Mariage en Chine

Systèmes de parenté et diversité génétique

L’évolution et la diversité génétique des populations dépend bien évidemment de la transmission des gènes et, donc, de qui se reproduit, avec qui, du nombre de descendants de ces couples. Or les humains ont inventé une extraordinaire diversité de normes autour de ces choix matrimoniaux dont certains sont liés à ce que l’on nomme les systèmes de parenté. Comment ces pratiques d’ordres social et culturels influent-ils sur l’évolution génétique des humains ?

Les systèmes de parenté ont trois composantes.

  • L’alliance : "avec qui je peux ou non me marier ?" ;
  • la résidence : c’est-à-dire le lieu où le couple va s’installer, ce qui pose la question "qui dans le couple se déplace pour habiter sur le lieu de résidence de l’autre ?" ;
  • la filiation : "à quelle lignée est-ce que j’appartiens, celle de ma mère, de mon père, ou de manière indifférenciée aux deux".

Chacune de ces trois composantes influence la manière dont les gènes vont être transmis, le déplacement influant en outre sur la variabilité génétique des populations. Ainsi en Asie centrale, nous avons pu étudier des populations "patrilocales" où, après le mariage, le couple s’installe dans le village de l’époux et c’est l’épouse qui migre. Certaines de ces populations sont aussi patrilinéaires : la filiation passe par les pères. Un individu "appartient" au lignage, au clan ou à la tribu de son père et cette appartenance est transmise par les hommes. Ainsi tous les individus d’un même lignage revendiquent un ancêtre commun paternel proche, les lignages se regroupent en clans avec un ancêtre paternel plus éloigné.

Dans ces sociétés, l’exogamie de lignage ou de clan est la règle : les époux ne peuvent appartenir au même lignage. Comme souvent les individus appartenant à un même lignage (ou clan) vivent dans le même village, cet interdit matrimonial se traduit par une exogamie géographique : l’homme et la femme viennent de villages différents. L’un de deux doit donc migrer et dans ces sociétés patrilocales, ce sont les épouses qui viennent vivre dans le village de l’époux.

Le succès de Gengis Khan

Monument Genghis Khan

Monument à Genghis Khan en Mongolie

© Astreluk - stock.adobe.com

Outre ces conséquences migratoires, cette organisation sociale a une autre conséquence détectable avec les données génétiques : la transmission culturelle du succès reproducteur. Certains individus ont un fort succès reproducteur, transmis à leurs fils qui à leur tour ont un fort succès reproducteur. Ce fort succès reproducteur, transmis de générations en générations est vraisemblablement lié au statut social de certains hommes et de leurs descendants. C’est d’ailleurs le mécanisme invoqué pour expliquer la fréquence élevée de certains variants du chromosome Y (que l’on nomme haplogroupe) à travers l’Eurasie : un haplogroupe porté par près de 10 % des hommes en Eurasie du Nord serait attribué à Gengis Khan et ses descendants, un autre à un ancien empereur chinois. Dans ces exemples, c’est le lien entre statut social et succès reproducteur auquel il faut ajouter la transmission de ce statut social au fil des générations qui entraîne une augmentation en fréquence de certains haplogroupes : une forme de "sélection sociale" beaucoup plus rapide et intense que de la "sélection naturelle". De manière intéressante, en Eurasie, il semble que la patrilinéarité crée les conditions pour une transmission culturelle du succès reproducteur par les pères.

Ces deux composantes patrilocalité et patrilinéarité ont des conséquences génétiques aussi sur la différenciation des populations : les populations où cette patrilinéarité est marquée ont moins de diversité génétique pour le chromosome Y, transmis par les hommes, et plus de différences entre les populations. En revanche l’ADN mitochondrial transmis par les femmes qui, elles, migrent d’un village à l’autre est beaucoup moins différencié.

Matrilinéarité en Asie du Sud-Est

Dans les sociétés matrilinéaires matrilocales, c’est l’inverse. C’est ce qui a récemment été démontré en Asie du Sud-Est. Dans ces sociétés où ce sont les hommes qui migrent après le mariage pour rejoindre le village de la femme, on trouve plus de différences entre les populations pour l’ADN mitochondrial que pour le chromosome Y, les migrations inter-villages des hommes entrainant une similarité des diversités du chromosome Y entre les villages.

Ce qui est fascinant dans ce dernier exemple est que ces matrilinéarité et matrilocalité entraînent en fait beaucoup moins de migrations entre les villages : les hommes qui vont devoir migrer s’ils épousaient une femme d’un autre village vont en général plutôt choisir de se marier dans le village afin de garder, dans le cadre d’une domination masculine, un statut qu’ils perdraient en étant un nouveau venu dans un nouveau village. Ainsi ces matrilinéarité et matrilocalité génèrent de fait une plus forte endogamie géographique et une plus grande consanguinité dans les villages. À l’inverse, en Asie centrale, l’exogamie géographique prime : plus de la moitié des couples sont formés entre deux individus qui viennent de villages différents et s’installent dans le village de l’époux. Mais là aussi, nos études génétiques ont révélé un résultat assez inattendu : ces mariages exogames sont en fait plus apparentés que ceux ayant lieu dans le même village, on va chercher loin son époux ou son épouse mais pour en choisir un ou une plus apparenté ou apparentée !

Application aux populations disparues

Comme on peut le voir dans ces exemples, en influant sur la diversité génétique des populations, les systèmes de parenté laissent des signaux que l’on peut en retour analyser pour inférer les systèmes de parentés dans les populations où ils sont inconnus. C’est le cas par exemple des populations du passé. Impossible de faire des études de généalogies et de parenté ! Mais là, la génétique est un outil de choix. Les travaux récents fondés sur l’histoire de la diversité génétique du chromosome Y mettent en lumière, à l’âge du bronze, il y a environ 5 000 ans, une importante chute de la diversité du chromosome Y dans le nord de l’Eurasie. Cela pourrait s’expliquer par l’émergence à cette époque des systèmes patrilinéaires qui, comme on l’a vu, entraînent une décroissance de la diversité du chromosome Y. L’ADN ancien permet aussi de retracer les systèmes d’alliance du passé. Une grande étude montre que les mariages entre apparentés proches (cousins, frères, sœurs) n’étaient en général pas la norme jusqu’au Moyen-Âge. Mais, de manière surprenante, à l’âge du Bronze en Irlande certains membres des élites se mariaient entre frères et sœurs. L’ADN ancien ouvre une fenêtre sur des modes de vie des populations du passé.

Reste que la question fascinante chez l’humain est cette extraordinaire diversité des systèmes de parenté. Chez les primates non-humains, en général c’est un seul et même système de parenté pour toute l’espèce. Par exemple, parmi les chimpanzés, ce sont toujours les femelles qui migrent et qui partent de leur groupe à l’âge de la puberté pour rejoindre un autre groupe. Le système de parenté n’est pas le seul niveau de diversité culturelle à avoir un impact sur notre diversité génétique. Certains traits culturels facilitent l’endogamie et de ce fait les différences entre les populations. L’exemple le mieux documenté est celui de la langue. Ainsi en Asie Centrale on préfère se marier loin avec un individu qui parle la même langue plutôt que se marier proche avec quelqu’un du village voisin qui parlerait une langue différente. Un autre exemple, marquant est celui des Basques qui ont pratiqué une endogamie liée à la langue depuis l’âge du Fer, à l’origine de leur légère différenciation génétique par rapport aux populations des régions voisines.

Partout et de tout temps, les groupes humains ont inventé, réinventé, modifié des traits culturels pour se différencier de leurs voisins. Certains de ces traits, transmis, finissent par influer sur la variabilité génétique. La culture et la génétique sont bel et bien imbriquées dans notre espèce, rappelant que nous sommes 100 % biologique et 100 % culturel !

Evelyne Heyer, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, Directrice de l'UMR 7206 (Eco-Anthropologie). Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022. Elle a écrit les ouvrages L'Odyssée des gènes en 2020 et La vie secrète des gènes en 2022.

La Terre, le vivant, les humains

  • Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
  • 2022
  • Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
  • 196 × 249 mm
  • 420 pages
  • 45 €
    Quoi de neuf au muséum ?
    La carrière de talc de Luzenac
    Retrouvez nos actualités et nos dossiers thématiques pour mieux comprendre l'humain et la nature.