Recherche scientifique

Espèce relicte ou "fossile vivant" ? Un concept fascinant mais à manier avec précaution

Des chercheurs français de l’Institut de systématique, évolution et biodiversité - ISYEB (Muséum national d’Histoire naturelle, CNRS, UPMC, EPHE, IRD) et un chercheur néo-zélandais publient aujourd’hui dans la revue Trends in Ecology and Evolution, un article sur les problématiques d’analyses et les prudentes méthodologies d’étude à appliquer auprès des espèces relictes, ces espèces vivantes que l’on croyait éteintes et qui sembleraient ne pas avoir évolué.

Les espèces relictes ont toujours attiré les biologistes, qui les voient souvent comme des "fossiles vivants" ou des survivantes de temps anciens. Ce sont en fait les seules espèces survivantes de grands groupes d'organismes autrefois très répandus et aujourd'hui presque complètement disparus, comme l'Ornithorynque, le Ginkgo, ou encore le Tuatara. De nombreux travaux présument souvent à tort que les relictes auraient gardé des caractères ancestraux ou qu'elles attesteraient de la permanence des peuplements dans leur localité de vie actuelle. L’article publié aujourd’hui montre que de telles hypothèses sont souvent démenties par des analyses statistiques prudentes basées sur les arbres de parenté moléculaires (phylogénies) et l'étude des fossiles (paléontologie).

La reconstitution du passé en biologie de l'évolution doit, en effet, faire face à de nombreux pièges méthodologiques car les informations sur les histoires et les processus évolutifs sont fragmentaires et potentiellement biaisées. Ces informations doivent être contrôlées par des échantillonnages et des analyses statistiques appropriés, comme si elles résultaient d'une expérience de laboratoire conduite avec un protocole construit a priori. De même, bien que représentant un coup de projecteur étroit sur un large monde éteint et obscur, l'origine récente ou ancienne de la relicte, ou la représentativité de sa localisation géographique, ne sont pas connues a priori et devraient être prudemment documentées.

Malgré ces difficultés méthodologiques, les espèces relictes ont un grand potentiel scientifique. Lorsqu'elles sont étudiées en détails, elles permettent de documenter la pluralité des dynamiques de diversification ou d'extinction dans différents groupes d'organismes. Elles ont en outre une valeur "patrimoniale" exceptionnelle dans la conservation de la biodiversité puisqu'elles sont les uniques représentantes de vastes groupes d'organismes presque totalement disparus.
 

Une espèce relicte emblématique : le Ginkgo biloba, ici au Jardin des Plantes

© MNHN - L. Bessol

Référence

Philippe Grandcolas1, Romain Nattier1 and Steve Trewick2. Relict species: a relict concept? Trends in Ecology & Evolution, 29 (12). DOI: 10.1016/j.tree.2014.10.002

1. Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB), UMR 7205 CNRS MNHN UPMC EPHE, Muséum national d’Histoire naturelle, CP 50, 75005 Paris, France
2. Ecology Group, IAE, Massey University, Private Bag 11-222, Palmerston North, New Zealand