Histoire de la domestication et de la diversification du maïs

Première graminée désormais cultivée sur toute la planète, le maïs est originaire du Mexique central. Cette plante, exceptionnelle par sa plasticité et sa variabilité génétique, est présente du nord au sud des continents, du niveau de la mer jusqu’à 3 500 mètres d’altitude. Selon l’état actuel des connaissances, le maïs domestique apparaît il y a environ 9 000 ans. Toutefois, la compréhension de son histoire, encore largement incomplète, nécessite une approche multidisciplinaire.

L’articulation entre les données de l’archéologie, de la génétique et celles de l’histoire reste encore difficile et peut même aboutir à des résultats contradictoires. Ainsi, concernant le maïs, les données génétiques ne coïncident pas avec les données archéologiques, qui elles-mêmes divergent entre les restes d’épis (« macro-restes ») et ceux des résidus et des grains d’amidon (« micro-restes »). Nul doute que le brassage dû à l’introduction massive de maïs améliorés au cours du XXe siècle a brouillé le panorama, notamment en provoquant la disparition des variétés locales anciennes. L’heure d’une synthèse définitive n’est pas encore venue ! On se contentera ici de poser quelques jalons

L'ancêtre sauvage du maïs

Téosinte

Téosinte de Balsas (Zea mays ssp. mays, Poaceae)

CC BY-SA 3.0 Mbhufford

Après de nombreuses hypothèses concernant le ou les ancêtres sauvages du maïs (Zea mays ssp. mays, Poaceae) tous présents au Mexique central, c’est la téosinte (Zea mays ssp. parviglumis) qui est considérée comme la plante originelle. Cette graminée de haute taille, à tige ramifiée, porte de tout petits épis aux grains durs et triangulaires, alignés sur un seul axe. Le syndrome de domestication, qui différencie une plante cultivée de son ancêtre sauvage, porte sur différents caractères morphologiques :

  • architecture de la tige (embranchement),
  • morphologie de l’épi,
  • caractères des grains (taille, fixation sur l’épi, couleur, dormance, contenu en amidon et en protéines).

Au moins deux gènes sont impliqués pour ces deux types de caractères (tige et grains). À partir de son centre d’origine, les hautes terres du Mexique, l’expansion du maïs s’est accompagnée d’une spectaculaire adaptation à des conditions environnementales variées, notamment l’ajustement du cycle végétatif à la durée des saisons, à l’éclairement journalier, à la température.

La grande diversité des espèces

Des rachis d’épis de faible taille, mais différents de ceux de la téosinte, ont été découverts dans plusieurs grottes du Mexique central. De cette zone à climat relativement sec, la plante a diffusé dans tout le pays, vers le nord aride comme vers le sud humide et chaud, des hautes vers les basses terres. Il s’est ensuivi une importante diversification morphologique. De nos jours, le Mexique compte plus de 1 200 variétés, réunies par les spécialistes en 60 « races » et 4 grands groupes de cultivars.

Cependant, si le maïs a été consommé dès sa domestication, il n’était à cette période qu’un aliment parmi d’autres. Ce n’est que plusieurs millénaires plus tard qu’il s’impose comme plante de base, sur laquelle est fondé l’apport glucidique primordial du régime alimentaire. Cette place centrale s’est accompagnée de l’invention d’une préparation originale, la nixtamalisation, qui consiste à tremper et à cuire les grains de maïs dans une eau alcaline (chaux, cendre), qui les enrichit en calcium et libère la niacine, une partie cruciale de la vitamine B3. En Europe, aux XVIIIe et XIXe siècles, l’ignorance de cette pratique a causé de graves carences alimentaires, avec l’apparition de la pellagre et la mort de dizaines de milliers de paysans pauvres ne se nourrissant que de maïs sans autre complément alimentaire.

De perpétuels croisements

Enfin, il a été mis en évidence que les maïs cultivés ont, de tout temps, été soumis à des flux de gènes de la téosinte sauvage (ainsi que d’autres sous-espèces comme Zea mays ssp. mexicana), un processus qui persiste de nos jours, souvent volontairement provoqué par les paysans, qui sèment des téosintes autour de leurs champs pour renforcer leurs récoltes.

Diffusions précolombiennes en Amérique

De nombreuses découvertes archéologiques dans les Andes montrent une diffusion précolombienne assez précoce vers le sud. On trouve en effet des épis à des dates antérieures à −3 000 en Équateur et −2 000 au Pérou, mais les étapes intermédiaires manquent. Toutefois, des divergences majeures existent entre spécialistes quant aux datations, portant sur une différence de près de 2 000 ans ! Les données génétiques indiquent une expansion à partir du Mexique vers les basses terres du Guatemala et de Colombie, puis deux routes divergentes, l’une vers les régions andines, l’autre, au contraire, vers les îles Caraïbes et la côte est de l’Amérique du Sud (Guyanes, Brésil), et jusqu’au centre du continent au sud du massif amazonien. Là se situerait une zone où les deux routes se rencontrent et les génomes se mélangent.

Tournesol

Champ de tournesol

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Diffusion et sélection

Un peu plus tard, la culture du maïs va se répandre à partir du nord du Mexique vers le sud-ouest des États-Unis, où il est attesté environ 1 000 ans avant notre ère, puis vers le nord du continent, où on le trouve à partir de 500. En près de 2 000 ans, le maïs s’implante jusqu’aux marges de la forêt boréale, et il devient la plante majeure des régimes alimentaires. Des modifications génétiques ont été révélées au sud-ouest des États-Unis, sur des maïs archéologiques datés de 800 à 1 000 de notre ère, suggérant une sélection intense liée à l’usage de galettes et de bouillies. Lorsque les Européens abordent sur la côte est du continent au début du XVIe, les communautés cultivent largement le maïs, associé aux haricots et aux courges. Dans ces régions, le maïs semble s’être substitué au tournesol. L’horticulture et la consommation du maïs dans l’État de New York, par exemple, sont évidentes vers 700.

De plus en plus de variétés

En Amérique du Nord, des variétés différentes de celles du Mexique vont être développées, dont deux bien connues en Europe, Dent (maïs denté) et Flint (maïs corné), ainsi que des variétés sucrées et celles dont les grains éclatent, les popcorns. On distingue actuellement sept « clusters » génétiques, peu différenciés, selon les diverses aires géographiques du continent américain.

Diffusion vers l'Ancien Monde

L’analyse génétique des variétés actuelles permet de retrouver les traces de ces sept clusters et de reconstruire d’hypothétiques routes. Au départ, la diffusion du maïs en Europe, en Afrique et en Asie suit les routes maritimes des explorateurs et des commerçants, principalement portugais et espagnols. La simplicité avec laquelle des épis peuvent être cueillis, conservés puis semés facilite grandement leur transport, comme le fait que les navires en chargeaient pour nourrir leur équipage (ou les esclaves), mais les documents historiques n’en portent pas souvent la trace.

épi de maïs

Épis de maïs

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La difficile arrivée en Europe

Dès le retour de son premier voyage, en 1493, Christophe Colomb rapporte des épis de maïs de Haïti, implantés dans le sud de l’Espagne et qui se diffusent rapidement sur le pourtour sud de la Méditerranée. Cependant, ces graines tropicales s’accommodent mal du climat méditerranéen et la fructification est maigre et irrégulière. Il faut attendre une vingtaine d’années avant que la plante soit productive grâce à d’autres introductions, probablement à partir du Mexique mais aussi de Colombie, les deux colonies espagnoles majeures. Le maïs est cultivé progressivement, dans le nord de l’Espagne à partir de 1510 environ, au Portugal (1513), en France (à Bayonne dès 1523). Parallèlement il est introduit en Italie (à Rome, des épis de maïs sont figurés sur plusieurs fresques de palais romains en 1517).

Toutefois, le fait que la culture du maïs soit largement attestée en Europe du Nord (Allemagne) au moins dès 1539, « à peu près dans tous les jardins », selon Leonhart Fuchs (1542), pose la question de la présence de variétés mieux adaptées au climat tempéré froid. L’introduction de variétés provenant d’Amérique du Nord fait maintenant consensus, renforcé par le fait qu’il y eut de nombreux voyages d’explorateurs et de pêcheurs dès avant 1 500 en provenance d’Angleterre, d’Espagne et de France.

Galettes de maïs

Cuisson de galettes de maïs au Mexique

© MNHN - S. Bahuchet

Quoi qu’il en soit, dans la région du nord de l’Espagne et du sud-ouest de la France, le maïs devient répandu et populaire au cours du XVIIe siècle. C’est une zone d’hybridation et de contact, où se mêlent les caractères génétiques des variétés espagnoles (d’origine caribéenne) et nord-européennes (d’origine nord-américaine). En Europe, le maïs devient généralement un complément alimentaire mais plus souvent il sera un aliment pour le bétail. Quelques régions l’adoptent comme aliment de base, avec des préparations spécifiques de la farine telles que les gaudes ou les milhas en France, la polenta en Italie ou la mamaliga en Roumanie.

La diffusion ancienne du maïs en Afrique semble suivre plusieurs routes

Maïs

Grande variété de maïs sur un marché

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Dès les premières années du XVIe siècle, les navigateurs portugais rapportent des épis du Brésil vers la côte d’Afrique occidentale, dans le golfe du Bénin, qu’ils fréquentent régulièrement depuis les années 1470, et très vite dans leurs implantations dans les îles, Cap-Vert (installation à partir de 1462) et Sao Tomé (implantation à partir de 1490, maïs attesté en 1534). De ces îles, le maïs est transplanté sur les côtes. Il est cultivé dans la colonie portugaise d’Angola dès 1560. Les variétés caribéennes en Méditerranée se sont diffusées tout au long de l’Afrique du Nord, puis en Afrique de l’Est probablement par la vallée du Nil. Le maïs est présent en Éthiopie en 1623. Une voie par les Portugais, une autre par les Espagnols : en Afrique centrale les deux routes se rencontrent, où l’on trouve des variétés à grains tendres et d’autres à grains durs. Les colons européens introduisent la culture du maïs au Cap dès 1652 et, actuellement, c’est la plante alimentaire dominante dans une grande partie de l’Afrique australe.

Les Portugais joignent Java en 1496 avec des variétés de maïs relevant curieusement des souches mexicaines et non pas caribéennes. Quoi qu’il en soit, à partir de l’Indonésie, la plante se diffuse rapidement dans tout l’archipel indonésien, jusqu’à Bornéo et les Moluques, où aborde Magellan en 1522. Le maïs se diffuse aussi dans le continent sud-asiatique : on le trouve en Birmanie au début du XVIe siècle, puis en Chine (attesté en 1516) et de là au Japon, à une date encore inconnue. Sa présence en Inde, bien attestée en 1621, est très certainement antérieure, du fait que les Portugais établissent après 1 500 une liaison régulière entre le Brésil et Goa. Le cas des Philippines est intéressant car s’y rencontrent deux voies opposées de circulation. En effet, d’une part le maïs y pénètre dès que les Portugais s’implantent aux Moluques, au début du XVIe siècle, mais à partir de 1565 les Espagnols du Mexique organisent une route maritime régulière bisannuelle reliant Acapulco à Manille et à la Chine, le « Galion de Chine » (Nao de China), dont il est certain que les navires portaient du maïs au moins pour nourrir les équipages.

Serge Bahuchet, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7206, Éco-anthropologie). Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022. 

épis de maïs

Diversité de variétés de maïs en vente dans un marché mexicain

© MNHN - S. Bahuchet

La Terre, le vivant, les humains

  • Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
  • 2022
  • Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
  • 196 × 249 mm
  • 420 pages
  • 45 €
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