collections. L’extractothèque du Muséum voit le jour en 2008. Elle se compose notamment d’extraits réalisés à partir de spécimens de champignons conservés secs dans des bocaux provenant d’une collection de recherche « oubliée » depuis plusieurs années. Ces spécimens collectés en France dans les années 1990 par un chercheur du CNRS dans le cadre d’une étude sur les toxines de champignons étaient conservés dans la cave du laboratoire de chimie. Les chimistes du Muséum décident en 2008 de donner une seconde vie à ces spécimens en intégrant leurs extraits à la collection du Muséum. Cette collection d’extraits (ou extractothèque) est mise à disposition pour être testée sur diverses cibles biologiques dans le but de découvrir de nouveaux principes actifs naturels. C’est dans le cadre d’un de ces partenariats qu’en 2016 l’institut Pasteur de Lille et l’université de Lille criblent ces extraits sur un nouveau modèle de maladie rare.

Maladies génétiques rares

Les maladies rares restent un problème de santé publique majeur avec environ 300 millions de personnes atteintes dans le monde. On parle de maladies « orphelines » pour la plupart d’entre elles car aucun traitement à visée curative n’est disponible. Elles se déclarent dès l’enfance et sont dans 80 % des cas d’origine génétique. Environ 10 % des malades atteints de maladies génétiques rares, comme la mucoviscidose ou la myopathie de Duchenne, sont porteurs d’une mutation dite « non-sens », c’est-à-dire d’une modification dans la séquence de leur ADN. L’ADN est une macromolécule biologique qui code les acides aminés impliqués dans la synthèse des protéines nécessaire au bon fonctionnement de notre organisme. Cette mutation se traduit par la présence d’un « codon-stop » qui ne code pour aucun acide aminé connu et arrête prématurément la synthèse de la protéine. Dès lors, la protéine obtenue est tronquée et n’assure plus son rôle au sein de l’organisme. Dans la mucoviscidose, la protéine CFTR est dysfonctionnelle et conduit à l’obstruction des bronches et à l’incapacité respiratoire tandis que, dans la myopathie de Duchenne, la synthèse de la dystrophine est interrompue et conduit à la destruction des muscles.

Traitement « translecture » grâce à l’extrait d’un champignon comestible

De nos jours, plusieurs stratégies sont développées pour corriger les conséquences d’une mutation non-sens. L’une des pistes les plus prometteuses est la « translecture », qui consiste à forcer la synthèse complète de la protéine malgré la présence d’un codon-stop dans l’ADN. Pour cela, au moment du passage de l’ARN en protéine, des molécules leurres, situées dans l’environnement très proche de la machinerie cellulaire, peuvent tromper sa vigilance et permettre la fabrication d’une protéine complète, comme si de rien n’était. Néanmoins, les molécules capables de jouer ce rôle et identifiées à ce jour ont une efficacité très limitée et/ou une toxicité élevée. Il est donc important de continuer les recherches afin de trouver de nouveaux composés permettant la translecture.

Les premiers résultats obtenus sur les extraits du Muséum ont mis en évidence l’efficacité de translecture d’un seul extrait parmi les 400 testés. Les chercheurs sont alors remontés à l’origine de cet extrait : un banal champignon comestible du nom de Lepista inversa (ou Paralepista inversa) aussi appelé dans le langage courant clitocybe inversé. Ce champignon, que l’on trouve très facilement dans les forêts européennes aussi bien sous conifères que sous feuillus, n’a rien d’extraordinaire à première vue. Il est comestible mais n’a aucune qualité gustative, ce qui l’a fait disparaître des tables au profit des cèpes, des girolles et d’autres champignons aux goûts plus raffinés. Cependant, dans les bois de notre capitale, où il se trouve en abondance, il est souvent récolté par les sans-abri, à qui il procure un repas accessible, riche en vitamines et oligo-éléments. Dans les régions montagneuses, il est fortement déconseillé de le consommer car il est très proche morphologiquement de son cousin le Clitocybe amoenolens, très toxique, avec lequel on peut facilement le confondre. Ce champignon de l’embranchement des basidiomycètes appartient à la famille des Tricholomataceae, il est de couleur crème pâle à orangé et se développe sous la forme de cercles concentriques appelés « ronds de sorcière ». 

Afin de poursuivre l’étude sur l’activité de ce champignon, les chercheurs du Muséum en ont récolté plusieurs kilos dans les forêts et les bois d’Île-de-France. Puis ils en ont extrait les molécules par les techniques classiques de macération dans un mélange d’eau et d’alcool. L’efficacité de ce nouvel extrait a alors été confirmée sur plusieurs lignées cellulaires de patients atteints de mucoviscidose, ce qui a permis de valider sa fonction de translecture, c’est-à-dire sa capacité à leurrer la machinerie cellulaire pour conduire à une protéine complète et fonctionnelle. Cette nouvelle étape a encouragé les chercheurs à continuer leurs travaux jusqu’à déterminer le composé produit par ce champignon responsable de l’activité de translecture. C’est au terme de plusieurs analyses chromatographiques que la molécule 2,6 diaminopurine a été isolée. Cette molécule, dont on ne connaît pas encore le rôle chez le champignon, est structurellement proche des acides nucléiques et a montré sa capacité à réparer les mutations non-sens dans les lignées cellulaires humaines, mais également dans des modèles animaux. Elle est de plus très peu toxique pour l’organisme. 

Cette découverte ouvre la voie à un nouveau traitement et donne de l’espoir aux patients atteints de maladies génétiques rares même si un long chemin reste encore à parcourir. L’objectif est de pouvoir corriger les aspects cliniques de ces maladies en réparant les mutations non-sens et en restaurant ainsi la fonction des gènes mutés.

Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022.

Autrices

Séverine Amand

Séverine Amand

Responsable technique de la Chimiothèque et de l’Extracothèque du Muséum national d'Histoire naturelle, collections de l’ensemble RBCEll (Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes - UMR 7245)

Christine Maulay-Bailly

Christine Maulay-Bailly

Responsable technique de la Chimiothèque et de l'Extractothèque au Muséum national d'Histoire naturelle (Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes - UMR 7245)

La Terre, le vivant, les humains

  • Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
  • 2022
  • Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
  • 196 × 249 mm
  • 420 pages
  • 45 €