Partager sur
Bien manger : oui, mais comment ?
Comment (re)prendre en main notre alimentation, aussi bien économiquement que nutritionnellement ? En apprenant ses bases... et en cuisinant !
Nous sommes maintenant à l’abri des grandes famines. Mais le contenu de nos assiettes ne nous a jamais autant interrogé. D’abord, pour des questions de santé. Ensuite, et de plus en plus, par respect pour la société dans laquelle nous souhaitons vivre, qu’il s’agisse de l’environnement, de la rémunération des paysans ou du bien-être animal. Au-delà des cas d’orthorexie (le besoin obsessionnel de « manger sain » – minoritaire, irrationnel, et favorisé par le confort que nous avons aujourd’hui à nous procurer notre nourriture quotidienne) émerge une méfiance plus répandue et réfléchie, en réaction aux excès d’une agriculture intensive et d’une ultra-transformation des produits de l’industrie agroalimentaire.
Pollution de l’air, des eaux, du sol, diminution de la biodiversité, allergies plus fréquentes, obésité… les fléaux pointés du doigt sont bien réels. Mais ils ne sont pas inéluctables. Pour peu que la science nous aide à y voir plus clair et à prendre les bonnes décisions, nos choix alimentaires, tant du côté des producteurs que des consommateurs, sont à même d’inverser la tendance.
Manger (moins) et bouger (plus)
Comme nous le rappelle Jean‑Anthelme Brillat Savarin dans sa célèbre Physiologie du goût, la gastronomie a pour but de « veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible ». De son côté, la FAO, ou Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation, postule qu’il y a sécurité alimentaire :
Lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.
Or il semblerait bien que nos modes de vie modernes ne soient ni sains, ni actifs…
Notre société n’est pas exempte de paradoxes. Quand plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim à travers le monde, le nombre de celles qui sont en surpoids (indice de masse corporelle ou IMC supérieur ou égal à 25) est proche des deux milliards, dont 650 millions considérées comme obèses (IMC supérieur ou égal à 30). Et si la faim peut tuer, une mauvaise alimentation le peut aussi : à l’échelle du globe, un décès sur 5 était dû à la nourriture, soit 11 millions de personnes, c’est-à-dire plus que le tabac (8 millions de morts par an).
Reconnue depuis près de 10 ans comme une véritable épidémie mondiale, l’obésité, au départ cantonnée aux pays « riches », touche de plus en plus les pays en voie de développement, notamment en ville. Or, une surcharge pondérale entraine une élévation du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète et de cancers, faisant qu’aujourd’hui la majeure partie de population mondiale vit dans des pays où le surpoids et l’obésité tuent d’avantage que l’insuffisance pondérale !
Comment l’expliquer ? Sans doute par un accès aux calories qui n’a jamais été aussi facile, mais aussi par un manque d’éducation et de culture nutritionnelles. Le surpoids marque en effet un déséquilibre énergétique entre les calories consommées et dépensées. Et comme nous mangeons plus d’aliments caloriques (notamment des produits ultratransformés riches en graisses et sucres) tout en pratiquant moins d’activités physiques (en raison du caractère sédentaire de nombreuses formes de travail et de l’évolution des modes de transport), ce déséquilibre s’accentue.
Manger (moins)/bouger (plus) devrait donc être le nouveau mot d’ordre !
Nous vivons plus vieux que nos ancêtres, mais…
Au XXe siècle, en France, l’espérance de vie moyenne a doublé. Cette hausse, bien qu’inégale selon les pays, est présente partout dans le monde et devrait nous mettre en confiance. Mais elle est avant tout due aux progrès de l’hygiène et de la médecine, et gomme (en partie) les nouveaux facteurs délétères de nos modes de vie.
Grâce au développement des techniques de conservation, à la mise en place de normes sanitaires et de procédures de surveillance, le risque alimentaire n’a en effet cessé de diminuer, et s’intoxiquer en mangeant est devenu rarissime. Pour autant, et même si la question fait débat, cet hygiénisme est peut-être en partie responsable de l’incidence accrue des allergies .
Aussi, plutôt qu’éliminer tous les microorganismes de notre environnement alimentaire, favoriser leur présence (sélective) dans notre assiette à travers la consommation d’aliments fermentés pourrait au contraire avoir des bénéfices conséquents sur notre santé.
D’un autre côté, on peut s’inquiéter des effets à long terme de notre alimentation. Au cours d’une vie, on peut être amené à ingurgiter jusqu’à 100 000 repas. Si l’on peut prendre plaisir à dévorer une pizza industrielle ou à passer la soirée dans un fast-food quelconque, il importe d’en considérer l’impact quand l’événement se reproduit trop souvent. Et de ce point de vue, on constate que l’étiquetage nutritionnel comme les applications mobiles attribuant des scores aux aliments ont leurs limites. Si ces nouveaux outils peuvent nous aider à composer des menus équilibrés, aucun aliment ne mérite d’être diabolisé : c’est la fréquence de sa consommation qui peut poser problème, et notre alimentation doit clairement se penser sur le long terme.
Dernier point à souligner, contrairement à une idée reçue, qu’un aliment soit issu d’un petit artisan ou d’un petit producteur ne le rend pas nécessairement plus vertueux qu’un autre provenant de la grosse industrie agro-alimentaire. On peut en effet trouver des dizaines de produits industriels mieux conçus (moins d’additifs, plus de goût) que certains de leurs équivalents « artisanaux ». Bref, en alimentation comme ailleurs, la simplification est rarement pertinente. Ce qui doit être encouragé, c’est le travail bien fait, c’est-à-dire la belle industrie comme le bel artisanat. Mais pour s’y retrouver, il faut savoir prendre un peu de recul, et s’intéresser sainement (intellectuellement parlant) au contenu de nos assiettes.
Éduquer, cuisiner
La meilleure manière de (re)prendre en main notre alimentation, aussi bien économiquement que nutritionnellement (voire gustativement, pour les plus doués) ? Cuisiner ! En effet, rien de tel que de s’intéresser aux produits (saisonnalité, modes de culture), aux recettes (simples, pour tous les jours, ou plus complexes, pour les grandes occasions), d’expérimenter, de varier les menus, pour notre bien-être et celui de celles et ceux qui partagent éventuellement notre table ! L’alimentation est affaire de tous, non seulement dans nos choix de consommateur égoïste (manger ce dont on a envie), mais aussi dans notre rôle de citoyen engagé/responsable (rôle de « consomm’acteur », pour reprendre un néologisme à la mode), dont les choix alimentaires peuvent influencer les pratiques de production.
Naturellement, cela nécessite un savoir et un savoir-faire qu’il faut acquérir. Or même si nos enfants sont sensibilisés dans les écoles au fait alimentaire, l’éducation reçue est très loin de leur donner l’ensemble des cartes nécessaires pour devenir des consommateurs capables de maitriser leur régime quotidien dans ses composantes les plus complexes. Heureusement, les initiatives se multiplient pour aider les citoyens, jeunes ou moins jeunes, à mieux connaitre l’alimentation : les scientifiques se mobilisent pour répondre aux questions, des collectifs se montent pour venir cuisiner et jardiner dans les écoles, les chefs prêchent la bonne parole. Afin de ne pas être en reste, les acteurs de l’agroalimentaire redoublent d’efforts pour communiquer sur leurs filières… mais les prises d’intérêts évidentes obligent bien sûr à toujours garder un oeil critique sur les messages véhiculés.
L’enjeu éducatif est de taille. Car si la part de l’alimentation baisse régulièrement dans les budgets des ménages, le contenu calorique des achats ne cesse, lui, d’augmenter, avec une différence qualitative d’autant plus flagrante que les revenus sont faibles. Ces différences, très marquées selon le niveau d’éducation dans les années 1970, ont cependant diminué dans les années 2000 et subsistent désormais à un niveau moindre, prouvant l’importance du levier éducatif et culturel dans la quête d’une bonne alimentation pour tous.
Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Article publié le 3 juillet 2020.
Quoi de neuf au muséum ?
Événement
Retrouvez nos actualités et nos dossiers thématiques pour mieux comprendre l'humain et la nature.