Les dinosaures se seraient-ils éteints quoi qu’il arrive ?
Pourquoi parler encore et toujours de l’extinction des dinosaures à la fin du Crétacé, alors qu’il est maintenant communément admis que les oiseaux sont des dinosaures ? Avec une dizaine de milliers d’espèces dans la nature actuelle (et bien qu’une espèce d’oiseaux sur sept soit menacée d’extinction d’après l’UICN), les dinosaures semblent encore avoir un avenir.
La diversité taxonomique (le nombre d’espèces) et surtout la disparité morphologique des dinosaures actuels n’ont rien à voir avec celles observées au Crétacé supérieur. À cette époque, les dinosaures volaient déjà, mais pouvaient aussi être d’excellents coureurs bipèdes ou quadrupèdes, être carnivores ou herbivores, poïkilothermes ou homéothermes. Ils possédaient des cornes, des collerettes ou des plaques ; certains mesuraient jusqu’à 30 mètres de long alors que d’autres ne dépassaient pas les 50 cm.
Cette disparité morphologique portée par des adaptations toujours plus nombreuses apparues au cours de l’histoire évolutive des dinosaures est complètement et définitivement perdue à la fin du Crétacé. C’est bien de cette perte de disparité qu’il s’agit quand on parle d’extinction des dinosaures.
La chute d’une météorite d’une quinzaine de kilomètres de diamètre il y a 66 millions d’années à la verticale du désormais village de Chicxulub, au Mexique, est un fait scientifique. Elle n’est pas contestable et n’est plus contestée depuis une trentaine d’années. Le fait qu’on ne retrouve plus de restes de dinosaures non aviens passé cette date est tout aussi incontestable. Tout porte donc à croire que ces deux événements sont étroitement corrélés, même si d’autres facteurs doivent être pris en compte.
Aujourd’hui, le taux d’extinction des espèces est estimé 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu’il devrait être normalement. Il faut remonter à la fin du Crétacé pour retrouver une telle situation et on peut facilement concevoir que, si les dinosaures ont disparu, la même mésaventure pourrait arriver à l’homme. L’étude des extinctions de masse et de leur fonctionnement par de nombreux scientifiques, négligée avant les années 1990, prend tout son sens à l’aune de la crise actuelle.
Qu'est-ce qu'une météorite ?
À disparition exceptionnelle, causes exceptionnelles !
L’étude des extinctions de masse peut et doit être abordée à travers deux problématiques : celle de la causalité de l’extinction, qui mobilise un corpus de connaissances et de savoir-faire lié aux sciences de la Terre, et celle de la réalité de l’extinction, qui nécessite d’estimer au mieux l’évolution de la biodiversité au cours des temps géologiques par une approche paléontologique et systématique.
Derrière le débat un peu puéril de savoir qui a tué les dinosaures (et la course à la publication qui en découle), beaucoup de progrès ont été réalisés du côté des sciences de la Terre. De nombreuses études se sont attachées à préciser l’intensité et la chronologie des événements géologiques qui jalonnent l’histoire de la planète à la fin du Crétacé, mais trois hypothèses antagonistes demeurent.
Qu'est-ce qu'un fossile ?
La première hypothèse considère que la météorite de Chicxulub est la seule responsable de la disparition des dinosaures.
Une large étude publiée en 2010 a montré que cet unique impact était à l’origine du dépôt riche en iridium qui marque la limite entre le Crétacé et le Tertiaire, mais aussi des dépôts d’éjecta retrouvés en plus ou moins grande quantité selon leur éloignement de la zone d’impact. Ces dépôts incluent un cortège de roches et de minéraux caractéristiques des impacts météoritiques comme les tectites, les minéraux choqués ou les spinelles riches en nickel. À une échelle plus réduite, des dépôts sédimentaires liés au tsunami engendré par l’impact sont observables, comme l’a montré la découverte du site de Tanis, dans le Dakota, témoin des conséquences immédiates de l’impact sur la faune locale.
À cette part observable des conséquences de l’impact météoritique, il faut ajouter les scénarios post-impact pour comprendre l’extinction des dinosaures. L’énergie délivrée au cours de l’impact serait 21 milliards de fois celle de la bombe d’Hiroshima. Elle aurait instantanément provoqué une onde de choc dévastatrice et la libération de grandes quantités de poussières, de débris et de gaz provoquant un refroidissement prolongé, une baisse de la luminosité et une acidification des océans qui auraient décimé les producteurs primaires et les espèces qui en dépendent.
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Ce scénario bien huilé se heurte cependant à plusieurs critiques. Il ignore assez largement les autres facteurs qui pourraient être à l’origine de l’extinction et, surtout, en se focalisant sur la simple cause, il n’explore que de façon très superficielle ses effets sur le vivant. Enfin, si la météorite de Chicxulub suffisait à elle seule à expliquer la disparition de 75 % des espèces à la fin du Crétacé, comment expliquer que certains cratères de grande taille ne sont liés à aucune extinction ?
Seconde hypothèse : le coup de grâce
Cet argument est largement repris par les tenants d’une seconde hypothèse, qui considèrent que la météorite de Chicxulub n’a fait que porter le coup de grâce à des populations de dinosaures déjà affaiblies à la suite des changements climatiques et écologiques provoqués par les épanchements basaltiques du Deccan, en Inde. On estime que la province magmatique des trapps du Deccan recouvrait à l’origine la moitié de l’Inde et qu’un peu plus de 600 000 kilomètres cubes de basaltes se sont déposés en moins d’un million d’années. Établir le nombre, l’âge et l’intensité des éruptions du Deccan, ainsi que leur positionnement chronologique par rapport à l’impact de Chicxulub est donc crucial pour comprendre l’extinction. Une première équipe de chercheurs a récemment mis en évidence quatre périodes éruptives importantes en datant des zircons provenant de différentes coulées. Deux de ces épisodes auraient eu lieu avant l’impact météoritique et devraient donc être pris en compte dans les modèles cherchant à expliquer l’extinction des dinosaures. Néanmoins, les résultats d’une seconde équipe qui, elle, a daté directement les coulées de lave tendent à prouver que la mise en place des trapps du Deccan s’est faite de façon continue principalement après l’impact, et suggèrent même une recrudescence des éruptions après celui-ci.
L’extinction des dinosaures : contingence ou fatalité ?
Du côté des études portant sur l’évolution des dinosaures à la fin du Crétacé, aucun consensus n’a non plus vraiment été atteint. La grande majorité des paléontologues considèrent que les événements géologiques exceptionnels que nous venons de décrire sont directement responsables de la disparition des dinosaures non aviens. Des analyses de l’évolution de la diversité spécifique et de la disparité morphologique des dinosaures ont montré qu’il n’existait aucune preuve d’un déclin global à long terme des dinosaures avant leur extinction, il y a 66 millions d’années, mais qu’on observait néanmoins, un peu avant la crise, une réduction de la diversité des grands dinosaures herbivores (les cératopsiens et les hadrosaures) en Amérique du Nord, rendant peut-être ces communautés plus sensibles aux extinctions à venir.
D’autres analyses, encore plus récentes (portées par des modèles probabilistes d’évolution en utilisant les mêmes données), arrivent à une conclusion tout à fait différente et nous assurent que les dinosaures étaient déjà sur le déclin il y a 76 millions d’années, bien avant l’extinction Crétacé-Tertiaire. Qui croire ? S’il existe bien évidemment des problèmes inhérents à chacun de ces modèles qui pourraient expliquer ces différences de résultat, la réalité est bien plus prosaïque et ne tient qu’à un problème connu de tous les paléontologues depuis près de deux siècles, celui du registre fossile. La fossilisation est un processus exceptionnel et les archives fossiles sont très incomplètes. Celles du Maastrichtien (le dernier étage du Crétacé) le sont plus encore et les seuls gisements de dinosaures du Maastrichtien bien connus à cette époque sont tous situés soit en Amérique du Nord (Canada et États-Unis) soit en Asie (Chine et Mongolie).
Or, pendant tout le Crétacé supérieur, les faunes de dinosaures présentent un provincialisme bien marqué. Les faunes d’Asie et d’Amérique du Nord sont dominées chez les herbivores par les cératopsiens et les hadrosauridés, et chez les carnivores par les tyrannosauridés. Au même moment, on sait que ces groupes sont totalement absents des faunes sud-américaines, africaines, indiennes et européennes, où les herbivores sont représentés par les sauropodes titanosaures et les carnivores par les abélisauridés. Les données fossiles sur les dinosaures maastrichtiens utilisés dans les analyses de diversité ne sont donc absolument pas représentatives des communautés de dinosaures connues à la fin du Crétacé. Les résultats de ces analyses peuvent tout au plus s’appliquer aux communautés asiatiques et nord-américaines, mais ne peuvent en aucun cas être généralisés à l’ensemble des dinosaures.
Le cas des hadrosauridés illustre bien ce fait. Alors que leur diversité semble décliner en Amérique du Nord au Maastrichtien, on les voit apparaître et se diversifier pour la première fois dans le registre fossile européen et africain à la même époque, preuve que le groupe est loin de péricliter. Au Crétacé, les hadrosauridés et les tyrannosauridés avaient déjà divergé depuis 160 millions d’années. Quand bien même on assisterait à une légère baisse de diversité de ces deux groupes de dinosaures à la fin du Crétacé, on a du mal à comprendre, d’un point de vue évolutif, pourquoi leur déclin interviendrait en même temps et pourquoi ils auraient été irrémédiablement condamnés à l’extinction.
Penser que les dinosaures étaient condamnés à disparaître à un moment de leur histoire, ce serait reconnaître que l’évolution est prédictible. Or l’évolution est une science historique et son cours est par nature non prévisible. Elle ne peut être réduite à un simple modèle mathématique. Le fait que des dizaines d’espèces de dinosaures disparaissent en même temps que des milliers d’autres espèces animales et végétales à la fin du Crétacé nous montre bien le caractère exceptionnel et aléatoire de cet événement.
Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022.
La Terre, le vivant, les humains
La Terre, le vivant, les humains
- Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
- 2022
- Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
- 196 × 249 mm
- 420 pages
- 45 €
Auteur
Ronan Allain
Maître de conférence au Muséum national d'Histoire naturelle (Centre de recherche en paléontologie - UMR 7207)