Recréation

Insigne de la Toison d'or

En 1749, Louis XV, roi de France, reçoit une parure d’insignes de chevalerie composée de quatre joyaux sertis de pierres précieuses, considérée comme un chef-d'œuvre de joaillerie. Cet ensemble, aujourd’hui disparu mais recréé, était l'insigne de la Toison d’or.

Toison d'or de Louis XV

Toison d'or de Louis XV

© MNHN - H. Horovitz / F. Farges

Le plus beau bijou du monde

En 1749, le roi de France Louis XV (1710-1774) reçoit de Pierre-André Jacqmin (1720-1773), joaillier ordinaire du roi et de la Couronne ainsi que garde des pierreries de la Couronne, une parure d’insignes de chevalerie, dite « de couleur » comprendre constituée de toutes pierres. La parure est composée de quatre joyaux richement sertis de pierres précieuses : une croix, une plaque et une épaulette de l’ordre du Saint-Esprit ainsi qu’un insigne de la Toison d’or.

Aucune représentation d’époque ne montre le roi Louis XV arborant cette parure de couleur. Le joaillier Pouget publie un gouaché de la Toison d’or en 1762 qu’il déclare être celui du roi. Mais de nombreux éléments de ce gouaché sont incompatibles avec les inventaires des joyaux de la Couronne (1774, 1791). Elle était composée, selon ces archives, des deux diamants bleus acquis par Louis XIV (69 et 33 ct), du spinelle dit Côte de Bretagne des joyaux d’Anne de Bretagne (1477-1514) puis regravé (1749) en dragon par Jacques Guay (1711-1793), de trois saphirs jaunes ainsi que d’une myriade de brillants, dont certains peints à revers en jaune ou en rouge selon une méthode qui aurait été mise au point par madame de Pompadour (1721-1764).

Photographie de pages d'un ancien livre où figurent des illustrations de la parure de la Toison d'or

Jean-Henri-Prosper Pouget (17..-1769), Traité des pierres précieuses et de la manière de les employer en parure (1762), page 69 montrant deux dessins d’insigne de la Toison d’or dont celui de gauche est dit comme étant celui de Louis XV. Estampe

© Gallica - BnF - Bibliothèque nationale de France

Le joyau fut alors considéré comme « le plus beau bijou du monde ». Ses caractéristiques joaillières en font le chef d’œuvre fondateur de la tradition parisienne de la haute joaillerie.

Hélas ! la parure, y compris la Toison, fut volée en septembre 1792 lors du sac de l’Hôtel du Garde-meuble (aujourd’hui Hôtel de la Marine). Seul le spinelle Côte de Bretagne fut retrouvé, isolé de sa monture, sous le règne du roi Louis XVIII (1755-1824). Le Grand Diamant bleu de Louis XIV fut grassement retaillé par les voleurs/recéleurs de 1792 pour devenir le diamant maintenant connu sous le nom Hope.

L'ordre de la Toison d'or

Photographie de face du tableau représentant Louis XV

Au Moyen-Âge, la fidélité des chevaliers aux souverains est trop souvent remise en question. Pour fidéliser les alliances des vassaux, les souverains fondent des ordres de chevalerie qui obligent les chevaliers, après serment sur la Bible, de jurer fidélité à l’ordre et donc au monarque. Après l’ordre anglais de la Jarretière (1348), le duché de Bourgogne fédère ses vassaux sous la symbolique dit de la Toison d’or (1430) : le but est de défier la France à un moment où Jeanne d’Arc rebat les cartes des alliances dans le « Grand Est francophone » qui n’est pas encore totalement rattaché à la France actuelle : largement indépendants, Lorraine, Alsace, Bourgogne et Franche-Comté ne sont alors pas entièrement sous le giron royal français. Après la disparition du duché de Bourgogne (1477), l’ordre s’exile en Autriche puis se scinde (1700) en deux branches dont une espagnole pour laquelle le roi d’Espagne reste actuellement l’un des deux grands maîtres. La pelice de bélier d’or suspendue au collier symbolise la vaillance du chevalier qui la porte.

Photo |

Carle van Loo (1705-1765), Portrait de Louis XV de France en armure et portant un riche insigne de la Toison d’or non identifié (copie, vers 1750). Musée des Beaux-Arts de Dijon

CC BY-SA 4.0 Yelkrokoyade
Photographie de la page d'un livre où figure une gravure de la Toison d'or

Germain Baspt : proposition de restitution de l’insigne de l’ordre de la Toison d’or de Louis XV dit de la « parure de couleur » vues recto et verso (dessins de Louis Hirtz). Extrait d’Histoire des joyaux de la couronne de France, Hachette, 1889

© Gallica - BnF - Bibliothèque nationale de France

Un siècle plus tard, l’historien Germain Bapst (1853-1921) rouvre le dossier des joyaux de la Couronne de France : il propose une reconstitution de ce joyau mythique qui corrige de gros défauts du dessin de Pouget. Cependant, il existe encore des incohérences entre l’inventaire et l’objet reconstitué, notamment le grand diamant sommital qui n’a pas la forme décrite en 1791 (coussin carré-arrondi plutôt qu’hexagonal) ainsi que le dessin de la pelice de bélier qui reste incorrectement reproduite.

En 2006, la découverte d’une gravure de la Toison d’or dans une collection privée permet de finaliser un dessin parfaitement compatible avec l’inventaire de 1791. En 2007, le moulage en plomb du Grand Diamant Bleu de Louis XIV est également retrouvé au Muséum national d’Histoire naturelle ce qui permet enfin une restitution précise de la gemme majeure de la Toison. Tout est alors possible pour entamer, cette fois, une reconstitution du « plus beau bijou du monde ».

La reconstitution de 2010, réalisée par le joaillier genevois Herbert Horovitz et le minéralogiste François Farges, est acquise par le Muséum national d’Histoire naturelle en 2021, grâce au mécénat de la Maison Boucheron.

Insigne : un bijou d’homme à portée politique

De nos jours, on peine à imaginer un chef d’état couvert de diamants somptueux et associés à un thème militaire alors que la chose fut courante jusqu’il y a peu, y compris sous la Ve République avec les présidents de Gaulle et Pompidou. Ces ordres de chevalerie, qu’ils soient du Saint-Esprit (1578, France), de la Toison d’or (1430, Bourgogne puis Autriche/Espagne) ou de la Légion d’honneur (1804, France), permettent d’annoncer les alliances entre nations via l’entremise de leurs représentant officiel, souverain ou président. Si Louis XV porte, de facto, les insignes français du Saint-Esprit dont il fut le grand maître, il revêt également des insignes étrangers, comme celui de la Toison d’or, qui témoigne des liens étroits entre les deux maisons de Bourbon, la française et l’espagnole. C’est un signal envoyé à l’Europe entière qui chercherait à les défier, sous-entendu l’Angleterre, la Russie et la Prusse. Actuellement, les codifications de la Légion d’honneur sont directement héritées de celles ayant prévalu pour l’ordre du Saint-Esprit, dont le Président de la République française est le grand maître.

Photographie d'une page vieillie avec un gouaché de Jacqumin de la Toison d'or

Gouaché de 1749 par Jacqmin

© P. Monnier, H. Horovitz

L’entreprise fut rendue possible par Herbert Horovitz, joaillier à Genève, dès 2008 et pendant plus de trois années, en se basant sur les travaux archivistiques et calculs de François Farges, Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, ainsi que sur les savoir-faire de nombreux corps de métier ayant collaboré au projet : maîtres lapidaires, sertisseur, orfèvres, verriers, maroquiniers (pour le maroquin contenant l’insigne qui a également été créé sur la base des maroquins de la Couronne encore conservés au musée du Louvre).

La générosité de la Maison parisienne de haute-joaillerie Boucheron et, en particulier, Hélène Poulit-Duquesne, présidente-directrice générale, a permis son acquisition en 2021 par le Muséum national d’Histoire naturelle.

La France et le monde ont ainsi retrouvé, via une réplique et des savoir-faire retrouvés, un pur chef-d’œuvre, sorte de « Saint Graal » des grands joailliers depuis Germain Bapst, direct héritier, via ses aïeux, de Pierre-André Jacqmin, l’un des plus grands mais aussi méconnus artistes français.

Article rédigé en février 2023. Remerciements à François Farges, Maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle, pour sa relecture et sa contribution.

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