Covid-19

One Health : pandémie de Covid-19

Santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées : l'une ne va pas sans les autres.

En ces temps d'épidémie, nous sommes abreuvés d'informations sur les virus, leur nature, leur transmission, leur agressivité à notre égard et, par conséquent, les mesures qu'il conviendrait d'avoir prises ou de prendre pour leur faire face. Cette pandémie offre aussi l'occasion de prendre du recul, de la hauteur et d'engager une réflexion sur nos valeurs, sur le fonctionnement de nos systèmes économiques et sociaux, et sur ce qui les anime. Des philosophes, des sociologues, des psychologues ou des économistes nous font part de leurs réflexions. Mais si nous prenons encore plus de distance, d'autres interrogations émergent. Elles ne sont pas nouvelles, mais prennent un relief particulier en ce temps de crise sanitaire. Elles touchent à nos relations avec le reste du monde vivant, notre environnement, et sont regroupées autour du concept « One Health » (une seule santé) qui insiste sur le fait, trop longtemps négligé, que santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées, que l'une ne va pas sans les autres.

Les coronavirus appartiennent à l’immense famille des coronaviridés, en circulation naturelle parmi de nombreuses espèces animales, chez lesquelles les effets sont extrêmement variés, de l’inoffensif au mortel. Ce sont des virus à ARN, donc très sujets à mutations, et au génome très long, propice à des recombinaisons, c’est-à-dire à constituer des sortes de patchworks génétiques. Leur diversité est classiquement décrite en quatre groupes, les Alphacorinavirus et les Betacoronavirus circulant parmi les mammifères, et les Gammacorinavirus et Deltacoronavirus, principalement chez les oiseaux. Quatre types de coronavirus bénins sont déjà connus chez l’humain, qui affectent les systèmes respiratoire (ils seraient responsables de 15 à 30 % des rhumes courants), et plus rarement gastro-intestinal, cardiaque et nerveux. Trois autres types provoquent des infections graves : SARS-CoV, MERS-CoV et SARS-CoV2 qui est responsable de la pandémie Covid-19 en cours. Les analyses génétiques montrent que le SARS-CoV-2 appartient au groupe des Betacoronavirus et qu’il est très proche du SARS-CoV, bien connu pour avoir été à l’origine d’une épidémie de pneumonie aiguë chez les humains en 2002-2003. Depuis, de nombreux Betacoronavirus ont été découverts, principalement chez les chauves-souris, mais aussi chez l’Homme. C’est ainsi que le virus RaTG13, isolé à partir d’une chauve-souris de l’espèce Rhinolophus affinis collectée dans la province chinoise du Yunnan, a récemment été décrit comme très proche du SARS-CoV-2. Puis nous apprenions plus récemment qu’un virus encore plus proche du SARS-CoV-2 avait été découvert chez le pangolin malais. Mais son génome n’est globalement similaire à celui du SARS-Cov-2 qu’à 90 %. Cependant, si l’on compare seulement la région particulière de la protéine du virus qui lui permet d’entrer dans les cellules humaines pour les infecter, alors le virus isolé chez le pangolin présente bien 99 % d’identité avec le SARS-Cov-2. Par comparaison, dans la même région, le virus RaTG13 isolé chez la chauve-souris R. affinis est beaucoup moins semblable (77 %). Cela signifie que le coronavirus isolé chez le pangolin est capable d’entrer dans les cellules humaines alors que celui isolé chez la chauve-souris ne l’est pas. Par ailleurs, cela suggère que le virus SARS-Cov-2 est issu d’une recombinaison entre deux virus différents, l’un proche de RaTG13 et l’autre plus proche de celui du pangolin. En d’autres termes, il s’agit d’une chimère entre deux virus préexistants. Deux leçons à tirer de cela.

Premièrement, il ne servirait à rien d’éradiquer les pangolins, ni les chauve-souris. Les virus de cette famille courent à travers toute la biodiversité des mammifères, laquelle est remplie de porteurs sains. Comme les animaux sont largement impliqués dans l’émergence de nouvelles épidémies, on pourrait être tenté de penser que la biodiversité représente un danger potentiel puisqu’elle héberge de nombreux pathogènes. En réalité, c’est tout le contraire car une grande diversité d’espèces hôtes potentielles ou effectives limite la transmission des virus par un effet de dilution. Pas seulement la diversité des espèces, mais aussi la diversité génétique de chacune, issue de leurs mutations, qui peuvent faire émerger des résistances de l’hôte à son pathogène, et donc limiter aussi sa transmission. Le déclin de la biodiversité réduit les populations d’hôtes et, ce faisant, la probabilité d’apparition des résistances. Ainsi la perte de biodiversité, diversité des espèces mais aussi diversité génétique de chacune, tend à augmenter la transmission des pathogènes et l’émergence des maladies associées en modifiant l’abondance, le comportement et la condition de l’hôte ou vecteur.

Deuxièmement, ce sont les conditions de braconnage et de détention qu’il faut cibler. Le pangolin est l’une des espèces les plus braconnées. Son commerce est strictement interdit, et pourtant plus de 20 tonnes sont saisies chaque année dans le monde, ce qui laisse augurer du trafic total, et qui surtout explique pourquoi les espèces de pangolins sont menacées, ce qui est particulièrement le cas du pangolin malais, classé en danger critique d’extinction. La consommation de viande et l’incorporation de leurs écailles dans la médecine traditionnelle asiatique sont les raisons principales de cette hécatombe, où les individus peuvent être stockés morts ou vivants, avec des contacts répétés avec les humains. Chauve-souris, pangolins et humains n’ont aucune raison d’être en promiscuité dans la nature. Le fait de chasser chauves-souris et pangolins, et de les rassembler dans un marché constitue la seule explication d’un passage de la chauve-souris au pangolin, puis du pangolin aux humains. Ces confinements d’espèces constituent une perturbation environnementale qui accélère la formation de virus-chimères par recombinaison entre virus d’espèces différentes.

Prenons du recul. Comme pour bien d’autres infections virales zoonotiques émergentes, la naissance et le développement de la pandémie Covid19 sont multifactoriels, mêlant plusieurs espèces écologiquement liées – hôte réservoir, hôte intermédiaire – dans la chaîne de transmission de pathogènes et des comportements humains individuels ou collectifs, parfois minoritaires, mais toujours profondément empreints de traits culturels, qu’il s’agisse de lien ou de prestige social ou de représentations symboliques. Ces comportements humains pèsent aussi largement sur la dégradation d’habitats naturels, le déclin de la biodiversité et le changement climatique, lesquels sont à l’origine d’un profonde modification qualitative et quantitative de l’interface Homme-Nature et d’une exposition croissante des humains à des risques de zoonose. Ces risques sont amplifiés par la globalisation à outrance et des modes d’usage non respectueux de l’environnement et de la biodiversité. Les exemples sont nombreux comme la chasse et le braconnage des espèces sauvages (voire protégées) qui brisent la barrière de la sécurité alimentaire (Ebola, SARS, Covid-19), la destruction d’habitat qui met l’humain en proximité avec des pathogènes endémiques, comme par exemple l’ulcère de Buruli en Guyane où la maladie frappe l’Homme de façon croissante en lien avec la déforestation. L’export de viande de brousse contaminé vers les régions à forte densité humaine (Ebola), l’intensification de transport des voyageurs et des marchandises à travers le globe sur le fond du réchauffement climatique favorisent la propagation à large échelle géographique des pathogènes ou vecteurs de pathogènes (Dengue, Zika, Chikungunya), etc. Plus que jamais, le concept « One Health » qui intègre des interfaces socio-écosystémiques, constitue la base de l’écologie de la santé, un champ de recherche récent s’intéressant aux interdépendances entre le fonctionnement des écosystèmes, les pratiques socio-culturelles et la santé des populations humaines, animales et végétales prises ensemble.

Nous devons intégrer sous cette bannière tous les aspects sanitaires, y compris ceux associés à l’essor des multi-résistances aux antibiotiques, qui pose des problèmes à 150 000 malades par an en France, dont 12 000 décèdent annuellement. Elle illustre notre lien aux écosystèmes. Des antibiotiques utilisés pour l’Homme le sont aussi en élevage, pour améliorer la santé mais aussi la croissance du bétail, voire pour protéger les plantes, par exemple contre la bactérie du verdissement des agrumes en Floride. Cet usage à large échelle sélectionne des résistances, et pas seulement bactériennes : le Tébuconazole est un antifongique de la famille des triazoles utilisé dans les cultures florales, aux Pays-Bas en particulier, contre Aspergillus fumigatus. Cette pratique a sélectionné des résistances chez ce champignon qui cause aussi des aspergilloses humaines invasives (500 000 cas par an dans le monde) et infecte 10 % des individus immunodéprimés. Hier guéries dans 60 % des cas par des triazoles, ces maladies résistent à présent à ces traitements, pour atteindre 90 % de résistance aux Pays-Bas. Les échanges de résistances aux antibiotiques se font aussi en sens inverse : plus un milieu est anthropisé, plus les résistances y sont nombreuses parmi les bactéries. Les gènes de résistance aux carbapénèmes (antibiotiques de dernière génération) se retrouvent dans les bactéries du tube digestif des goélands de nos décharges, mais non dans celles des goélands du littoral. La gestion de la résistance aux antibiotiques revêt donc une dimension écologique.

Par ailleurs, cette crise rappelle la nécessité de ne jamais perdre de vue les enseignements des sciences historiques et de l’évolution, encore soutenus par une recherche très active mais trop souvent reléguées au second plan au profit d’une recherche de plus en plus tournée vers les applications innovantes et les profits immédiats. La connaissance et la compréhension de l’histoire des pandémies et celles des mécanismes de l’évolution, de la molécule aux anthropo-écosystèmes, sont au service de nos sociétés afin de les aider tout aussi bien à se garantir par anticipation de crises auxquelles l’humanité n’a jamais échappé et n’échappera jamais, qu’à mettre en œuvre les dispositif scientifiques, médicaux, éducatifs et socio-politiques qui permettront la meilleurs sortie de crise et la meilleure anticipation sur le moyen et le long terme. Nous avons encore un travail culturel à faire sur nous-mêmes. Les études de médecine et de pharmacie se font encore majoritairement dans une biologie qui n’est pas la biologie de l’évolution. Cette dernière est récemment devenue facultative pour les deux tiers d’un parcours scolaire de lycéen, et la masse de ceux qui n’auront pas choisi les Sciences de la Vie et de la Terre ne laisse rien augurer de bon. Car nos sciences de l'environnement ont beaucoup à apporter aux futurs consommateurs et décideurs. Tous doivent voir les conséquences de leurs actes (dont la consommation) sur l’environnement, et lire les contraintes, mais aussi les opportunités que l’environnement impose ou offre, respectivement. Bien plus, une vision environnementale donne des outils pertinents (et pas que des connaissances !) car elle permet de penser la complexité, et de raisonner dans des logiques systémiques et évolutives. Par exemple, la vision environnementale de l’évolutionniste considère la population humaine du point de vue des « intérêts » du virus, comme un grand champ à moissonner : grande densité, flux interrégionaux, inégalités de système de santé (donc de vulnérabilité) selon les lieux et absence d’anticipation collective. La leçon à tirer de cela, c’est que nous sommes un environnement pour nos pathogènes, et nous devons nous penser comme tel pour leur faire obstacle et anticiper ce qui pourrait être la prochaine pandémie.

Texte préparé par le Muséum avec le concours de tous les membres de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement AllEnvi : BRGM, CEA, CIRAD, CNES, CNRS, CPU, Ifremer, INRAE, IRD, Météo France, MNHN, Université Gustave Eiffel. Cette tribune est à retrouver sur le site du Monde.

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Le deuxième épisode du podcast Pour que nature vive est dédié au concept « One Health » : Une planète, une santé avec Coralie Martin - chercheuse en parasitologie à l'Inserm et au Muséum.

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