Néandertal enterrait ses morts

L’inhumation de nos morts est-elle une particularité de notre espèce ? Pour la première fois en Europe, une équipe internationale et pluridisciplinaire démontre le contraire : un enfant néandertalien a été inhumé par les siens.

L’abri sous roche de La Ferrassie, l’un des sites néandertaliens les plus célèbres en France, a fait l’objet de fouilles archéologiques au début du XXe siècle qui ont livré pas moins de six squelettes néandertaliens, puis en 1970 et 1973 un septième, celui d’un enfant de deux ans environ. C’est le travail d’une équipe internationale, dirigée par les paléoanthropologues Antoine Balzeau du CNRS et du Muséum national d’Histoire naturelle et Asier Gómez-Olivencia de l’université du Pays basque (Espagne), qui a permis de réviser cette dernière découverte et de faire une démonstration unique en Europe*.

En effet, sans jamais avoir été démontrée, l’hypothèse selon laquelle, comme nous, Néandertal enterrait ses morts avait été émise par plusieurs scientifiques au cours du XXe siècle, notamment en 1908 après la découverte de la dépouille parfaitement conservée d'un Homo neanderthalensis dans la grotte Bouffia Bonneval. Près de trente ans plus tôt déjà, en 1886, on exhume à Spy deux squelettes. Les fouilleurs envisagent l’hypothèse d’une inhumation d’après la position des deux corps et la présence d’os encore en connexion. C’est pourtant l’étude du septième squelette du site de La Ferrassie qui a confirmé cette hypothèse, notamment grâce à l’analyse des couches stratigraphiques du site et la comparaison de l’état de conservation des restes humains et animaux de la même période. 47 nouveaux os humains ont été découverts, complétant le corps de l’enfant qui reposait dans une couche sédimentaire inclinée dans une autre direction que les autres du site, et plus jeune que celles alentours, indiquant un acte intentionnel.

Le corps d’un enfant néandertalien de deux ans a donc bien été déposé dans une fosse creusée, il y a 41 000 ans. Cette découverte, au-delà de son apport scientifique, nous rapproche de Néandertal dont le portrait se précise et s’humanise pour définir leur propre humanité, riche de ses rites et de sa culture. Elle affirme aussi que l’existence de pratiques funéraires en Europe de l'Ouest ne dépend pas de l’arrivée de l’Homo sapiens.

Mais qui est Néandertal ? Ni primitif ni inintelligent contrairement aux idées reçues, Néandertal collectait des objets de curiosité, fossiles et beaux minéraux, loin de l’image d’homme des cavernes qu’on lui avait attribué. Cette découverte ne vient qu’appuyer une série de révélations sur son comportement et ses pratiques culturelles riches. Des coquillages, dents d’animaux perforées, plumes et serres de rapaces ont par exemple été retrouvés sur des sites d’habitat, et des pathologies spécifiques nécessitant des connaissances médicales complexes ont été observées sur certaines dépouilles. Pour aller plus loin et suivre les traces de Néandertal, n’hésitez pas à consulter notre article sur ses pratiques et son mode de vie.

  • *Pluridisciplinary evidence for burial for the La Ferrassie Neandertal child, Antoine Balzeau, Alain Turq, Sahra Talamo, Camille Daujeard, Guillaume Guérin, Frido Welker, Isabelle Crevecoeur, Helen Fewlass, Jean‑Jacques Hublin, Christelle Lahaye, Bruno Maureille, Matthias Meyer, Catherine Schwab & Asier Gómez‑Olivencia, Scientific Reports, 9 décembre 2020. DOI : 10.1038/s41598-020-77611-z.

Reconstitution de l’enterrement de l’enfant par des Néandertaliens à La Ferrassie. (Illustration issue du livre Qui était Néandertal ? l’enquête illustrée, par Antoine Balzeau et Emmanuel Roudier, Belin, 2016)

© E. Roudier

Entretien avec le paléoanthropologue Antoine Balzeau

Comment se sont organisées vos recherches à La Ferrassie ? Qu’est-ce qui les a motivées ?

Le point de départ des recherches a été la Ferrassie 8 avec la découverte d’un corps d’enfant. La boîte qui le contenait comprenait aussi une dent d’homme adulte. Contrairement aux 6 autres corps de la zone, nous avions très peu de données sur son inhumation et les collections associées à ce spécimen restaient inexploitées dans les réserves du Musée d’archéologie nationale.

Entre 2013 et 2014, nous avons ainsi initié des recherches à partir des archives du Musée d'archéologie nationale et du Muséum national d’Histoire naturelle. En effet, les matériaux du site de la Ferrassie sont dispersés dans plusieurs sites à Paris mais aussi en province (Bordeaux) et constituent une véritable chasse au trésor. Nous avons par la suite pu faire converger assez de preuves pour rouvrir une zone de fouilles sur le site et parvenir à la publication des résultats près de 7 ans plus tard.

En quoi ces recherches ont-elles présenté un défi technique, 50 ans après la fermeture des dernières fouilles ?

Le site de la Ferrassie était en cours de fouille, nous avons demandé la permission de rouvrir la zone 8 pour ajouter du matériel aux preuves existantes. Mais le défi principal a été de retrouver les différentes preuves éparpillées dans différents établissements parisiens, bien plus que de remettre en question les preuves déjà exhumées.

En 1912, une commission réunissant les plus grands préhistoriens français déclarait que les sépultures de la Ferrassie étaient la preuve absolue que les Néandertaliens enterraient leurs morts. Quels sont les nouveaux éléments de preuves que vos recherches ont apportés ?

Même en présence de certains indices, de nombreux chercheurs restaient sceptiques sur cette hypothèse, surtout pour des fouilles qui ont plus d’un siècle. Il fallait apporter des éléments scientifiques irréfutables, étayés par les données fournies par des moyens technologiques récents. Nos recherches sur la Ferrassie 8 collectent pour la première fois assez de données pour valider avec certitude cette hypothèse.

Quels sont les indices qui confirment la présence d’une sépulture ? Connexion anatomique, position du corps, présence d’une fosse, d’objets, de parures ?

Beaucoup d'indices ont été rapportés : le corps a été trouvé dans un niveau stérile, soit avec aucune autre trace de vivant correspondant ; la datation du corps de l’enfant est différente de celle de la couche alentour, plus récente ; son orientation ne correspond pas aux autres couches environnantes ni au pendage du terrain. Ce sont donc les preuves accumulées d’un enfouissement volontaire.

Est-il possible de déterminer si le site de la Ferrassie est un site d’inhumation dédié (à la manière d’un cimetière actuel) ? Ou démontre-t-il une pratique isolée, occasionnelle ?

Nous envisageons la poursuite des recherches sur le site, mais l’hypothèse d’un site d’inhumation dédié est privilégiée. Le site est un lieu de vie, et la présence d’autant de dépouilles volontairement disposées vient confirmer cette hypothèse.

Pourquoi cette découverte est-elle significative et que peut-elle démontrer chez Néandertal : une forme de spiritualité ? Un sens de la temporalité ? Une peur de la mort ?

Cet acte intentionnel démontre une conscience de la mort indéniable. L’objectif de la poursuite des recherches sur le site est de l’affirmer avec plus de certitude. Quant à statuer sur une forme de spiritualité, difficile à dire, mais la découverte d’un objet à proximité du corps de l’enfant pourrait bien valider cette théorie. Une recherche est en cours.

Cette pratique a-t-elle pu être influencée par d’autres hominidés ?

Pas vraiment, Homo sapiens n'était pas encore arrivé en Europe au moment du site de la Ferrassie, et aucune sépulture d’Homo sapiens n’avait été découverte datant de la même période.

Le genre Homo est-il le seul à enterrer ses morts ?

Oui, par la technicité de ses gestes et la sacralité de ses pratiques. Mais il reste difficile de généraliser les pratiques funéraires et techniques à tout le genre humain, ou même de généraliser une forme de spiritualité. On a retrouvé des traces de sépulture datant de 90 000 ans pour les plus anciennes, mais on identifie également des périodes creuses sans aucun reste.

Propos recueillis en décembre 2020

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