L'histoire de "Sergio", le plus gros diamant jamais découvert
En 2023, le professeur François Farges découvre au Muséum le moulage de Sergio, un diamant noir qui aurait été le plus gros du monde. Retour sur l’histoire tourmentée de ce minéral mal-aimé, bien plus gros que tout autre diamant connu.
Au Brésil, une découverte remarquable
Un pays minier
En juillet 1895, Sergio Borges de Carvalho remue des graviers diamantifères à Lençóis, dans l'État de Bahia, au Brésil depuis des années. Plus précisément, il s’échine durement pour le compte de la "Deuxième compagnie" dont le gisement se situe entre la rivière Rio de Roncador et le ruisseau das Bicas. Cette région, la Chapada Diamantina, est connue, comme son nom l’indique, pour ses gisements de diamants, y compris les grands diamants noirs qu’on nomme aussi carbonado, un mot forgé par les mineurs brésiliens vers 18421. Les garimpeiros, indépendants ou quelquefois salariés, côtoient alors des esclaves qui extraient les diamants à Bahia. Tous sont d’ascendance, entièrement ou partiellement, afro-brésilienne2 et vivent dans des conditions misérables sauf quelques rares découvreurs chanceux.
Le plus gros diamant du monde
C’est donc en 1895 que Sergio découvre un diamant noir remarquable de 3167 carats, si l'on suit ce qui est dit à l'époque (soit 649,23 g, car le carat d’alors au Brésil valait 0,205 g)3. Pour autant l'étude de documents brésiliens originaux de 1895 montre que ce poids fut donné en carats anciens du Brésil qui valent 1,0246 carats actuels. Le véritable poids de ce diamant noir est donc de 3245 carats actuels. Quoi qu'il en soit, le minéral sera nommé en son honneur : le Sergio.
Ce diamant carbonado est bien le plus gros diamant jamais découvert, car le Cullinan4, découvert 10 ans plus tard, pesait 3106 carats brut.
Paul Serre, alors consul de France au Brésil et correspondant du Muséum, informe en 1913 que Sergio Borges de Carvalho toucha l’équivalent de 150 000 francs pour ce diamant. Il décrit un "mineur très fruste" qui "gaspilla cet argent en une année". Son article semble aujourd’hui lourdement teinté de clichés voire de racisme envers les populations locales. Par exemple, Serre oublie de dire combien le mineur a dû payer au propriétaire de la mine (25 % en théorie) puis aux potentats locaux, prélevant taxes officielles et dimes officieuses ainsi qu’à d’autres mafieux sans parler de vols ou de solde d’acomptes jamais payés ; le tout dans une région reculée, sans grande infrastructure bancaire et fourmillant d’escrocs sans vergogne.
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Une couleur peu appréciée
Dans l'esprit commun, le Sergio est largement sous-estimé. Pour cause : une influence culturelle des pays européens dont les diamants sont mis au-devant de la scène, mais aussi un désamour particulier pour ces gemmes noires. En Occident, les diamants carbonés n’ont jamais été aussi appréciés que les "blancs".
Sur les traces du Sergio
Aux origines des premiers moulages français
Dans ses écrits, Paul Serre rajoute qu’"avant de briser cet énorme morceau de carbone qu'aucun musée ne consentit à acheter, on en prit deux moulages. L'un d'eux est conservé à Paris et l'autre à l'Institut historique et géographique de São-Salvador". Très peu d’informations sont donc disponibles quant à son lieu de conservation parisien, tandis que le second est vraisemblablement l’Instituto Geográfico e Histórico à Bahia de Salvador (Bahia, Brésil). Le Paris d’alors est assez vaste, surtout d’un point de vue minéralogique avec, au bas mot, cinq grandes collections : outre les trois qui existent encore aujourd’hui – celles du Muséum, des Mines et de la Sorbonne – il y avait également des collections qui n’existent plus : celles du Collège de France et de l’École normale.
Un diamant avec de l’intérêt scientifique
Le grand chimiste français Henri Moissan (1852-1907), futur prix Nobel de chimie mais déjà reconnu pour avoir isolé l’élément fluor, s’intéresse de près au diamant noir dans son laboratoire parisien de l’École supérieure de pharmacie. Élève d’Edmond Frémy (1814-1894), le professeur du Muséum qui initia la synthèse des rubis, Moissan effectue des recherches sur la synthèse des diamants. La synthèse des minéraux "précieux" est alors une science d’avant-garde, non pas qu’elle serve particulièrement pour la joaillerie mais plutôt pour la fabrication de montres et d’outils : ces matériaux permettent une grande précision et font preuve d’une forte résistance quand il faut percer des tunnels ferroviaires. Moissan publie une courte note dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences (23 septembre 1895) puis dans la revue La Nature un article reprenant sa note in extenso et en rajoutant quelques données supplémentaires dont une gravure de la roche remarquable.
Malgré ses avancées, il faudra cependant attendre la fin du XXe siècle pour que la synthèse du diamant prenne son essor avec l’adjonction de la pression, ce qui manquait au protocole de Moissan, ne proposant qu’un traitement à haute-température.
L'Histoire de la chimie au Muséum
Disparition du carbonado
Moissan fait confectionner un moulage du diamant car rares sont ceux en France voulant préserver cette merveille de la nature. Le minéral coûte cher, certes, puisqu’il permet de polir les diamants incolores encore plus dispendieux ou encore de forer plus rapidement. Ainsi, bien qu’il soit dix fois plus gros que d’autres carbonados que l’on connaisse, il ne provoque pas vraiment l’intérêt des foules.
En septembre 1895, le diamant noir est revendu au "diamantaire" James Ker Gulland (1835-1921) de Westminster, qui possède la société Diamond Drill Co spécialisée dans l’outillage de percement à base de diamant. Deux moulages sont faits aux abords de la Tamise et remis à deux musées anglais : le British Museum (Natural History) et le Museum of Practical Geology. Après leur fusion, l’actuel Natural History Museum possède donc deux moulages du Sergio5.
Le minéral sera ensuite cassé en petits fragments de 3 à 6 carats, et revendus à l’unité pour un usage industriel.
Côté français, le moulage disparaît des esprits à cause d’une désignation inappropriée de Moissan qui ne fut pas corrigée par la professeur Alfred Croix au Muséum. En effet, le conservateur des collections de minéralogie d’alors ne le classe pas parmi les diamants, mais l’enregistre en tant que "carbone". Sa destinée "technologique" n’arrangea rien, et rares sont les collectionneurs de minéraux qui possèdent encore aujourd’hui un carbonado. Le Cullinan lui volant rapidement la vedette après avoir été découvert en Afrique du Sud, Sergio finit par tomber dans l’oubli.
- 5Voir Hansen et al., 2023
Petite histoire du brillant
Une histoire de dureté
Diamant noir et blanc ont la même dureté : 10 sur l’échelle arbitraire de l’allemand Mohs s’étageant entre 1 (le talc, le plus tendre) à 10. Mais le diamant noir est un agrégat de micro-cristaux de diamants plutôt qu’un seul grand cristal de cette espèce minérale. Cette structure agrégée lui confère une ténacité que n’ont pas les diamants incolores qui sont plus fragiles malgré leur dureté élevée. Ainsi, on peut couper un diamant incolore en deux, ce qui relève de l’impossible avec un diamant noir. C’est pour cette raison qu’on emploie ces derniers comme polisseurs de diamant incolore, alors les plus demandés. Il faudra attendre les lasers de la fin du XXe siècle pour commencer à polir les diamants noirs qui feront enfin leur entrée dans le monde de la joaillerie. Auparavant, on frappait des morceaux de diamant noir afin de les réduire en poudre, un travail très physique, long, et fastidieux. À force de coups violents et démesurés, le diamant noir finit par céder et termine pulvérisé avant d’être mis sur la polisseuse.
En 2023, la redécouverte
Le 6 juin 2023, le professeur Farges est contacté par un collègue britannique du Natural History Museum de Londres, Robin Hansen, concernant le moulage de ce diamant noir. Le scientifique avait déjà passé en revue les carbonados plusieurs fois, tout comme ces prédécesseurs, mais jamais rien n’avait été trouvé. Après une dernière recherche : il fut enfin retrouvé ! En vérité, il avait été enregistré comme "carbon" comme Moissan l’avait décrit. Mais un "e" y fut rajouté pour donner "carbone" au Muséum. Le moulage est inventorié avec le numéro 96.135 (135e spécimen inventorié de l’année 1896). Le même tiroir recèle le modèle historique du Cullinan tel que découvert en 1905, dix années après, et avant sa retaille en dix grandes gemmes des joyaux de la Couronne britannique et une pléthore d’autres petites. Les deux, à côté l’un de l’autre, donne la mesure de ces objets perdus mais dont la trace demeure.
Un moulage de grande qualité
François Farges a ensuite étudié avec grande attention le moulage de Sergio réalisé par Moissan et retrouvé au Muséum. Il ressemble très fortement à un vrai carbonado : sa surface est métallisée et recouverte d’une couche noire. Il pèse 633,6 grammes soit seulement 0,2 de moins que l’original ! Moissan a donc ingénieusement utilisé un matériau de densité très proche de l’original, un alliage mystérieux dont les premières analyses montrent qu’il est composé de cuivre, d’argent et de magnésium. La réplique sera recouverte de laque argentée et de poudre noire de… carbone (graphite). Il est rarissime de fabriquer une réplique aussi fidèle à l’original.
À la recherche de la Toison d'or
Sergio comme objet de science : projections vers le passé
La question qui agite les minéralogistes concerne la formation même du carbonado. Nous en savons aujourd’hui davantage sur Sergio, bien qu’il ait disparu physiquement. Depuis cette trouvaille, beaucoup de diamants noirs brésiliens (Bahia, Mato grosso) ont fait jour, mais aussi de République centrafricaine (Ubangi). Dans ces deux cas, les minéraux dérivent de sédiments extrêmement remaniés mais leur roche-mère n’a pas pu encore être localisée. Les propriétés minéralogiques du carbonado sont similaires d’un gisement à l’autre6 mais on note tout de même qu’ils sont plus anciens que les diamants kimberlitiques les plus anciens que l'on connaisse (3 milliards d’année contre 3,2 à 3,9 milliards d’années).
D’où viennent les carbonados ?
Parmi les différents modèles proposés, il existe deux thèses très controversées sur l’origine de ces diamants : terrestre ou extra-terrestre.
Certaines études récentes7 semblent favoriser une origine terrestre, liée à la formation de fluides complexes sursaturés en carbone. Mais ces conditions mènent souvent à la formation d’autres types de diamants polycristallins fibreux tels les ballas (de forme sphérique) ou le bort (de forme irrégulière). Les carbonados se seraient donc possiblement formés il y a 3,8 milliards d’années voire avant, et auraient produit une structure polycristalline significativement enrichie en éléments spécifiques (uranium et thorium) tout comme d’autres types de diamants polycristallins ("diamantitites").
Dans une autre hypothèse, ils se seraient formés dans un environnement riche en hydrogène, peut-être en dehors du système solaire durant l’explosion d’une supernova ou lors d’un évènement planétaire déstabilisant. Ils seraient alors tombés sur Terre telle des météorites de diamant au niveau du craton africano-brésilien (nommé "Congo-São Francisco" par les experts).
Une saga internationale
Loin de la minéralogie esthétisante qui triomphe chez les grands collectionneurs, voici l’exemple d’une "gueule cassée" de la minéralogie qui passionnera les férus et férues d’histoires à la fois géologiques et humaines. Du mineur brésilien au prix Nobel de chimie français, cette histoire montre avant tout la beauté du monde géologique.
François Farges, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris (Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie, UMR 7590 - Sorbonne Université/CNRS/MNHN/IRD). Dossier rédigé en avril 2024.
Voir Farges François (2024), "Nouvelles découvertes autour de Sergio, le plus gros diamant (noir) connu : 3245 carats". Revue de gemmologie. AFG 223 - sous presse. Voir également Hansen R.F., Rennie L.J., Burgio L., Montgomery W., Farges F. (2024) "The Sergio: The Life and Times of the World’s Largest Carbonado". The Australian Gemmologist - soumis.
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Références scientifiques
- Fumiss H.W. (1906) Popular Science Monthly, 69, 272-273.
- Hansen R., XX et Farges F. (2023) The Sergio: the life and times of the World’s largest carbonado. Submitted to The Australian gemmologist.
- Haggerty S.E. (2014) Physical and chemical properties, a critical evaluation of proposed origins, and a revised genetic model. Earth-Science Reviews 130, 49-72.
- Herold, M.W. (2013) The Black Diamonds of Bahia (Carbonados) and the Building of Euro-America: A Half- century Supply Monopoly (1880s-1930s). Commodities of Empire Working Paper 21; https://commoditiesofempire.blogs.sas.ac.uk/files/2016/03/WP21.pdf
- Ketcham R.A. et Koeberl C. (2013) New textural evidence on the origin of carbonado diamond: An example of 3-D petrography using X-ray computed tomography. Geosphere 9, 1336–1347.
- Moissan H. (1895a) Sur un échantillon de carbon noir du Brésil. Comptes-rendus de l’Académie des sciences (23 septembre), CXXI (Juillet – décembre), 449.
- Moissan H. (1895b) Carbon noir du Brésil. La Nature, Masson, 1166 (5 octobre), 304.
- Moissan H. (1896) Recherches sur les différentes variétés du diamant. Gauthier-Villars.
- Rivot M. (1849) Analyse d’un diamant carbonique provenant du Brésil. Compte-rendus de l’Académie des sciences (5 mars 1849), pp. 317-319.
- Sautter V., Lorand J.-P., Cordier P., Rondeau B., Le Roux H., Ferraris F., Pont S. (2011) Petrogenesis of mineral micro-inclusions in an uncommon carbonado. Eur. J. Mineralogy, 23, 721-729.
- Serre P. (1913) Au pays du carbone amorphe (Carbonato). Bulletin du Muséum National d’Histoire Naturelle, Vol. 19, 133-136 ; https://www.biodiversitylibrary.org/page/5051898#page/155/mode/1up