Sonosylva : à l’écoute des forêts protégées de France

Le projet Sonosylva utilise l’écoacoustique pour étudier les forêts protégées de France. Des magnétophones automatiques enregistrent les sons des forêts sans présence humaine. Les analyses acoustiques menées ensuite au laboratoire évaluent la biodiversité présente dans les paysages sonores enregistrés. Elles permettent également d’estimer l’importance et les effets de la pollution sonore due à l’activité humaine.

En écoutant la nature, il est possible de distinguer les éléments vivants et non vivants présents dans un milieu, et de déterminer leur identité, leur nombre, leur répartition, et potentiellement les interactions écologiques qui les régissent.

Les sons de la nature

Grive musicienne (Turdus philomelos). Le chant des oiseaux, comme celui de cette grive musicienne peut avoir de nombreux objectifs (alarme, séduction… ). Il nous indique quelle espèce est présente dans la forêt.

© Adrian - stock.adobe.com

Des sons révèlent les espèces de la forêt

Lorsque l’on pénètre dans une forêt, les premiers sons perçus sont souvent des chants d’oiseaux. Abondants et actifs, les oiseaux produisent en effet des chants que les humains perçoivent très facilement. Il est d’ailleurs plus facile d’entendre les oiseaux que de les voir. C’est le cas, par exemple, des pinsons, des grives, des troglodytes ou des mésanges, dont les chants nous sont familiers et agréables même si nous ne savons pas toujours les reconnaître. Cependant, les vocalisations des oiseaux ne sont pas là pour nous faire plaisir, ils sont la marque de comportements : défense d’un territoire, séduction du sexe opposé, alarme due à la présence d’un prédateur, maintien d’un contact avec des congénères ou nourrissage des jeunes.

Tous ces sons révèlent la présence des espèces, ils témoignent de leur activité. Ils peuvent donc être utilisés pour suivre la biodiversité et pour traiter des questions d’écologie scientifique.

Chevreuil à l'arrêt observant une compagnie de sangliers traversant un chemin forestier. Sologne, Loiret

Les déplacements des animaux, ici un chevreuil (Capreolus capreolus) observant des sangliers traversant un chemin forestier en Sologne, sont des indicateurs de leur présence et de leur comportement. 

© patrick - stock.adobe.com

Des sons qui parlent de leur environnement

Les oiseaux ne sont pas les seuls à communiquer à l’aide de sons. Les amphibiens, certains mammifères et insectes se font aussi entendre, soit intentionnellement quand ils communiquent, soit indirectement par leurs déplacements. D’autres sons dus à la météorologie, comme la pluie et le vent, ou aux éléments du paysage, comme des ruisseaux, marquent la structure et l’évolution des écosystèmes. L’écoacoustique n’est pas sélective : elle s’intéresse à l’ensemble des éléments sonores d’un écosystème et à leur dynamique, c’est-à-dire à la façon dont ils s’organisent et évoluent.

Des instruments très variés

En s’intéressant aux sons du vivant, on ne peut ignorer les mécanismes qui en sont à l’origine. Certains mammifères, comme le cerf célèbre pour son brame, peuvent émettre des vocalisations surpuissantes grâce à leur appareil vocal surdimensionné. Les oiseaux chantent un peu comme les humains sifflent, mais avec un larynx particulier, la syrinx, qui permet de produire deux sons en même temps. Les amphibiens amplifient leurs coassements grâce au gonflement de sacs vocaux vibrants. De nombreux insectes stridulent en frottant des parties de leurs corps l’un contre l’autre, font claquer leurs ailes, ou tambourinent leur corps contre une plante ou une roche. Les organes auditifs se révèlent tout aussi variés. Chez les insectes, il peut s’agir de tympans membraneux implantés sur les pattes ou les ailes, de récepteurs plus inattendus comme les antennes plumeuses des moustiques, ou encore de récepteurs de vibrations transmises par un solide, comme une tige ou une feuille d'une plante par exemple.

Les forêts protégées de France sur écoute

Dans le cadre d’un programme national de surveillance de la biodiversité terrestre conduit par l’Office français de la Biodiversité (OFB), le projet Sonosylva enregistre et analyse plus de cent forêts protégées de France de 2024 à 2026.

Les forêts, témoins des changements globaux

Les forêts abritent des espèces animales et végétales très nombreuses et variées. Ces creusets de biodiversité sont aussi très sensibles. Or, ces espaces subissent des pressions multiples. Ils sont particulièrement affectés par le changement climatique, sont modifiés par l’exploitation forestière, agressés par les pollutions chimiques ou sonores.

Magnétophone automatique

Magnétophone automatique captant l’évolution du paysage sonore.

© Frédéric Sèbe/Université Saint-Étienne, CC BY-NC-ND

110 forêts françaises protégées sur écoute

Sonosylva propose d’établir l’inventaire sonore de 110 espaces forestiers protégés de la France hexagonale. Les paysages sonores recueillis constitueront une base référentielle utile pour suivre l’évolution de chaque forêt et des différents milieux forestiers à l’échelle nationale.

Le projet vise des objectifs multiples :

  • Mesurer le niveau de diversité sonore des forêts et leur niveau d’hétérogénéité à l’échelle nationale.
  • Dessiner des dynamiques saisonnières et déterminer ainsi les périodes de pics d’activité sonore et si elles évoluent avec le changement climatique.
  • Étudier l’impact de la pollution sonore en captant les intrusions sonores d’origine humaine et leurs effets.
  • Sensibiliser à l’écoute des forêts et mobiliser ainsi autour de leurs protections.

La première phase du projet, démarrée en 2024, se déroule sur 3 ans, à raison de 7 mois d’enregistrements par an, de mars à septembre, période où la faune est la plus active. Les magnétophones s’enclenchent une minute toutes les quinze minutes, 24 heures sur 24, mais un jour sur deux.

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Enregistrement en Champagne, Étang de La Horre, le 6 Juin 2023 à 5h du matin

© SonoSylva (OFB/MNHN)

Un dispositif participatif pour se reconnecter à la nature

Sonosylva est un projet participatif construit avec les gestionnaires d’aires protégées. Il devrait s’étendre prochainement aux domaines forestiers non protégés et s’ouvrir aux particuliers munis de leur smartphone. En attendant, Sonosylva invite chacun à se reconnecter à la nature par le biais de ses oreilles. Un jeu pour s’entraîner à repérer et situer les sources sonores en les dessinant à l’aide de glyphes simples est notamment proposé sur le site du projet.

Classer les sons

Plus d’un million d’enregistrements ont été recueillis durant la première campagne de 2024. Pour traiter l’ensemble de ces sons, les scientifiques discriminent les sources par étapes.

Ils analysent tout d’abord la quantité de sons (en décibels) et le nombre de sons dans un enregistrement, afin d’estimer le niveau d’activité sonore. Plus il y a de quantités de sons, plus il y a de sources potentielles.

Ensuite, ils utilisent des intelligences artificielles pour estimer les importances relatives des sons du vivant non humain (biophonie), des sons des éléments tels que la pluie, le vent, etc. (géophonie), des sons des humains, c’est-à-dire des voix, des pas… (anthropophonie) et, enfin, des sons des machines construites par les humains (technophonie).

Ils peuvent aussi essayer d’identifier les espèces, notamment les oiseaux dont les chants sont les mieux connus, grâce également à des intelligences artificielles.

Comment le son témoigne des changements globaux

Une baisse ou une augmentation des sons, un décalage des activités dans le temps, des animaux qui s’expriment différemment…, les modifications d’un milieu peuvent s’entendre dans son paysage sonore. En mettant en corrélation les changements de comportements des animaux et ceux survenus dans leur environnement, il est possible de déduire les impacts de ces derniers sur les premiers.

Changement climatique et répercussions acoustiques

Le changement climatique peut avoir, par les variations météorologiques, des répercussions physiologiques sur un animal. Une modification de température peut par exemple ralentir ou favoriser son activité sonore. Ainsi, les insectes, qui ne peuvent pas réguler la température de leurs corps, striduleront davantage, plus rapidement et plus aigu avec des températures chaudes. Ces altérations sonores peuvent induire des modifications des périodes de reproduction, les décaler ou les retarder. Puisque les espèces vivent en interaction les unes avec les autres, les changements des uns peuvent affecter les autres par des effets cascades, changeant ainsi la répartition spatiale et temporelle des populations.

Pollution sonore

Les ondes sonores ne connaissent pas les frontières. Les échos des activités humaines se font de plus en plus entendre dans les paysages sonores qui se peuplent de vrombissements d’avion, de voitures, de tronçonneuses… Les loisirs génèrent aussi une anthropophonie et une technophonie croissantes (compétitions sportives, enceintes portables, chasse…) qui, même périphériques, peuvent s’immiscer dans les espaces naturels protégés.

Des bruits de moteurs d’avion s’entendent sur 75 % des enregistrements réalisés sur une année dans la forêt du Risoux, une forêt protégée du Haut-Jura.

Jérôme Sueur, écoacousticien au Muséum national d'Histoire naturelle

Ces bruits d’origine humaine, forts et omniprésents, nuisent à la santé des animaux. Ils brouillent leur communication - ce qui affecte leur reproduction -, parasitent les signaux d’alerte ou les échanges entre des juvéniles et leurs parents. En réaction, certaines espèces parviennent à s’adapter en intensifiant le volume de leurs émissions, en chantant plus souvent ou modifiant leurs fréquences. Ces changements sont cependant limités et demandent une dépense énergétique supplémentaire.

Certains sons perturbent l’orientation des animaux tels que les chauves-souris qui se dirigent grâce à l’écholocalisation.

Le bruit engendre par ailleurs du stress et de la fatigue, avec des conséquences sur leur métabolisme ou les obligeant parfois à s’éloigner pour chercher d’autres lieux de vie. 

À chacun sa fréquence

Chaque espèce communique dans une fréquence qui lui est propre. Dans certains cas, cette distribution évite aux différentes espèces de brouiller la communication des autres. Problème, les sons anthropophoniques et technophoniques interfèrent avec une large gamme de fréquences. Ils perturbent un très grand nombre d’espèces.

Article rédigé en mai 2025

Pour aller plus loin

Parcourez la sonothèque du Muséum pour découvrir le patrimoine naturel sonore.

À lire

  • Histoire naturelle du silence, Jérôme Sueur, éd. Actes Sud, 2023.
  • Le son de la Terre, Chroniques radiophoniques, Jérôme Sueur, éd. Actes Sud, 2022.
  • Le site du projet Sonosylva

Relecture scientifique

Photo de Jérôme Sueur

Jérôme Sueur

Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, spécialité en écoacoustique au sein de l'Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (UMR 7205)

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