Les plantes des franciliens

Avez-vous déjà remarqué, dans des salles d’attentes de médecins, dans les loges d’immeubles parisiennes, ces arbres ornementaux en pot, avec de grandes feuilles épaisses, rigides et piquantes ? Ou encore, des plantes « à mémée » plus petites, à feuillages larges et souples ? Il s’agit des Yuccas et des Aspidistras, sans doute les plantes les plus répandues dans les halls d’entrée des villes françaises. Ce ne sont cependant pas les seules plantes des franciliens.

Vedettes des loges d'immeubles à Paris

Yucca

Le Yucca, une plante d’Amérique Centrale devenue phare en Ile de France - Jardin des Altérités, 2022

© L. Fossard
Aspidistra

L’Aspidistra, une plante d’Asie intégrée partout en Ile de France - Jardin des Altérités, 2022

© L. Fossard

Les plantes d’origines royales

Le Yucca est une plante vivace américaine provenant des régions arides du sud des États-Unis et d’Amérique centrale, comme le désert des Mojave (ouest des États-Unis) ou encore le désert de Chihuahua (nord du Mexique). Ses fibres étaient déjà utilisées par les populations autochtones précoloniales pour réaliser de la vannerie, et dans leur alimentation. Il en existe une cinquantaine d’espèces, et de toutes les tailles.

L’Aspidistra est quant à elle une vivace originaire d’Asie, et plus particulièrement de Chine, où on utilisait le rhizome de cette plante comme antalgique. Sa grande adaptation à l’ombre la rend très propice pour les cultures en pots et la décoration intérieure ainsi qu’en plantation disséminée en sous-bois.

Des plantes royales devenues banales

Dans leurs habitats naturels, il existe de nombreuses variétés de Yuccas et d’Aspidistras. Aussi, les « découvertes » et appropriations de ces végétaux par les Européens ont été multiples et s’étalent dans le temps, à partir du XVIe siècle pour le Yucca Gloriosa. Chaque spécimen rapporté a été planté puis acclimaté dans le jardin de quelques collectionneurs, dont le celui du Roi, ce qui en faisait autrefois des espèces de grande valeur.

Femme de ménage

Femmes de ménage - Atelier Robert Doisneau, Archives photographiques

© R. Doisneau

L’Aspidistra s’est peu à peu démocratisée au XIXe siècle. Elle a intégré, dans un premier temps les jardins publics, puis progressivement les intérieurs des particuliers. Au début, elle est l’apanage des classes sociales aisées, qui se prennent en photo à côté de leurs plantes. Puis elle devient représentative des milieux populaires à partir des années 1930.

Dans les années 1940 puis 1950, le photographe français Robert Doisneau immortalise des gardiennes d’immeubles parisiennes à côté de leurs Aspidistras. Le peintre britannique Samuel Joe Peploe les représentent dans ses natures mortes des milieux populaires anglais. Ou encore, l’écrivain Georges Orwell en fait l’égérie d’un roman qui dépeint les classes populaires anglaises des années 1930 (Et vive l’Aspidistra !).

Quant au Yucca, il est planté pour la première fois dans les squares et parcs de la Ville de Paris en 1855. Son entrée chez les particuliers date des années 1970 et c’est aujourd’hui une plante graphique très à la mode pour décorer les salles d’attente et les jardins des régions littorales françaises.

Jardiner son identité en Île-de-France

Des Franciliens nous ont ouvert leurs portes et nous racontent leurs trajectoires familiales en lien avec des pratiques de jardinage de végétaux originaires d’ailleurs.

Portrait de Isabel Calderon

Origine : Espagne
Profession: Gardienne d’immeuble
Lieu de résidence : 5e arrondissement de Paris

Portrait de Isabel Calderon, gardienne d'immeuble espagnole à Paris - 2019

© Exorigins

Portrait de Céline Le

Origine : Vietnam
Age : 62 ans
Lieu de résidence : Bondy Nord

Sa trajectoire migratoire

« Je suis venue à 25 ans, en 1985, en France pour des raisons politiques. Au sud du Vietnam c’était la guerre, le régime politique était communiste alors j’ai fui mon pays.

La famille de mon père était de nationalité française. Mon père a d’ailleurs fait ses études en France. Durant cette période, nous nous sommes réfugiés chez la sœur de mon père. Déjà au Vietnam, j’avais étudié dans une école française. J’ai, depuis très jeune, été habituée à la cuisine française et à ses différents goûts.

Nous nous sommes installés en France dans les années 90 et nous ne retournions au Vietnam que pour les vacances, pour voir la famille.

Avant de m’installer à Bondy, il y a 10 ans, j’habitais dans le 77 à Torcy. J’avais une maison avec 500m2 de terrain sur lequel j’avais planté pleins de choses comme des fraises et d’autres plantes vivaces. Mon ex-mari ne voulait pas m’aider et mes enfants étaient petits alors je cultivais des choses qui demandaient peu d’entretien. »

Pérille

Pérille

© Popolon
Ses plantes

Pérille / shiso (Perilla frutescens)

« C’est une plante facile à cultiver ici (en intérieur et extérieur). Je la consomme quand je suis malade, quand j’ai la grippe ou que je suis enrhumée. Je l’écrase pour en extraire l’essence et la mets dans de l’eau avec de la menthe violette et de la citronnelle pour faire une inhalation.
J’avais acheté des branches de Shiso dans un magasin exotique à Bondy pour assaisonner un plat et j’ai gardé les graines et je les ai faites pousser moi-même. »

Taro Géant

Taro Géant

© D. Vetsikas - Pixabay

Le taro géant (Colocasia esculenta)

« Ça pousse extrêmement bien dans mon pays [le Vietnam]. Ça se multiplie facilement comme la menthe. Ici, je le fais pousser dans des pots dans mon appartement. Je coupe la base de la plante quand je récolte et ça repousse. On mange les branches et la feuille [...] avec la soupe aigre douce, la tomate, le gombo, l’ananas, le citron et éventuellement des fruits de mer.
Mes parents cuisinaient aussi le taro. Il faut enlever la peau de la plante parce qu’on ne peut pas la manger. Personnellement je trouve que cette plante est fade. Moi je ne l’aime pas trop. »

Fleur de Gombo

Fleur de Gombo

© Sailesh

Le gombo (Abelmoshus esculentus)

« J’ai du mal à le cultiver en pleine terre ici. Les rendements sont très aléatoires. Je le cuisine sauté et à vapeur, mais aussi dans la soupe aigre douce. Si on ne le coupe pas, il n’est pas gluant, si on le coupe en deux, il le devient. Les graines de gombo, je les achète à Bricorama directement (Villmorin).
Ma voisine est vietnamienne aussi et cultive sur une parcelle de terrain à Bondy. Elle rentre souvent dans son pays et ramène des graines de là-bas (liseron d’eau, gombo…). »

Coriande épineuse

Coriandre Épineuse

© Ping an Chang

La coriandre épineuse ou Nho gai (Eryngium foetidum)

« J’ai acheté la plante fraiche dans un magasin exotique à Bondy (Singastore) et je l’ai replantée à l’intérieur chez moi. Cette plante ne peut pas pousser en extérieur en France. Je la mange dans la soupe aigre douce et je l’utilise pour assaisonner mes plats (vermicelles) et dans la salade, les nems ou les rouleaux de printemps. Je préfère acheter du Nho gai au basilic thaï, car ce dernier se conserve moins bien. »

Persicaire Odorante

Persicaire Odorante

© Prenn

Persicaire odorante ou Zao zam (Persicaria odorata)

« Je cultive cette plante en extérieur à Bondy. Je la mets dans les salades crues, en mélange avec les carottes et dans les sauces. »

Poivre de Chine

Poivre de Chine

© K. Yamaoka - Pixabay

Poivre de Chine ou Dap Ca (Houttuynia cordata)

« Le Dap Ca est très cultivé au Vietnam. Chaque année ça repousse, la racine se multiplie facilement. J’en ai planté chez moi en intérieur, à partir de plantes que j’avais achetées fraîches à Singastore et ça n’a pas marché. Impossible de trouver des graines en France.
Au Vietnam, les filles la consomment contre les pertes blanches. On l’écrase et on en boit le jus. On peut aussi la consommer en salade. La plante est peu appréciée au Vietnam à cause de son goût fort et acide. »

Gotu Kola

Gotu Kola

© C. Torres - Pexels

Gotu kola ou Rau ma (Centella asiática)

« Je n’ai pas encore essayé de planter ça ici mais il faut que j’essaye avec la racine car je n’ai pas vu de graines. C’est une plante qui a besoin de beaucoup d’eau pour pousser. On fait de la soupe avec les feuilles mixées et du jus de fruit. J’ai bu beaucoup ça quand j’étais au Vietnam. J’ai été aux Antilles et j’ai trouvé cette plante qui poussait aussi dans la forêt, proche d’un cours d’eau. Je l’ai sentie pour la reconnaitre. Les gens là-bas ne savaient pas que je la connaissais, ils étaient surpris de me voir la ramasser. »

« En ce moment je fais aussi pousser d’autres choses chez moi. J’ai du piment, du basilic thai, des graines de lotus que je fais germer dans l’eau. Le chou chinois c’est trop dur à faire pousser, j’ai abandonné, c’est pareil pour le liseron d’eau et le gombo. »

Pourquoi cultiver ces plantes ?

« Je consomme très peu ces plantes, moi ce qui m’intéresse, c’est de planter. J’aime les fleurs et j’aime faire pousser toutes sortes de plantes. Les vietnamiens que je connais les consomment beaucoup ici, donc je leur donne ce que je produis.

Il est vrai que ces plantes me rappellent le Vietnam, mais je ne veux pas pour autant retourner là-bas, je n’ai plus de famille qui y vit… »

Portrait de Berta Fernandes

Origine : Portugal
Profession : Gardienne d’immeuble
Lieu de résidence : 10e arrondissement de Paris

Portrait de Berta Fernandes, gardienne d'immeuble portugaise à Paris

© Exorigins

Entretien avec Bruno Gourer

Origine : Martinique
Lieu de résidence : Bondy

Sa trajectoire migratoire

Bruno Gourer est né en Martinique. Âgé de 18 ans, il est envoyé en Corse pour réaliser son service militaire au sein de l’armée de l’air. Il y restera 11 mois avant d’intégrer une formation en informatique à Paris. Une fois arrivé à la capitale, on lui propose d’intégrer la SNCF. Il y restera 40 ans et occupera différents posts en passant d’agent de maîtrise à conducteur de train, puis chef d’équipe de 60 personnes sur la plateforme de maintenance.

L’appartenance culturelle

Une fois arrivé à Bondy, Bruno tente de cultiver des plantes de chez lui. On peut alors compter les bananes, les ignames, les oranges, les mandarines, des racines, du chou, de la canne à sucre, ou encore de la patate douce dans son jardin. Il a essayé des christophines, mais ses plants n’ont rien donné contrairement à un ami habitant la ville voisine.

Aussi, il conserve les spécialités culinaires de chez lui en continuant de cuisiner les plats emblématiques martiniquais. Vous connaissez peut-être les accras de morue de crevette, le colombo de poulet, les légumes ignames ou encore les avocats aux crevettes ? Ce sont autant de plats qui lui permettent de s’identifier à sa culture martiniquaise même loin de son territoire d’origine.

S’adapter à son nouvel environnement

Pour maintenir ces traditions culinaires, Bruno doit trouver des producteurs particuliers et s’adapter à son territoire d’accueil. Pour cela, il se rend au marché ou s’approvisionne au jardin quand c’est la période. Il fait sinon affaire auprès des boutiques spécialisées dans la cuisine asiatique ou pakistanaise. Il va aussi parfois au magasin antillais dans la ville voisine pour y trouver des légumes de Martinique.

Cependant, ces produits sont beaucoup plus chers que chez lui. Si nous prenons par exemple les bananes, elles coûtent 50 centimes le kilo en Martinique et 5,90 euros le kilo en métropole. De plus, il n’est pas très simple de trouver tous les légumes habituels martiniquais à Paris. C’est pourquoi les familles envoient des légumes récoltés au potager en fin d’année.

Dossier rédigé en octobre 2023 par Émilie Stoll, anthropologue (UMR 208 Patrimoines locaux, Environnement et Globalisation) et coordinatrice du projet EXORIGINS et Liliana Motta, artiste-botaniste et directrice artistique du Jardin des Altérités, à partir des enquêtes de Dominique Vidal, professeur des universités en sociologie à Paris-Cité et de Léo Truglia, étudiant AgroParisTech, pour le projet EXORIGINS.

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