Recherche scientifique

Une bactérie visible à l’œil nu !

Elle ressemble à un cil et présente des caractéristiques hors norme : la méga-bactérie surnommée Thiomargarita magnifica repousse les limites du monde microscopique.

Voilà une découverte qui ne passe pas inaperçue : une bactérie provenant d’un échantillon de mangrove présente une taille étonnamment grande et une structure interne inédite pour un microbe.

Le 23 juin dernier, une équipe de chercheurs de l’Université des Antilles, dont le professeur de biologie Olivier Gros, chercheur au Muséum, signent une étude dans la revue Science qui bouleverse l’état de nos connaissances sur les micro-organismes.

Un géant au microscope

Les chercheurs ont pu observer que les cellules individuelles de la bactérie s'étiraient sur plus d'un centimètre de long ! Une exception chez ces êtres microscopiques, puisque les bactéries mesurent habituellement autour de 2 micromètres de long.

Ces cellules repoussent ainsi les limites théoriques de la taille des cellules bactériennes dont le plus gros spécimen connu alors mesure environ un millimètre.

À titre de comparaison, pour Olivier Gros « c’est comme si on découvrait un primate de la taille de l’Everest » !

Des caractéristiques exceptionnelles

Selon les chercheurs, cet organisme présente aussi d’autres caractéristiques hors du commun dont un immense génome qui contient trois fois plus de gènes que la plupart des bactéries et peut contenir plus d’ADN qu’une cellule humaine.

Elle présente aussi un matériel génétique compartimenté, unique chez les procaryotes. Étant sans aucun doute une bactérie, Thiomargarita magnifica ne peut en aucun constituer le chainon manquant entre procaryotes et eucaryotes mais représente un niveau de complexité cellulaire insoupçonnée jusqu’à ce jour chez les procaryotes.

Entretien avec Olivier Gros

Quand et où a été découverte cette bactérie pour la première fois ?

Je les ai observées pour la première fois dans les mangroves de Guadeloupe en 2005 attachées sur des feuilles de palétuviers rouges recouvrant le sédiment marin entre les racines de Rhizophora mangle (palétuvier rouge). Mais, de par leur taille, nous avons eu du mal à savoir à quel organisme nous étions confrontés. On a assez vite compris grâce à des analyses en microscopie électronique que ce n’était pas un organisme eucaryote (absence de noyau et de mitochondries) mais la taille nous a limité dans nos conclusions.

Était-elle alors déjà qualifiée de bactérie ?

Quelques années plus tard, des analyses phylogénétiques basées sur l’ADNr 16S ont permis de l’identifier comme étant à coup sûr une bactérie d’un genre déjà connu pour abriter des bactéries de très grande taille : le genre Thiomargarita.

Les techniques de microscopie ont-elles été déterminantes pour cette découverte ?

De nombreuses techniques d’imagerie ont été nécessaires pour pouvoir affirmer qu’une seule cellule bactérienne pouvait atteindre jusqu’à 2 cm de long ! La microscopie confocal avec des marqueurs membranaires couplée à des analyses en tomographie par rayons X ont permis de valider l’absence de séparation cellulaire sur la longueur d’un seul et même filament. La Microscopie électronique à transmission (MET) ayant permis la description des pépins, structure membranaire enfermant de l’ADN et des ribosomes.

Thiomargarita magnifica pourrait être présente au sein d’un autre écosystème que celui de la mangrove de Guadeloupe ?

Ailleurs qu’en Guadeloupe je pense que oui, mais encore faudrait-il aller les observer dans les autres îles de la Caraïbe mais aussi dans des mangroves sur les autres continents - mais il faut des mangroves non soumises à des marées, permettant l’accumulation de matière organique sur les sédiments et donc la production de sulfures en grande quantité. Ces bactéries sont des bactéries sulfo-oxydantes classiques vivant à l’interface oxique/anoxique donc ayant besoin des sulfures émis par les sédiments anaérobies et de l’oxygène provenant de la colonne d’eau aérobie.

Est-elle « nuisible » ?

Non, pas à ma connaissance. Elles sont benthiques attachées à des substrats durs (feuilles, branches, coquilles d'huitres…) et, de par leur taille, il semble difficile de les imaginer comme des pathogènes invasifs ou des parasites intracellulaires. Ce sont des bactéries géantes qui vivent leur vie tranquillement dans ce milieu extraordinaire que représente la partie marine des mangroves de bord de mer.

Cette étude ouvre ainsi la voie à la découverte d’autres bactéries de ce type ?

Oui bien sûr, mais aussi à rechercher des bactéries de grande taille faisant également de la compartimentation d’ADN et donc ayant un degré de complexité cellulaire encore insoupçonnée. C’est un aspect encore inconnu de la microbiologie. Thiomargarita magnifica est-elle unique en son genre ou la compartimentation d’ADN dans des structures membranaires existe t- elle chez d’autres espèces de bactéries ? L’avenir nous le dira assez vite je pense.

Microbe, bactérie, virus : quelle différence ?

Le terme de microbe est utilisé pour désigner sans distinction les organismes vivants microscopiques. Il comprend notamment les bactéries et les virus.

Une bactérie est un organisme unicellulaire contenant en général une copie de génome par cellule (haploïde). Cette molécule d’ADN est libre dans le cytoplasme et n’est donc pas compartimenté comme chez les eucaryotes et leur noyau.

Contrairement au virus qui a besoin d’une autre cellule vivante pour se reproduire, la bactérie n’a besoin d’aucune autre cellule.

Les virus sont toujours à l’origine de maladies tandis que les bactéries ne sont pas toutes nocives. Par exemple, le corps humain est composé de milliards de bactéries indispensables au bon fonctionnement de l’organisme.

Les microbes sont partout autour de nous et en nous ! Pour en savoir plus, écoutez le podcast « Les microbes sont aussi nos meilleurs alliés » de la série Pour que nature vive.

La recherche au Muséum

Dans le cadre de sa mission de préservation de la biodiversité biologique, le Muséum national d’Histoire naturelle conserve des micro-organismes procaryotes et eucaryotes, unicellulaires et pluricellulaires, vivants, cryoconservés ou lyophilisés, des cellules ou tissus de vertébrés cryoconservés, de l’ADN, permettant d’étudier les mécanismes du vivant.

En savoir plus sur les Ressources Biologiques Cellules vivantes et cryoconservées

Remerciements à Olivier Gros, professeur en biologie à l'Université des Antilles, co-auteur de l'étude, et membre de l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (ISYEB), spécialiste de la biologie de la mangrove.