Recherche scientifique

Sixième Extinction : 7% des espèces probablement déjà disparues

Ce ne serait pas 1,3 % mais 7 % de la biodiversité terrestre qui aurait disparu, soit environ 130 000 des espèces déjà connues. C’est le constat que fait une équipe pluridisciplinaire de chercheurs français, notamment de l’Institut de Systématique, Évolution et Biodiversité (Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS/UPMC/EPHE), du Centre des sciences de la conservation (Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS/UPMC) et de l’université d’Hawaï1, dans un article qui vient de paraitre dans les Proceedings of the National Academy of Science (PNAS).

En utilisant deux approches, l’une fondée sur les avis d’experts naturalistes et l’autre issue des mathématiques probabilistes, ces chercheurs ont travaillé sur un échantillon d’espèces d’invertébrés et ont extrapolé leurs résultats à l’ensemble de la biodiversité terrestre. Leur étude offre un nouveau regard sur la mesure de la crise de la biodiversité, jusqu'ici focalisée sur les vertébrés, et en particulier les mammifères et les oiseaux.

Quels chiffres fondent la notion de 6e extinction de masse ?

La Liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dresse chaque année la liste "officielle" des espèces éteintes ou en danger d’extinction. Elle recense environ 1000 espèces de plantes et d'animaux, éteintes au cours des quatre derniers siècles alors que dans le même temps les biologistes découvrent et décrivent en moyenne 18 000 nouvelles espèces par an, qui s'ajoutent aux deux millions déjà connues. Ce décalage entre les 1000 espèces recensées par l’UICN et les millions d’espèces existantes s’explique aisément. La mesure de la crise se base essentiellement sur les vertébrés supérieurs (oiseaux, mammifères), pour lesquels nous disposons de données robustes mais qui concentrent aussi l'essentiel des efforts de conservation.

Lorsque la Liste rouge recense "seulement" 1,3 % d'extinctions chez les mammifères et les oiseaux, ce chiffre reflète, certes, la crise de la biodiversité (ce chiffre est en effet 100 à 200 fois supérieur au "bruit de fond" de l'extinction naturelle2) ; mais il reflète aussi le succès des actions de conservation : créations de réserves et aires protégées, plans de reproduction en captivité dont bénéficient la plupart des oiseaux et bon nombre de mammifères. Les invertébrés, au contraire, constituent le plus gros bataillon de la biodiversité (70 % des espèces connues, la plupart petites et rares, difficiles à échantillonner et à identifier), mais souffrent à la fois d'un déficit de connaissances et d'un déficit d'attention en termes de stratégies de conservation.

Une nouvelle approche de la crise de la biodiversité fondée sur les invertébrés

Face à ce constat, une équipe de recherche pluridisciplinaire (systématique, biologie de la conservation, mathématique et bio-informatique) a remis en question les données sur lesquelles s’appuie la mesure de la Sixième Extinction en s’intéressant spécifiquement aux invertébrés. Ces chercheurs ont choisi comme modèle un groupe d’invertébrés pouvant paraître peu charismatiques : les mollusques terrestres (escargots et limaces). Pour 200 espèces tirées au sort, les chercheurs ont demandé à 35 experts du monde entier d’évaluer si elles étaient éteintes, encore vivantes ou s’ils ne pouvaient pas se prononcer.

En parallèle, toutes les informations existantes depuis deux siècles sur ces 200 espèces ont été rassemblées : données bibliographiques, mais aussi données issues de collections de plusieurs Muséums d’histoire naturelle, données d’amateurs et de collectionneurs, habituellement non utilisées pour construire ce genre de scénarii. Ces données ont alimenté un modèle de mathématique probabiliste pour mesurer les "chances" d'extinction de chacune des espèces.
Les résultats des deux approches, avis d’expert et modèle mathématique, totalement indépendants, sont remarquablement concordants. Extrapolés aux autres compartiments de la biodiversité, ces résultats permettent donc d’estimer que nous aurions déjà perdu, non pas 1,3 mais 7 % de la biodiversité terrestre de la planète.

Références

Claire Régnier (a,1,2), Guillaume Achaz (b, c,d,1), Amaury Lambert (d,e,f), Robert H. Cowie (g), Philippe Bouchet (a), et Benoît Fontaine (h). 2015
Mass extinction in poorly known taxa. PNAS, 112: doi:10.1073/pnas.1502350112.

a. Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité, UMR 7205 CNRS/MNHN/UPMC/EPHE/Sorbonne Université
b. UMR 7138, CNRS Evolution Paris Seine, UPMC (c) Atelier de Bioinformatique, UPMC
d. UMR 7241, INSERM U1050, Center for Interdisciplinary Research in Biology, Collège de France
e. UMR 7599 Laboratoire de Probabilités et Modèles Aléatoires, UPMC, CNRS
f. UMR 7599 Laboratoire de Probabilités et Modèles Aléatoires, Université Paris Diderot, CNRS
g. Pacific Biosciences Research Center, University of Hawaii, Honolulu
h. UMR 7204, Département Ecologie et Gestion de la Biodiversité MNHN/CNRS/UPMC

Notes

1. Références complètes des auteurs en page 2
2. Extinction qui aurait lieu, du fait de l'évolution, même en l'absence de l'Homme