Recherche scientifique

Comment vivre en ville avec les corneilles ?

À l’heure où une corneille est encore coincée dans le métro parisien, focus sur cette espèce mal-aimée qui nous côtoie quotidiennement. Qui sont vraiment les corneilles, pourquoi sont-elles si fascinantes et comment vivre en harmonie avec elles ? Nous avons posé ces questions à Frédéric Jiguet, scientifique au Muséum et spécialiste de ces oiseaux.

Peut-on croire aux politiques de régulation des animaux sauvages ?

On parle souvent de "réguler" les populations de corneilles. Pour autant, on ne peut pas croire en l’efficacité de ces politiques tant que celles-ci n’ont pas été testées et démontrées. Que la régulation diminue le nombre d’individus, c’est évident, mais que cette régulation réduise les nuisances quotidiennes, c’est différent. Ce lien, lui, n’est pas démontré.

Dans le cas du renard et de la rage, il aura fallu 20 ans de destruction avant de comprendre que c’est la vaccination qui libèrerait la France et ses renards de cette maladie. Vingt ans, c’est long, cela représente des millions de renards sacrifiés à cause de l’ignorance des humains. Il faut aussi envisager autre chose pour les corneilles.

Le problème des corneilles ne serait-il pas celui des humains ?

Corneilles faisant les poubelles au Jardin du Carrousel, à Paris

Corneilles faisant les poubelles au Jardin du Carrousel, à Paris

CC BY 4.0 M.-L. Taÿ Pamart

Le problème des corneilles, c’est tout simplement les humains ! Enfin certains humains, ceux qui veulent les réguler. Si l’on parle des poubelles urbaines et leurs déchets organiques, elles constituent une aubaine pour les jeunes oiseaux qui s’y nourrissent et qui peuvent ainsi mieux survivre, notamment en hiver.

Pour cette raison, ces oiseaux sont très nombreux dans les villes. Cette nourriture n’est pas idéale, et certains oiseaux ont des foies abimés, mais elle permet à de nombreux immatures de vivre…

Que faire pour vivre en harmonie avec cette espèce sans qu’elle ne prolifère trop ?

La solution semble simple : mieux gérer les déchets organiques et les restes de nos aliments, pour que les animaux commensaux n’y aient pas accès. Le confinement du printemps 2020 nous l’a démontré : parcs et jardins fermés, restaurants fermés, la mortalité des jeunes corneilles a plus que triplé au Jardin des Plantes. Pas de nourriture dans les poubelles, moins de corneilles, moins de nuisances associées à ces oiseaux.

Au-delà de cela, les problèmes peuvent aussi être abordés un à un. Si les corneilles vident les poubelles pour trouver à manger et épandent les déchets sur le sol, ajouter un couvercle sur les contenants, et évacuer les sacs pleins dès leur sortie permet de résoudre cette nuisance. Les sacs poubelles et les déchets sont alors vraiment inaccessibles, et ne seront pas percés et répandus sur la voie publique.

Concernant les pelouses arrachées pour y manger des larves d’insectes, ne plus tondre dès l’automne permet à l’herbe de mieux s’enraciner, d’être plus dense et haute en hiver, empêchant les corneilles d’y détecter les larves de hannetons qu’elles adorent. Une expérience menée deux années de suite au carré Lamarck du Jardin des Plantes a démontré que l’arrêt des tontes réduit de 50 % l’arrachage des pelouses. De plus, ne pas tondre la pelouse donne une chance à la biodiversité du sol, et notamment les insectes, et réduit les coûts d’entretien. C’est donc gagnant à tous les coups !

Quelles sont les recherches en cours au Jardin des Plantes sur les corneilles ? Quels sont vos travaux de recherches ?

Scientifiques étudiant les corneilles au Jardin des Plantes

Scientifiques étudiant les corneilles au Jardin des Plantes

© MNHN - F. Jiguet

Les dernières recherches par des scientifiques du Muséum concernent deux thématiques. La première consiste à suivre les déplacements des oiseaux avec des balises GPS, notamment pour documenter la mobilité à grande échelle de ces oiseaux, et le fonctionnement des rassemblements, décrit comme un processus permanent de fission-fusion d’individus dans des groupes. À l’échelle de Paris, on a ainsi compris que les corneilles dormaient au Jardin des Plantes ou au cimetière du Père Lachaise, où il fait nuit noire et où il n’y a pas de passage. En revanche, en journée, elles vont se restaurer ailleurs et font le déplacement parfois quotidiennement jusqu’aux Halles par exemple.

Le deuxième projet vise à trouver des enrobages répulsifs pour les semences utilisées en agriculture. Des tests de couleur et de goût sont en cours sur les corneilles parisiennes, au Jardin des Plantes, pour proposer une alternative à la destruction pour protéger les cultures. Pour se faire, nous avons sélectionné des grains de maïs rouges et des grains jaunes. Ces grains leurs sont proposés pour que les corneilles s’habituent aux couleurs. Cet hiver, un répulsif sera ajouté sur le maïs rouge, et nous verrons si elles continuent de consommer les grains de cette couleur…

Lire aussi

La corneille noire

À quoi cela sert-il d’étudier le comportement de ces animaux ?

Connaître le fonctionnement des populations, en intégrant les mouvements individuels, a permis de comprendre que les régulations locales n’ont pas d’effet sur les effectifs, car ces oiseaux sont très mobiles, et se concentrent là où les ressources alimentaires sont abondantes et prédictibles. L’étude de la reproduction a aussi permis d’alimenter des modèles démographiques, et d’étudier la dynamique de populations. En somme, on comprend mieux comment fonctionne leur population, et où se déplacent les corneilles.

Pourquoi le comportement des corneilles est-il si fascinant ?

Corneille transportant des matériaux pour le nid.

Corneille adulte transportant des matériaux pour le nid

CC BY 4.0 M.-L. Taÿ Pamart

Ce sont des oiseaux particulièrement intelligents, si bien que décrypter leur comportement est un véritable challenge. Ce défi commence par réussir à les capturer pour les marquer ! Certains individus, fidèles au Jardin des Plantes, me reconnaissent et s’alarment dès qu’ils me voient, précipitant leurs congénères dans les airs. Si les adultes sont sédentaires, les jeunes oiseaux sont plus mobiles, notamment en début de printemps, lorsqu’ils prospectent la région, voire plus loin. La corneille baguée à Paris qui a été trouvée le plus loin est allée aux Pays-Bas, près de Maastricht. La corneille est une grande voyageuse finalement !

Corneille baguée au Jardin des Plantes

© M.-L. Taÿ Pamart
Corneille portant une balise au Jardin des Plantes

Corneille portant une balise au Jardin des Plantes

© Y. Gestraud

Remerciements à Frédéric Jiguet, chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle, au Centre d’Écologie et des Sciences de la Conservation (UMR 7204). Il est l’auteur de l’ouvrage Vivent les corneilles, 2024, publié chez Actes Sud.