Sciences

Un quart des animaux d’eau douce est menacé

Une étude internationale met en lumière le déclin de la faune d’eau douce au niveau mondial ainsi que les atteintes et menaces qu’elles affrontent dont, en premier lieu, la pollution. 

Parue dans la revue Nature début janvier 2025, cette étude a compilé les données et travaux scientifiques disponibles sur 23 496 espèces d’animaux d’eau douce – des poissons aux libellules, en passant par les crustacés – inscrits sur la Liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Objectif : dresser un état des lieux de la santé de ces populations et des causes de leur déclin.

Eric Feunteun, spécialiste de l’écologie des milieux marins et aquatiques, et Boris Leroy, spécialiste de la biogéographie des milieux aquatiques, décryptent les enjeux de cette publication.

Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

C’est la première fois qu’un travail de cette ampleur est réalisé sur les espèces d’eau douce. Cette étude, menée durant plus de 20 ans avec plus de 1000 experts, valide et quantifie les risques de disparition dans ces milieux.  

Le résultat est inquiétant : un quart des espèces d’eau douce pourraient s’éteindre. Ces chiffres sont en outre probablement sous-estimés, puisque les espèces les plus rares, et donc les plus sensibles, n’ont pu être intégrées faute de données suffisantes, de même que de nombreux groupes aquatiques tels que les mollusques.  

Tourbière

Tourbière dans le Surrey, au sud-est de l'Angleterre

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Pourquoi est-il important de mieux connaître ces milieux ?

Fleuves, rivières, lacs, marais, tous les cours d’eau non glacés occupent seulement 1 % de la surface terrestre et pourtant, ils abritent 10 % de la biodiversité animale répertoriée de la planète ; 30 % des vertébrés décrits dépendent de ces milieux, ainsi qu’une multitude d’invertébrés qui constituent à la fois la part la plus nombreuse et la plus méconnue du vivant.

Les zones humides jouent en outre des rôles essentiels, notamment dans le maintien du cycle de l’eau, la filtration et la transformation de contaminants chimiques tels que les nitrates, des polluants organiques et l’approvisionnement en eau potable.   

Pourquoi cette biodiversité est-elle particulièrement menacée ?

Chaque fleuve, mare, marais, fonctionne comme une île séparée des autres. Chaque cours d’eau constitue un milieu complexe, un écosystème unique abritant une faune qui lui est spécifique. Ces caractéristiques font aussi la fragilité de ces milieux : d’importantes contraintes pèsent sur des petites surfaces déconnectées et des populations parfois restreintes.  

Anguille d'Europe (Anguilla anguilla), classée "en danger critique d'extinction" par l'UICN.

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La pollution est clairement identifiée comme la principale menace. C’est une première ?

Engrais, pesticides, métaux, médicaments, etc., se retrouvent dans l’eau. Différentes études établissent l’impact de ces pollutions sur les organismes aquatiques, par exemple une diminution de la fécondité de certains poissons comme les anguilles. 

Mais jusqu’à présent, les actions de conservation se concentraient davantage sur la pêche qui n’arrive ici qu’en 7e position des pressions, alors que la pollution (principalement due à l’agriculture intensive) et la fragmentation des cours d’eau par les barrages apparaissent comme les principales nuisances, affectant respectivement 54 % et 39 % des espèces menacées.

Enfin, les espèces invasives et les maladies qu’elles véhiculent impactent 28 % des espèces étudiées et ont joué un rôle très important dans la disparition de la plupart des espèces déjà éteintes. La plupart des animaux (89 %) sont exposés à des risques multiples.

Grâce à ces travaux, les auteurs de la publication argumentent que désormais, « le manque de données sur les statuts et distributions ne peut plus être utilisé comme une excuse sur l’inaction ». Ils plaident pour que leurs résultats permettent de mieux étudier les cours d’eau et de traiter les causes principales de déclin de la biodiversité aquatique, en particulier la réduction des contaminants chimiques, la restauration des habitats et de la continuité écologique des cours d’eau. C’est la seule solution pour pouvoir renaturer les cours d’eau et leur rendre leurs fonctions et services écosystémiques originels.  

Entretien avec

Éric Feunteun

Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, co-responsable de l'équipe BIOPAC (Biodiversité, plasticité, adaptation et conservation : des espèces aux communautés), Laboratoire de biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques (BOREA)

Boris Leroy

Maître de conférences au Laboratoire BOREA (Biologie des Organismes et des Ecosystèmes Aquatiques), co-responsable de l'équipe AQUATREND (Analyse quantitative des tendances de la biodiversité aquatique en réponse aux changements globaux) du Muséum national d'Histoire naturelle

Référence scientifique

Sayer, C.A., Fernando, E., Jimenez, R.R. et al. One-quarter of freshwater fauna threatened with extinction. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-024-08375-z