Sur les traces du piercing
Quel est le plus ancien piercing connu ? Comment procèdent les chercheurs pour les identifer ? Enquête auprès de Franz Manni, commissaire scientifique de l'exposition « Piercing » présentée au Balcon des Sciences.
LE PIERCING, UNE LONGUE TRADITION
Le piercing est très ancien et serait pratiqué depuis plusieurs dizaines de milliers d’années par Homo sapiens. Désignant aussi bien la marque corporelle que l’ornement, ce type de parure se retrouve sur tous les continents depuis des milliers d’années, ancré dans les plus anciennes civilisations.
Pour Franz Manni, maître de conférences au Muséum national d'Histoire naturelle et commissaire scientifique de l'exposition Piercing, cette récurrence temporelle et géographique laisse penser que le piercing a probablement accompagné les migrations humaines et qu’il constitue un marqueur pertinent pour retracer certains échanges culturels depuis la Préhistoire.
DES ORIGINES MÉCONNUES
Si les piercings d’oreille, de lèvre et de nez sont bien documentés pour les époques historiques, rares sont les études qui portent sur ses origines préhistoriques.
Revenons d’abord au début des années 1990, quand fut découverte la momie Ötzi. Conservé dans la glace pendant 5 000 ans, ce corps momifié avait surpris par ses nombreux tatouages. En regardant les photos, certains avaient cru voir de larges trous aux oreilles, évoquant des écarteurs d’oreille comme il s’en fait aujourd’hui. Le piercing aurait-il été à la mode depuis des millénaires ?
Si les trous sont en réalité l’œuvre de médecins légistes et des chercheurs qui étudièrent la momie, l’épisode n’en marque pas moins un tournant dans la reconnaissance et la légitimité de cet objet, notamment dans le champ de l’archéologie. Le piercing venait de franchir un cap, accédant au statut de parure possible et de pratique élaborée.
Depuis, des recherches menées dans différents pays n’ont cessé de repousser les limites de cette préhistoire. En 2016, les fouilles d’un abri en Australie (Carpenter’s gap) ont permis d’exhumer ce qui pourrait bien être le plus ancien piercing connu ! Il s'agit d’une baguette en os de kangourou, datée d’il y a 46 000 ans, qui évoque le piercing nasal de certains aborigènes. Les traces d’ocre retrouvées sur la pièce et le soin porté à sa fabrication semblent confirmer sa fonction ornementale.
Une autre étude, réalisée par Grant Keddie, conservateur au Musée royal de la Colombie-Britannique, a montré que des labrets avec une forme spécifique - les labrets sont des ornements pour piercing à la lèvre - se retrouvent sur l’ensemble du continent américain à différentes périodes et probablement jusqu’aux premières migrations il y a 15 000 ans. Elle conforte l’hypothèse selon laquelle le piercing pourrait s’être propagé en suivant la ligne de migration vers les Amériques.
APPRENDRE À RECONNAÎTRE
Devant les gravures rupestres ou la statuaire, des objets divers constituent l’essentiel des matériaux pour étudier le piercing à la Préhistoire.
Mais alors comment savoir si une petite pierre taillée en cylindre a pu servir de boucle d'oreille à un lointain cousin ? Certains objets demeurent mystérieux, voire insignifiants pour qui n’a pas appris à les reconnaître. Comme d’autres artéfacts préhistoriques et notamment de l’art mobilier, il est difficile d’attester de leurs fonctions, souvent bien éloignées de nos modes de vie et de nos standards. On peut ainsi facilement imaginer que de nombreux piercings aient pu passer inaperçus !
Pour Franz Manni, l’aventure ne fait que commencer, et pas uniquement sur les terrains de fouilles, il faudra aussi se rendre dans les musées et pouvoir changer de regard sur certains objets de collection.
D’ailleurs, une étude est en cours au Muséum pour comprendre si un petit cylindre en bois de renne, venant de Bourgogne et daté d’il y a 14 000 ans, a bien pu être un bijou d’oreille. Ce serait le premier exemple d’un piercing préhistorique en Europe !
Le chercheur doit ainsi être à l'affût de formes typiques du piercing (cônes, cylindres, fuseaux…) et bien étudier la finition des matériaux utilisés : la pierre, l’os, la terre cuite... Certaines matières sont déterminantes selon les zones géographiques. C’est le cas de la pierre qui, dans les contrées froides, garde la température du corps, et la rend plus appropriée pour servir d’ornement de piercing que du métal, par exemple.
Bien plus qu’une pratique marginale, Franz Manni rappelle que le piercing requiert un véritable savoir-faire : qu’il s'agisse de l’outil pour percer, de l’opération en elle-même et des soins à apporter pour éviter l’infection, ou encore du façonnage du bijou. Le chercheur qui en fait l’expérience n’est-il pas d’ailleurs le mieux placé pour en témoigner ?
Malgré son âge certain, le piercing a mis du temps à devenir un objet de recherche à part entière et demeure un sujet vierge à explorer !
Dossier rédigé en juin 2019