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Violence environnementale, les perturbateurs endocriniens
Le système endocrinien – gouverné par les hormones – orchestre les fonctions physiologiques de tout organisme dès sa conception. La moindre perturbation entraîne de graves conséquences sur la santé ou sur le comportement. Les effets néfastes des perturbateurs endocriniens (pour la plupart issus de l’industrie pétrolière) ont été reconnus par la communauté scientifique en 1991. Des milliers de publications scientifiques contribuent à alerter et aident à réduire ce fléau.
Les hormones coordonnent le développement et le fonctionnement harmonieux de tous les organes et agissent à des concentrations infimes (ce qui correspond à une goutte d’eau dans une piscine de taille olympique). Compte tenu du rôle essentiel du système endocrinien au cours du développement de tout organisme, l’exposition aux perturbateurs endocriniens (également appelés "agents à activité hormonale") pendant les périodes vulnérables telles que les premiers mois de grossesse in utero peut induire, même à très faibles doses, des changements durables avec des effets néfastes à court et à long terme. Des réponses non monotones (c’est-à-dire des réponses n’évoluant pas de façon linéaire en fonction de la dose de la molécule dans l’organisme) peuvent être observées pour plusieurs d’entre eux.
En 2002, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini les perturbateurs endocriniens comme des "substances ou mélanges exogènes qui altèrent la ou les fonctions du système endocrinien et provoquent par conséquent des effets néfastes sur la santé d’un organisme intact, de sa progéniture ou de (sous) populations". La mention "d’organisme intact" n'incite pas à remplacer les tests réalisés sur des animaux par des tests in vitro, qui sont pourtant plus souhaitables éthiquement parlant.
Matières plastiques, pesticides et autres molécules
Des centaines de substances chimiques artificielles (et certaines naturelles) peuvent perturber le fonctionnement du système endocrinien et provoquer des effets indésirables. Chez l’homme, les perturbateurs endocriniens peuvent induire des maladies métaboliques comme l’obésité et le diabète, certains cancers (le cancer du sein et de la prostate), l’infertilité, des maladies neurodéveloppementales et une baisse de quotient intellectuel.
Les processus de régulations endocriniennes, conservés au cours de l’évolution, sont semblables chez de très nombreuses espèces. Aussi, l’être humain n’est pas le seul concerné, c’est toute la diversité des espèces qui peut être impactée par les perturbateurs endocriniens. Cela peut se traduire par un déficit de reproduction ou une chute vertigineuse des populations comme on a pu l’observer chez certains insectes, particulièrement chez les abeilles au début de ce siècle.
L’Union européenne a identifié ce problème dans les années 1990 et a très vite considéré les perturbateurs endocriniens comme de nouveaux dangers pour la santé et l’environnement, au même titre que les cancérigènes, les mutagènes, les substances toxiques pour la reproduction (CMR), les substances persistantes et bio-accumulables. La mise en place du dispositif REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques) en 2006 ainsi que du règlement sur les produits phytosanitaires (pesticides et biocides) en 2009 a concouru à une réglementation spécifique du secteur.
Des effets collatéraux dramatiques et durables
Les pesticides
De nombreux pesticides sont dérivés de l’énergie fossile. Le mot "pesticide" vient du mot anglais pest (ravageur) associé au suffixe latin -cida (tuer). Les rongeurs, les insectes et les champignons sont les cibles privilégiées de ces poisons, qui sont également utilisés comme agents chimiques pour limiter la pousse des "mauvaises" herbes (comme le glyphosate). Mais souvent ces pesticides atteignent des organismes non ciblés comme les oiseaux et les poissons insectivores et provoquent une diminution du nombre d’individus au sein de ces populations. Cela est bien démontré par Rachel Carson dans son Printemps silencieux en 1962. La production de pesticides n’a malheureusement jamais cessé d’augmenter depuis cette date. Les pesticides, comme les médicaments, sont conçus pour agir sur les organismes vivants, le plus souvent pour empêcher la reproduction de leurs agresseurs (et/ou les tuer). Leurs composants s’accumulent inexorablement dans l’environnement (air, sol et eau). Ils contaminent l’eau et son trop-plein dans les champs lorsqu’ils sont pulvérisés par voie aérienne, lorsqu’ils s’échappent des réservoirs de stockage et qu’ils ne sont pas correctement éliminés.
Le plastique
La production de plastique est une autre source majeure de pollution chimique. Les plastiques contiennent différents perturbateurs endocriniens comme les phtalates et le bisphénol A. Ils sont présents dans de très nombreux matériaux (emballages au contact des aliments, matériaux de construction comme les cadres de fenêtres et les revêtements de sol) et plusieurs de leurs dérivés entrent également dans la composition des produits cosmétiques. Moins de 10 % du plastique produit est recyclé. En 2012, plus de 300 millions de tonnes de plastique étaient répandues sur la planète. Une quantité qui pourrait être cent fois supérieure d’ici à 2050, soit 30 milliards de tonnes dans les océans et sur la terre. "Loin des yeux, loin du cœur !" La plupart des déchets plastiques sont éliminés par incinération ou enfouissement dans des décharges, mais ces méthodes ne font que redistribuer les points de pollution. L’incinération rejette les composants du plastique, qui contaminent l’atmosphère et augmentent la proportion des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane). Les décharges, elles, génèrent des débris de plastique dont les composants s’infiltrent (dégradés en micro ou nano-plastiques) dans le sol ou directement dans les rivières et les océans.
Effets toxiques des substances chimiques de synthèse et des "cocktails"
Il a été démontré que les perturbateurs endocriniens agissent sur l’axe thyroïdien. Or les hormones thyroïdiennes sont nécessaires pour le développement du cerveau chez le fœtus humain, mais également chez plusieurs autres espèces. Ces hormones interviennent par exemple dans le processus de métamorphose chez plusieurs poissons, amphibiens et reptiles. Une signalisation thyroïdienne est retrouvé chez certaines espèces d’invertébrés tels que les insectes et les arthropodes, ce qui pourrait être une des causes de la chute de la biodiversité que nous constatons aujourd’hui. En outre, il existe aussi ce que l’on appelle "l’effet cocktail" : alors qu’un seul produit peut passer sous le radar de l’organisme sans être détecté, cela peut induire des effets dévastateurs lorsque plusieurs d’entre eux s’accumulent dans le sang de ce dernier. Le mélange de perturbateurs peut donner des conséquences différentes de celles de substances absorbées individuellement.
On a également observé que les effets de mélange sont accentués au cours du développement précoce du fœtus (organogenèse), en particulier pendant la période prénatale chez l’être humain. Différents laboratoires, dont celui du Muséum, ont par ailleurs montré que les femmes enceintes (et donc l’enfant à naître) sont précontaminées par des centaines de molécules. Ces mêmes molécules sont retrouvées dans les œufs de reptiles, d’amphibiens, de poissons, et dans l’écosystème, y compris l’eau et l’atmosphère.
Les perturbateurs endocriniens sont en majeure partie dérivés de l’industrie pétrolière
Trois menaces simultanées existent aujourd’hui :
- le changement climatique,
- la perte de biodiversité,
- la pollution chimique.
Elles sont plus étroitement liées que ce que nous pouvons imaginer, leur base commune étant la surproduction de combustibles fossiles et de leurs dérivés (plastiques et perturbateurs endocriniens inclus). La biodiversité et la stabilité de l’écosystème sont définies par des contraintes physiologiques.
Le progrès industriel nous a permis de modifier notre propre environnement, particulièrement au cours de la seconde moitié du XXe siècle, qualifiée d’anthropocène, qui a vu une affectation visible du climat et la perte de la biodiversité due à la pollution chimique. Une telle dystopie a été envisagée dans l’ouvrage de Theo Colborn, Dianne Dumanoski et John Peterson, Our Stolen Future, paru en 1996 et dans lequel les auteurs envisagent que la contamination des sols, de l’atmosphère et de l’eau provoquerait la chute des populations des écosystèmes et de la population humaine. Pourtant, il existe des solutions. L’une d’elles serait d’investir massivement dans les énergies renouvelables, ce qui participerait à réduire le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité ainsi que la pollution par les perturbateurs endocriniens.
Barbara Demeneix, Professeur émérite du Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7221, Physiologie Moléculaire et Adaptation). Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022.
La Terre, le vivant, les humains
La Terre, le vivant, les humains
- Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
- 2022
- Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
- 196 × 249 mm
- 420 pages
- 45 €
Autrice
Barbara Demeneix
Professeur émérite du Muséum national d’Histoire naturelle (Physiologie Moléculaire et Adaptation - UMR 7221)
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