Exploration scientifique
Mers australes
Dans le cadre de l'Année Polaire Internationale (2007-2009), un programme de recensement et d'étude de la biodiversité marine en Antarctique a fédéré des scientifiques du monde entier, dont 13 scientifiques du Muséum, entre novembre 2007 et février 2008.
Une mission scientifique en Antarctique
L'Année Polaire Internationale et le Census of Antarctic Marine Life
Le Census of Antarctic Marine Life (CAML) est une action internationale de coordination sur la vie marine Antarctique. Il a mis l’accent sur l’étude de la partie de l’océan Austral liée à la banquise, avant, et pendant l’Année Polaire Internationale (2007-2009). Sa philosophie est d’intégrer la connaissance déjà acquise en complément des objectifs de recherche déjà prédéfinis et de transmettre activement les connaissances acquises vers le grand public.
Dans les programmes du CAML, la recherche sur la biodiversité des écosystèmes antarctiques est fondée sur la compréhension des systèmes biologiques sur un plan fonctionnel, lié à leur environnement physique. C’est en étudiant les organismes, leurs liens de parenté, leur histoire évolutive, et le tempo de leur adaptation à l’environnement qu’il est possible de comprendre leur fonctionnalité et d’accéder à une connaissance de la composition faunistique selon les différents types d’habitats passés et présents.
Définir le rôle des écosystèmes de l’océan Austral qui entourent le continent Antarctique est nécessaire, de même qu’estimer quel en est le bénéfice pour l’Humanité. Il est également indispensable d’évaluer comment ces écosystèmes ont pu être affecté par le climat et comment ils pourraient l’être par le changement global.
Pourquoi l'Antarctique?
Il y a plus de 50 millions d’années, l’Antarctique faisait partie intégrante du supercontinent Gondwana, et faisait bloc avec l’Australie, l’Afrique, Madagascar, l’Amérique du Sud, l’Inde et la Nouvelle-Zélande. Après la fragmentation du Gondwana, d’un puissant Courant Circumpolaire Antarctique se mit progressivement en place. Ce courant est le plus puissant du monde et déplace 143 millions de m3 par seconde. Il mélange les eaux des océans Indien, Atlantique et Pacifique et, constitue la frontière entre les écosystèmes marins de l'océan Austral et le système océanique global. Au moins en ce qui concerne la zone du plateau continental antarctique, l’histoire de l’isolement de cet océan peut expliquer la richesse et la diversité spécifique observée dans beaucoup de groupes d’organismes vivant sur le fond ou près du fond. Pour de nombreux organismes, l’Antarctique est un "creuset" d'espèces, une sorte de générateur de vagues de spéciation, comme cela est souvent observé dans les secteurs à fort taux d’endémisme. Pour certains groupes comme les éponges, certains crustacés, mollusques et les poissons téléostéens, le taux d’endémisme dépasse 90 %. Cet écosystème fragile en raison de ses caractéristiques uniques est menacé par le réchauffement climatique, ce qui en fait une zone importante à étudier et dont les espèces doivent être recensées.
Trois navires de recherche mis à disposition par l’Australie, la France et le Japon
Dans le cadre de l'Année Polaire Internationale, l’Australie, la France et le Japon se sont associés pour réaliser une étude synoptique des écosystèmes de l'Antarctique de l'Est. Cette collaboration a donné lieu à un programme de recherche appelé CEAMARC (Collaborative East-Antarctic MARine Census). Pour se faire, ces trois nations ont mis à disposition trois navires de recherche : l’Aurora Australis, australien, l’Astrolabe, français et l’Umitaka Maru, japonais, chacun chargé de l'étude d'un compartiment particulier des écosystèmes de la région.
L’Aurora Australis a récolté la faune démersale (poissons qui vivent près du fond) et benthique, l’Umitaka Maru a travaillé plus spécifiquement sur l’hydrologie, le plancton et la faune pélagique, tandis que des analyses complémentaires pour la connaissance de l’hydrologie et du plancton ont été réalisées à bord de l’Astrolabe.
L’Astrolabe était un brise-glace de la compagnie P&O Australia, affrété par l’IPEV. Il servait de navire de ravitaillement et de relève de la base de Dumont D’Urville en Terre Adélie. Chaque année, cinq rotations étaient effectuées entre Hobart (Tasmanie) et Dumont d’Urville, pendant la période comprise entre octobre et mars. Cargo, paquebot, pétrolier, porte hélicoptère et navire scientifique faisaient de ce brise-glace un navire polyvalent. Un nouvel Astrolabe est venu remplacer l'ancien en 2017. Opéré par la Marine nationale et l'IPEV, il effectue les mêmes missions que le précédent à l'exception de la science, auxquelles s'ajoute une mission de surveillance du plateau de Kerguelen.
L’Aurora Australis était un brise-glace de la compagnie P&O Australia, affrété par l’AAD. Il était très sophistiqué et avait été conçu pour accomplir des expéditions scientifiques et des expéditions d’approvisionnement. Ce rôle exige que le navire soit capable, entre autres, d’opérations de recherches, d’études océanographiques, d’aperçus acoustiques et hydrographiques, d’opérations de pêche commerciale au chalut. Au total, dix-sept scientifiques français ont participé à ce programme, et la majorité d’entre eux a embarqué à bord de l’Aurora Australis.
L’Umitaka Maru IV est le dernier de cette lignée. C’est le plus récent des trois navires des campagnes CEAMARC. Il a fait ses premières missions en 2000. Ce navire est un navire-école et de recherche de l’Université des Sciences et Technologies Marines de Tokyo. Ce navire accueille les élèves-officiers (les cadets), les futurs océanographes et les futurs halieutes. Dans le cadre de travaux conjoints avec l’Australian Antarctic Division (AAD) et le National Institute of Polar Research (NIPR), l’activité de l’Umitaka Maru IV est très vaste puisqu’elle couvre l’Indo-Pacifique et l’Antarctique.
Les objectifs scientifiques sur l’Aurora Australis
Le programme de l’Institut Paul Emile Victor « ICOTA » (Ichtyologie côtière en Terre Adélie) initié en 1996, ainsi que les travaux de Patrick Arnaud des années 1970, avaient permis d’accéder à une connaissance assez complète de la composition de la faune des poissons Notothenioïdes côtiers de Terre Adélie jusqu’à 200 mètres de profondeur, ainsi qu’aux caractéristiques de leurs biotopes (hydrologie, plancton, faune benthique associée).
En dessous de 200 mètres de profondeur, la biodiversité des poissons et de la faune marine benthique était encore mal connue. Son exploration couplée à la comparaison avec d’autres secteurs de l’océan Austral a permis d’apporter des données nouvelles.
L’objectif majeur de la mission CEAMARC était d’inventorier la faune et de la flore dans un secteur pratiquement inexploré. Des collections de références et une photothèque furent constituées pour tous les groupes par espèce présumée puis ensuite hébergées au Muséum national d’Histoire naturelle, à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale.
Cette mission a permis de compléter les connaissances sur les poissons Notothenioïdes de Terre Adélie et de décrire les caractéristiques de leurs biotopes (hydrologie, plancton, faune benthique associée). Elle a aussi permis de tester l'hypothèse de biorégionalisation de la mer Dumont d'Urville émise par R. Beaman et P. Harris en 2005, et de préciser les contours des différentes écorégions caractérisées par des cohortes uniques d'espèces benthiques et démersales.
Inventorier pour mieux comprendre
La connaissance de la biodiversité est fondamentale pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes. Le résultat de ces efforts a permis d’établir un inventaire détaillé de la faune marine sur la zone de Terre Adélie, de connaître sa répartition, mais aussi d’améliorer notre capacité à prédire l’avenir de notre biosphère dans un environnement changeant, du fait des perturbations provoquées par les icebergs, de la fracture des glaciers ou du réchauffement des masses d’eaux. Mieux comprendre l’évolution des espèces antarctiques en liaison avec l’histoire de cet océan et proposer des modèles biogéographiques a permis d’alimenter la base de données internationale du SCAR-MarBIN (Marine Biodiversity Information Network). Ces recherches ont permis également de mettre en avant les liens de parenté entre les organismes étudiés pour les inventorier au mieux.
Analyser les communautés benthiques
L’analyse des communautés benthiques (y compris poissons démersaux1) était un autre des objectifs du programme CEAMARC et de Mers Australes. La caractérisation de ces communautés se fait essentiellement par l'analyse de photographies et/ou de films vidéo, mais aussi par l'analyse des collectes de spécimens par chalutage ou par "boxcorer". Ces analyses ont montré que ces communautés sont diverses et se caractérisent par des cohortes d'espèces indicatrices. Elles ont montré en outre que le passage d'une communauté à l'autre peut s'effectuer très rapidement sur le plateau continental, constituant des assemblages en mosaïque caractéristiques des écosystèmes sous contrainte de glace. Par conséquent, la structure de ces communautés est étroitement liée non seulement aux caractéristiques des masses d'eau, à la bathymétrie, à la granulométrie des sédiments, aux relations prédateur-proie et symbiothiques, mais aussi à la dynamique des glaces et notamment à l'impact des icebergs lorsqu'ils labourent les fonds. A bord de l'Aurora Australis, les océanographes étaient en charge la caractérisation des masses d'eau, la bathymétrie était constamment mesurée par un sondeur multifaisceaux, et la granulamétrie a été mesurée sur des échantillons collectés par "boxcorer".
- 1la zone démersale est la zone d’eau proche des côtes ou du fond marin (plaine abyssale). La faune vivant dans cette zone est dite démersale.