One Health : une seule santé animale, humaine et environnementale

Le mot "santé", dans l’esprit du grand public comme dans la médecine occidentale, renvoie principalement à la santé humaine. Depuis quelques années cependant, avec l’émergence d’une conscience environnementale collective, s’affirme l’idée que la santé humaine est fortement dépendante de celle des animaux et des végétaux qui nous entourent, mais aussi de celle des écosystèmes dans lesquels nous vivons. Notre santé n’est qu’une des facettes d’une seule et même santé.

Le concept « Une seule santé (One Health) » a été introduit au début des années 2000 et adopté progressivement par des institutions spécialisées de l’ONU telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et, plus récemment, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

Il se fonde sur la triade de la santé environnementale, de la santé animale et de la santé humaine, indissociables compte tenu de leurs étroites interactions et interdépendances. Ce concept a émergé et s’est amplifié dans un contexte de changement climatique, de destruction des habitats naturels, de pollution (air, eau, sol), de raréfaction des ressources naturelles, de croissance démographique mondiale. Toutes évolutions qui engendrent des pressions sanitaires mouvantes et provoquent l’émergence ou la réémergence de maladies qui en retour dégradent l’écosystème environnemental. Ainsi, l’approche Une seule santé invite à penser la santé autrement en reconnaissant l’interdépendance du bien-être des populations humaines avec celui des animaux et des écosystèmes dans lesquels elles cohabitent sur la même planète. L’exemple le plus frappant est la crise du Covid-19. Il y en a bien d’autres, certes moins marquants par leur étendue, mais tout aussi démonstrateurs de l’approche One Health, où la perturbation de l’un affecte les autres dans cet équilibre interconnecté et fragile. En voici trois illustrations, dont certaines se déroulent en France, peut-être près de chez vous.

L'écureuil de Corée, une espèce invasive menaçante

écureuil de Corée sur une branche

L’écureuil de Corée

© NICOLAS LARENTO - stock.adobe.com

Les écureuils sont des mammifères appartenant à l’ordre des rongeurs et à la famille des sciuridés. En Europe, 12 espèces sont présentes, dont 6 autochtones et 6 introduites. Trois sont présentes en France métropolitaine, l’écureuil roux d’Europe (Sciurus vulgaris), le plus connu et autochtone, et deux espèces introduites, l’écureuil de Corée (Tamias sibiricus) et l’écureuil de Pallas (Callosciurus erythraeus). L’écureuil de Corée est originaire d’Asie, un nouvel animal de compagnie (NAC) vendu dans les animaleries depuis 1960. Les premiers individus ont été importés de Corée du Sud (d’où le nom vernaculaire). La plupart des populations sont installées en Île-de-France et en Picardie, établies dans des forêts de feuillus ou mixtes, des parcs et des jardins publics, et forment des populations assez denses (jusqu’à 10 000 individus par population). L’introduction involontaire de ces écureuils a des impacts écologiques sur la faune autochtone. Ils entrent en compétition alimentaire avec les rongeurs forestiers, les écureuils roux (espèce protégée depuis trente ans en France), les campagnols roussâtres et les mulots sylvestres, tous ayant des régimes alimentaires similaires.

Toutefois, le principal impact de l’écureuil de Corée concerne la santé humaine parce qu’il constitue un réservoir des bactéries responsables de la borréliose de Lyme. Cette maladie vectorielle est transmise à l’homme par la tique Ixodes ricinus. L’écureuil de Corée peut être porteur de trois espèces de tiques contre une pour les rongeurs forestiers et les oiseaux (l’écureuil roux est très peu porteur). Les travaux menés par les chercheurs du Muséum et de l’INRAE ont montré une prévalence importante (35 à 75 % des écureuil de Corée étaient infectés par ces agents pathogènes) avec une forte charge en tiques (plusieurs centaines par individu). Dans ce contexte, sa vente dans les animaleries et sur Internet est interdite depuis 2016.

La prolifération du moustique tigre

Moustique tigre au corps rayé noir et blanc.

Moustique tigre (Aedes albopictus)

© Gordzam - stock.adobe.com

Les canicules répétées de ces dernières années ont marqué les esprits. L’augmentation de température peut également favoriser le développement et l’activité de certains microbes (parasites, bactéries, virus) en élargissant leurs zones de distribution au-delà des régions tropicales, en accélérant leur vitesse de maturation, de mutation et de transmission, et en produisant de nouvelles souches plus virulentes ou résistantes aux traitements, voire de nouvelles maladies. Durant l’été 2017, une épidémie de chikungunya a frappé Rome avec environ 300 cas signalés, tous transmis par le moustique tigre (Aedes albopictus). Apparue en France à Menton en 2004, cette espèce a élu domicile en région parisienne en 2016, à la faveur du changement climatique.

Selon l’Institut Pasteur, la femelle du moustique tigre est capable de transmettre plus de 20 virus, dont ceux de la fièvre jaune, de la dengue, du chikungunya et du Zika. Aucun autre moustique ne peut en transmettre autant. Lorsque, pour la maturation de ses œufs, la femelle pique une personne malade, le virus se multiplie dans tous ses organes internes, y compris ses glandes salivaires. Lorsqu’elle va piquer une nouvelle personne, elle lui transmet le virus. Ce qui rend ce moustique encore plus dangereux, c’est qu’il est particulièrement invasif et résistant. Ses œufs peuvent résister des mois, voire des années, à un environnement sec et éclore lorsqu’ils sont remis en eau. Il est par ailleurs capable de supporter des températures plus basses que les autres espèces tropicales. Il peut donc se propager aisément.

Le changement climatique agit non seulement sur l’aire de distribution du moustique, mais encore sur l’accélération de son cycle de développement pour devenir un vecteur de maladie. Il faut entre 6 et 10 jours pour passer de l’œuf à l’adulte entre 20 et 25 °C. Ce délai n’est plus que de 6 jours à 28 °C. La lutte contre le moustique tigre passe par la prévention et l’éducation de la population – élimination de l’eau stagnante, installation de moustiquaires, vaccination quand le vaccin est disponible, lutte biologique par les prédateurs naturels de larves de moustiques (par exemple les libellules ou certains poissons) – et par la recherche.

Les conséquences écologiques du déclin des vautours du sous-continent indien

Dans la culture hindoue, les bovins sont des animaux sacrés et ne sont pas consommés. Néanmoins les vaches sont utilisées pour la production laitière et leur force de travail. Il y a environ 500 millions de bovins en Inde. En éliminant efficacement les carcasses, les vautours chaugouns (Gyps bengalensis), charognards efficaces, jouaient un rôle clé dans l’écosystème de la société indienne. C’était sans compter, à partir des années 1980, l’utilisation vétérinaire massive du diclofénac (un anti-inflammatoire non stéroïdien) pour le traitement des bovins, qui a provoqué, par contre-coup, l’effondrement des populations de vautours résidant dans le sous-continent indien. 97 % des populations de vautours ont disparu en Inde depuis le début des années 1990 et 85 % des morts de vautours (qui se nourrissent de charognes provenant de bovins) sont liées à une insuffisance rénale consécutive à l’intoxication par le diclofénac.

L’effondrement soudain de ce système naturel d’élimination des bovins morts a eu de multiples conséquences. Les carcasses autrefois dévorées par les vautours pourrissent dans les champs, entraînant la contamination de l’eau potable. La disparition des vautours a permis à d’autres espèces comme les chiens errants et les rats de prendre le relais du système défaillant d’équarrissage naturel. Ces charognards très nombreux (les chiens errants sont estimés 18 millions en Inde, la population de carnivores la plus importante dans le monde) ne sont pas aussi efficaces que les vautours car le métabolisme des vautours est une impasse pour les pathogènes, alors que les chiens et les rats deviennent porteurs de germes (rage, anthrax, peste) contractés sur les carcasses en décomposition. Plus de 30 000 personnes meurent de la rage chaque année en Inde (70 % des victimes sont des enfants de moins de 15 ans), soit plus de la moitié du total mondial de décès dus à cette terrible maladie.

Schéma One Health

Le concept Une seule santé (santé environnementale, santé animale, santé humaine) vise à mettre en évidence l’indissociabilité de l’écosystème environnemental face à la surexploitation des combustibles fossiles responsable du changement climatique, de la perte de la biodiversité et de la pollution chimique (dont les perturbateurs endocriniens).

© MNHN - B. Demeneix, DAO Margot Pagola

Environ un demi-million d’Indiens sont traités chaque année contre la rage. En plus du coût des soins, le gouvernement indien est confronté au problème de la gestion de cette population d’animaux porteurs de maladies (les chiens errants sont également des animaux sacrés en Inde). La vaccination et la stérilisation des animaux coûtent cher. On estime que le déclin des vautours a coûté jusqu’à présent à l’Inde 34 milliards de dollars.

Si les conséquences sanitaires, écologiques et économiques sont importantes, l’impact culturel n’en reste pas moins majeur. Selon les croyances des Parsis (vivant en grande partie en Inde), la terre, le feu et l’eau sont des éléments sacrés. La crémation et l’enterrement des défunts sont sacrilèges. Pour que le défunt parsi atteigne le ciel, les vautours servent d’intermédiaires entre la terre et le ciel. Le corps mort est placé sur une Tour du silence, où les vautours, en consommant le corps, libèrent l’âme. En raison du déclin de la population de vautours, les Parsis ont dû abandonner ces anciennes coutumes pour des raisons d’hygiène, puisque les corps mettent désormais six mois à disparaître. Malgré le retrait du diclofénac en 2006 (remplacé par le méloxicam), il est encore vendu en Inde dans certaines régions (la substance pour l’usage humain étant parfois utilisée à des fins vétérinaires). Les populations de vautours continuent à décroître, entre 20 % et 40 % par an depuis 2007. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) considère que plusieurs espèces de vautours sont en danger critique d’extinction en Inde

De ces trois exemples, il apparaît clairement que des facteurs anthropogéniques, qui reflètent les conséquences du mode de vie actuel de notre société humaine, ou des méconnaissances et/ou imprudences dans ses pratiques sont à l’origine des bouleversements de l’interdépendance entre la santé humaine, la santé animale et la santé de l’écosystème. L’approche Une seule santé a pour ambition de concevoir et de mettre en œuvre des programmes de recherche pluridisciplinaire, des politiques de santé publique et d’aménagement des territoires pour préserver un écosystème compatible avec un développement durable.

Jian-Sheng Sun, Directeur de département au Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7196, Adaptations du vivant). Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022. 

La Terre, le vivant, les humains

  • Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
  • 2022
  • Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
  • 196 × 249 mm
  • 420 pages
  • 45 €

Tribune du Muséum : une planète, une santé - Octobre 2020

© MNHN

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