Les holobiontes, associations de bienfaiteurs

Humains, animaux, plantes… Tous sont des holobiontes, c'est-à-dire des êtres vivants constitués non seulement de leurs propres cellules, mais aussi d'une quantité fantastique de micro-organismes qui leur sont associés (bactéries, champignons, virus…). L'ensemble de ce petit monde dialogue en échangeant une grande variété de molécules, qui inspirent la chimie verte.

Les holobiontes, fruits d'alliances intelligentes

Microbiotes - Muséum national d’Histoire naturelle

Microbiotes - Muséum national d’Histoire naturelle

© MNHN - J.-P. Lopez

Nous ne sommes pas seuls dans notre corps... Voilà le constat qui a amené les biologistes à concevoir les êtres vivants comme des holobiontes.

Un supra-organisme

Savez-vous qu'un être humain abrite 10 fois plus de cellules microbiennes que de cellules humaines ? Et que chaque adulte héberge environ 2 kg de ces micro-organismes dans son intestin ? Enfin, que sans ces microbes nous sommes incapables de survivre ? Ils fabriquent pour nous des vitamines essentielles, luttent contre des agents pathogènes, réalisent une grande partie de la digestion, et influencent même l'équilibre chimique responsable de notre humeur.

Vous, moi, le chat, votre plante verte, une algue, tous les êtres vivants sont finalement des holobiontes.

Soizic Prado, professeure du Muséum national d'Histoire naturelle, responsable de l'équipe Chimie des Produits Naturels Fongiques et Bactériens (UMR 7245, Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes)

Un hôte et ses locataires

Voilà pourquoi les biologistes considèrent de plus en plus chaque individu comme un holobionte, c'est-à-dire un supra-organisme composé d'un hôte multicellulaire peuplé d'une myriade de micro-organismes (bactéries, champignons, protozoaires, virus, etc.). Le terme « holobionte » vient de la notion philosophique de l'holisme, qui invite à considérer un système dans son intégralité, plutôt que par le prisme des individualités qui le composent. Il vient du grec « holos » (le tout) et « bios » (la vie).

Corail blanc

Corail blanc

© B. Yamamoto - stock.adobe.com

Les coraux, stars des holobiontes

Le corail fut l’un des premiers êtres vivants étudiés en tant qu’holobionte, au début des années 2000. Cet animal marin ne peut survivre sans des micro-algues (les zooxanthelles) qu'il héberge à l'intérieur de ses tissus. Ces algues le colorent, car elles possèdent des pigments qui captent certaines fréquences lumineuses. Par photosynthèse, elles fabriquent des éléments nutritifs pour le corail. Quand il fait trop chaud, la zooxanthelle quitte son hôte, qui perd ses couleurs : c'est le blanchissement.

Microbiote : les plantes aussi !

On connaît le microbiote intestinal, c'est-à-dire l'ensemble des micro-organismes qui cohabitent dans notre intestin. Mais les plantes ont aussi leurs microbiotes : celui qui vit à leur surface est dit « épiphyte », et celui qui vit à l'intérieur de leurs tissus est dit « endophyte ».

Virtuoses de l'écologie chimique

La santé et le bon équilibre d'un holobionte reposent sur la capacité de tous les membres associés à dialoguer entre eux et avec leur environnement grâce à l’échange de molécules. L’étude de ces interactions chimiques constitue le fondement de l’écologie chimique.

Des relations étroites

Chaque holobionte survit grâce à un subtil jeu d'interactions entre tous les organismes qui le composent. Certaines s'avèrent bénéfiques, d'autres délétères. L’équilibre de chaque holobionte est régi par un dialogue constant entre l'hôte et ses locataires.

La chimie, un langage très efficace

Cette communication via l'émission et la réception de molécules s'est mise en place progressivement, au cours de millions d'années d'évolution. Ces interactions ont généré un immense éventail de substances naturelles souvent très spécifiques : elles n'agissent que sur une cible, provoquant un changement de comportement précis.

Eponge (Aplysina aerophoba) en mer Méditerranée

Eponge (Aplysina aerophoba) en mer Méditerranée

© Kolevski.V - stock.adobe.com

Les éponges, championnes des interactions chimiques

Sans carapace, ni pinces, ni organe de la vision, ces animaux fixés sur le sol s'avèrent extrêmement vulnérables face à leurs prédateurs, comme les poissons. Leur seule arme : les molécules chimiques qu'elles ou leurs micro-organismes associés sécrètent ! C'est ainsi qu'elles se protègent des prédateurs et des colonisateurs, qu’elles luttent pour l’espace et la nourriture, ou contre l’exposition aux ultra-violets.

Les holobiontes, reines du dialogue

Comprendre les interactions chimiques entre un organisme et les partenaires qu'il héberge permet d'identifier des milliers, voire des dizaines de milliers de substances capables d'agir de manière ciblée et efficace sur le vivant. Les holobiontes représentent donc un vivier gigantesque de molécules aux pouvoirs chimiques puissants, encore peu exploité.

Un besoin d'innovation

Cette panoplie de substances constitue une source d'inspiration dans des domaines aussi variés que la médecine, l’agriculture, les industries écoresponsables. On cherche par exemple de nouveaux antibiotiques pour remplacer les anciens dont l'efficacité s'effrite contre des bactéries devenues résistantes aux antibiotiques existants. En agriculture, de nouvelles solutions naturelles et durables sont recherchées en remplacement des phytosanitaires qui polluent durablement les sols. Enfin, toutes les industries sont en quête d'une chimie verte, basée sur des composés biodégradables, plus respectueux de l'environnement.

Biosynthèse : quand la vie inspire la chimie

Les substances naturelles produites au sein des holobiontes se montrent non seulement efficaces, mais aussi contrôlées par des mécanismes précis. Des équipes du Muséum cherchent donc à « copier » ces comportements du vivant pour des applications médicales ou industrielles : c’est la bio-inspiration.

Et si des microbes nous apprenaient à fabriquer des antibiotiques ?

Les microbes secrètent de nombreux composés pour se défendre des autres espèces. Quand ils ciblent des micro-organismes provoquant des maladies chez les humains ou les plantes que nous cultivons, ils constituent de bonnes pistes d'antibiotiques. Certains s'avèrent très spécifiques (ils ne s'attaquent qu'à une souche particulière), d'autres plus généralistes.

Les bactéries du sol du genre Streptomyces produisent quantité de molécules bioactives aux propriétés antibiotiques. Nous les identifions et essayons de comprendre comment elles inhibent la croissance de leurs adversaires. Nous explorons aussi des voies de biosynthèse : il s’agit de faire produire par des microbes que l'on cultive les molécules dotées des propriétés qui nous intéressent.

Yanyan Li, chargée de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle dans l'équipe Biochimie des Interactions Microbiennes (UMR 7245, Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes)

Et si les éponges détenaient le secret de nouveaux médicaments ?

Antibiotiques, antioxydantes, anticancéreuses… les propriétés de nombreuses substances produites par les éponges marines intéressent les laboratoires de recherche en pharmacologie. En étudiant les propriétés de ces substances, en apprenant à les synthétiser, c'est-à-dire les reproduire artificiellement, voire à les modifier chimiquement pour améliorer leurs performances, ils conçoivent de nouveaux médicaments.

Sur plus de 30 000 molécules isolées à partir du monde marin, une trentaine sont actuellement en phase d’essais cliniques et 17 ont été commercialisées. Trois d'entre elles sont des médicaments anticancéreux, inspirés de molécules produites par des éponges marines.

Marie-Lise Bourguet-Kondracki, directrice de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle au sein de l'équipe Biochimie des Interactions Microbiennes (UMR 7245 Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes)

Et si des endophytes protégeaient les tomates de la sécheresse ?

Certains endophytes peuvent protéger la plante qui les héberge contre des stress : par exemple contre la sécheresse ou contre le sel présent dans les sols. Au laboratoire de chimie du Muséum, on étudie les mécanismes de cette protection en caractérisant les molécules qui sont secrétées par les endophytes. Une des pistes suivies : protéger les plants de tomates contre la sécheresse grâce aux molécules produites par les endophytes présents dans les graines de tomate.

Gros plan sur une algue brune (Saccharina latissima​​​​​​​)

Gros plan sur une algue brune (Saccharina latissima)

© Anghi - stock.adobe.com

Et si on nettoyait les coques des bateaux en respectant la mer ?

Les biofilms sont ces amas de bactéries qui adhèrent aux surfaces et les encrassent. Aujourd'hui, les coques des bateaux sont nettoyées avec des produits biocides (qui tuent les bactéries), toxiques pour l'environnement. On envisage la possibilité de les remplacer par des antimicrobiens sécrétés par l'algue brune Saccharina latissima. Ces substances pourraient aussi s'avérer utiles pour lutter contre les biofilms présents sur les dispositifs médicaux et source d’infections nosocomiales, c'est-à-dire contractées dans un établissement de soin.

Le Muséum, artisan de la bio-inspiration

La bio-inspiration est un outil puissant de la transition écologique que le Muséum développe à travers de nombreuses actions coordonnées à travers le programme bioinspire : mise à disposition de ses collections et de son expertise pour les laboratoires de recherche du monde entier ; actions de sensibilisation auprès des industriels, des universitaires, des institutions et du grand public ; programmes de recherches spécifiques.

Dossier rédigé en janvier 2024.

Relecture et contribution

Soizic Prado

Professeure au Muséum national d'Histoire naturelle et responsable de l'équipe Chimie des Produits Naturels Fongiques et Bactériens (Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes, UMR 7245)

Yayan Li

Yayan Li

Chargée de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle dans l'équipe Biochimie des Interactions Microbiennes (Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes - UMR 7245)

Marie-Lise Bourguet-Kondracki

Marie-Lise Bourguet-Kondracki

Directrice de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle au sein de l'équipe Biochimie des Interactions Microbiennes (Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes - UMR 7245)

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