Covid-19

Des chauves-souris aux visons : les rôles passés, actuels et futurs des animaux dans la Covid-19

Faisons le bilan de ce que l'on sait des liens entre humains et animaux pendant cette pandémie au moment où le gouvernement danois ordonne l'abattage de millions de visons.

75 % : ce pourcentage est devenu incontournable pour introduire la majorité des articles et publications de synthèse sur les origines de la pandémie actuelle ; il s’agit de la proportion de maladies émergentes humaines qui sont dites « d’origine animale ». Ainsi, près de trois maladies infectieuses sur quatre qui frappent l’humanité seraient liées à des zoonoses, transmissibles de l’animal à l’homme et inversement. Revanche du règne animal sur l’homme ou effet brownien d’une coévolution, quelle est vraiment la dimension zoonotique de ce nouveau virus ?

Chauve-souris Rhinolophus smithersi

© Taylor / Stoffberg / Monadjem / Schoeman / Bayliss / Cotterill

 Si l’origine animale de SARS-CoV-2 semble désormais évidente, l’homme continue à chercher le nom précis des « coupables » dans le code génétique du coronavirus. Le point de départ est désormais localisé à l’ordre des chiroptères où l’une des 1400 espèces de chauve souris, Rhinolophus affinis, semble être l’hôte d’un virus très proche (>96 % d’identité génétique), mais cependant encore dénué d’aptitudes zoonotiques directes.

L’hypothèse de l’hôte intermédiaire reste ouverte, car la piste du pangolin paraît de moins en moins probable. S’il existe un hôte intermédiaire, il est capital de le trouver, non pas pour apporter des solutions à la crise que nous connaissons, mais plutôt pour prévenir la prochaine. Le lieu et le moment sont les deux clés de l’émergence infectieuse et de sa prévention. L’un des scénarios envisagés est celui de l’existence actuelle d’un ou plusieurs pools de virus préadaptés à l’homme, persistant chez une ou plusieurs populations animales, et qui nous restent pour le moment cachée.

La réceptivité animale ? Différents degrés de lecture…

En six mois, ce sont désormais plus d’une centaine de publications scientifiques qui s’intéressent à la sensibilité des différentes espèces animales à ce virus. Mais avant que d’évoquer les méthodes et les résultats obtenus, il est très instructif d’en comprendre les objectifs ; en réalité, la première des raisons qu’ont les chercheurs à se pencher sur ce sujet est de trouver un modèle expérimental idéal et fiable. Pour comprendre les mécanismes qu’utilise ce virus si performant chez l’homme, puis pour trouver et éprouver les parades thérapeutiques ou immunologiques, les chercheurs ont besoin de modèles « non humains ». Or, pour une fois, les rongeurs font défaut : rats et souris ne sont pas sensibles au SARS-CoV-2, à moins qu’on ne les « humanise » à renfort de modifications génétiques.

Les primates non humains « habituels » (macaques principalement) y sont sensibles, mais semblent présenter moins de formes graves que l’homme et leur gestion expérimentale est toujours plus délicate. Les primates du nouveau monde comme les ouistitis (à l’élevage plus facile), semblent bien moins sensibles que leurs cousins de l’ancien monde. Ainsi, si les chats et les furets ont fait leur apparition dans les publications, ce n’est pas tant pour savoir s’ils jouent un rôle épidémiologique dans la crise actuelle (ce qui semble de moins en moins probable), mais c’est avant tout pour trouver un modèle de recherche adapté, choix dicté par les enseignements du SARS-CoV-1, qui avait déjà montré son tropisme préférentiel pour certains carnivores comme la civette palmiste au début des années 2000.

De fait, les conclusions que l’on peut lire sur la sensibilité du chat infecté expérimentalement par de très hautes doses de virus déposées directement dans les voies respiratoires sont très peu transposables au même chat dans son écosystème urbain, fut-il entouré d’humains infectés. On comprend alors mieux pourquoi les études expérimentales objectivent une excrétion, voire une transmission entre les animaux, tandis que des analyses de populations urbaines de nos compagnons domestiques peinent à trouver quelques animaux positifs, excrétant apparemment peu de virus et de manière courte dans le temps. Modèle expérimental et réservoir ne riment pas, heureusement pour l’homme.

Modèles et prédictions : l’ordinateur contre le vivant

Au-delà des objectifs, intéressons-nous maintenant aux méthodes. Environ la moitié des publications voulant explorer la réceptivité des animaux au nouveau coronavirus le font sous l’angle de l’analyse moléculaire du tristement fameux récepteur membranaire « ACE2 ». « Angiotensin Converter Enzyme 2 » (ACE2) est une protéine présente à la fois sous forme libre, mais aussi fixée à la surface de nombreuses cellules de mammifères. Il s’agit d’un site de fixation du virus SARS-CoV-2, lequel dispose d’une région dite « Region Binding Domain » (RBD) sur l’une de ses glycoprotéines de surface « S » (pour « Spike ») venant coïncider avec l’ACE2 de la cellule à infecter.

L’image « Clé-Serrure » souvent utilisée pour vulgariser cette étape se traduit dans la réalité par un véritable accord tridimensionnel entre certaines séquences d’acides aminés de l’ACE2 de l’hôte et celles de la partie RBD du « S » viral. Cet accord est redoutablement parfait chez l’homme et c’est l’un des facteurs du « succès » de ce virus chez notre espèce. Or, cette enzyme ACE2 existe chez tous les vertébrés. Les chercheurs disposent de bases de données assez exhaustives pour comparer ses séquences à travers tous les taxons.

La grande idée du moment est donc de tenter de prédire l’affinité d’une espèce pour ce coronavirus en fonction de la composition de sa protéine ACE2 : identification acides aminés « clés », reconstruction 3D, compositions atomiques, tout est passé au crible, dans des tamis différents suivant les équipes de recherche. On obtient ainsi des gradients de scores, des listes « d’aptitude », des pyramides et autres spirales d’espèces où, sans surprise, la majorité des primates non humains sont théoriquement très « bien » placés, et où l’on trouve ensuite d’autres espèces potentiellement très sensibles plus inattendues telles certains cétacés, le grand fourmilier, les cervidés, etc. pour lesquelles la prédiction moléculaire donne de grandes probabilités d’infection. Ce genre d’étude conforte d’ailleurs la mauvaise affinité des rongeurs de laboratoire, ainsi que des reptiles, amphibiens et oiseaux. Ce qui peut nous sembler réconfortant puisque cela limite d’autant le nombre d’hôtes et donc de réservoirs possibles dans le règne animal.

Ce travail théorique est séduisant, d’autant qu’il est rapide à mettre en œuvre et ne nécessite aucune expérimentation animale, aucune enquête de terrain. Nul besoin de se frotter au virus pour télécharger une base de données. Il est parfois complété par une approche in vitro, où l’on infecte des cellules animales et non les animaux eux-mêmes. Plus coûteuse, cette approche reste respectueuse de la règle des 3 R (réduire, raffiner, remplacer) visant à limiter le recours à l’expérimentation animale directe. Mais lorsqu’on lit en détail les protocoles, on se rend compte des subtilités de méthodes qui font s’écarter l’étude un peu plus encore de la réalité in vivo : au lieu d’infecter la cellule de l’animal X avec des virus SARS-CoV-2 humains, on infecte une cellule chimérique modifiée par un autre virus, la forçant alors à exprimer le récepteur ACE2 de l’animal X. Puis on la bombarde de protéines synthétiques virales « S » (sans virus) pour déterminer le taux d’accrochage…

Certes, mais les enseignements de l’informatique et de la culture cellulaire résistent-t-il à l’épreuve de la nature ? Pas vraiment. Réduire la complexité de l’infection virale au seul moment de son accroche sur la cellule hôte, au motif qu’il s’agit d’une étape obligatoire et limitante, ne fonctionne pas toujours bien.

Dans certaines études, on peut lire par exemple que le furet ou le vison ont des probabilités jugées « faibles » ou « très faibles » de connexion sur le récepteur. Plusieurs études expérimentales sur le furet et les cas des élevages de dizaines de milliers de visons américains en Europe (Espagne, Danemark, Pays Bas) prouvent au contraire qu’une proximité avec un humain positif permet l’infection de l’animal, la survenue de signes cliniques, l’excrétion virale et la transmission à d’autres congénères. De même, la roussette d’Égypte a été infectée expérimentalement alors que les prédictions rendaient peu probable sa réceptivité, comme bon nombre d’autres chauves-souris frugivores.

Parmi les félidés sauvages, on ne compte depuis 10 mois de pandémie que quatre tigres, trois lions, un puma et récemment un nouveau tigre positifs (tous guéris) ; tous les cas supposés chez les tigres sauvages ont été infirmés. Les fauves de zoo ont été infectés par des soigneurs positifs en l’absence de mesures barrière, et pourtant ces espèces ont une position “intermédiaire” dans le gradient de probabilité des études in silico, inférieure par exemple aux scores du renne ou des bisons.

Alors, quelle place pour l’animal ?

Le problème qui semble se dessiner à travers tous les microscopes braqués sur le récepteur ACE2 des mammifères est le suivant : ça peut marcher. Il semble que le virus puisse théoriquement se lier à cette enzyme dans un très large panel d’espèces de mammifères, y compris celles que l’homme a volontairement multipliées autour de lui, comme les animaux domestiques (carnivores, mais aussi bovidés).

Une autre catégorie de publication naît depuis quelques mois, celles des scénarios catastrophes sur la création silencieuse de réservoirs animaux : et si le virus mutait et contaminait les bovins, pour le moment très peu sensibles ? Et si la faune aquatique se contaminait à force d’exposition à nos eaux de rejets riches en particules virales ?

Jusqu’ici, les infections in natura et expérimentales semblent plutôt rassurantes sur le fait que l’infection chez les animaux ne soit pas aussi immédiate qu’entre humains, avec des signes cliniques bien plus modérés (voire absents) et des excrétions faibles en doses et courtes dans le temps.

Le cas particulier du vison

Aujourd’hui, seul le cas des élevages de visons d’Amérique implique une circulation et une persistance importante du virus entre les animaux, ainsi qu’une suspicion de passage exceptionnelle de l’animal vers l’homme. La réaction humaine n’est alors pas originale : au nom du risque, les animaux sont abattus aux Pays-Bas, en Espagne… Désormais que plus de 3 millions de ces mustélidés ont été tués en raison du Covid-19.

Même le Danemark, qui avait prôné cet été une approche moins radicale, se retrouve dépassé et en vient à ces mesures extrêmes. Les visons ne meurent pas du virus (leur mortalité est de l’ordre de 3 pour 1000), mais de la main de l’homme.

L’élevage industriel de vison est donc le seul cas actuel avéré, anthropogène, où l’on suspecte une circulation inter-animale active et rapide. Depuis novembre, c’est aussi le seul cas où l’on a détecté que cette survie prolongée du virus pourrait avoir conduit à l’apparition de mutations (sur la fameuse protéine « S »). Ce qui fait craindre à certain que ce type de mutations n’ait des conséquences sur l’efficacité vaccins en cours de développement. La Première Ministre Danoise Mette Frederiksen l’a annoncé au cours d’une conférence de presse : pour limiter le risque, l’entièreté des visons du Danemark seront sacrifiés ce mois-ci.

Un principe de précaution qui fera grimper la funeste facture pour ces mustélidés à 20 millions d’euthanasies. Le chiffre est fort et, au passage, fait subitement prendre conscience au citoyen européen que 63 % de la production mondiale de fourrure de cette espèce vient de l’Union européenne.

Zoonose ou « retro-zoonose » ?

En dehors des cas des visons en élevage, le concept de zoonose est désormais mis à mal par l’absence de preuve de passage régulier de l’animal vers l’homme, et se précise alors plutôt en celui de « rétro-zoonose », scénario où l’homme devient le réservoir infectant pour l’animal. Il pourrait alors devenir un risque supplémentaire pesant sur les populations animales menacées qu’il tentait justement de sauvegarder comme les gorilles, les orangs-outangs, ou encore les furets à pied noir.

Les rôles s’inversent et l’homme ajoute le risque infectieux à l’arsenal déjà bien fourni qu’il détenait pour nuire à la biodiversité animale. Ce n’est d’ailleurs par la première fois que l’homme transmet l’un de ses coronavirus : en 2016, l’écotourisme autour des chimpanzés du parc national de Taï en Côte d’Ivoire, fut à l’origine de la transmission de HCoV-OC43, coronavirus très courant dans le syndrome du rhume, à une population de chimpanzés, chez lesquels les signes cliniques restèrent heureusement aussi léger que pour leurs cousins humains.

Malgré le poids de ces risques croisés, l’animal parvient encore à quitter le seul cercle épidémiologique pour seconder l’être humain dans sa bataille contre cette pandémie et il continue à pouvoir l’aider :

  • Le chien apprend ainsi à détecter les malades du Covid-19 comme il le fait avec la tuberculose, la malade de Parkinson ou certains cancers. Une équipe de l’université vétérinaire de Pennsylvanie et une autre de l’école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort forment en ce moment des chiens à cette détection, l’aéroport d’Helsinki les utilise déjà dans les aérogares. Reste à savoir comment éviter la contamination du chien lui-même lors de ces investigations olfactives.
     
  • Les chauves-souris révèlent des mécanismes de modulation inflammatoire inédits. Avec les mêmes armes que notre système immunitaire (interféron, anticorps..), elles parviennent à ne garder que quelques exemplaires viraux sans être malades, en évitant l’invasion et la mort cellulaire. Leur immunité contourne bien soigneusement le piège de l’orage cytokinique, souvent mortel à l’espèce humaine.
     
  • Après « humanisation », l’homme fait en sorte que la souris recalibre son système immunitaire pour produire des anticorps contre ce virus qui ne l’affecte normalement pas. Parmi plus de 200 anticorps différents produits, un candidat qui se bloque sur la cible a été retenu pour intégrer un cocktail thérapeutique, en raison de son efficacité à bloquer la région « RBD » du virus, l’empêchant de lier à la cellule hôte. L’un des hôtes célèbres qui bénéficie déjà de cette aide murine n’est autre que l’actuel locataire de la Maison-Blanche.
     
  • Encore plus inattendu, un camélidé (le Lama) démontre les capacités de son système immunitaire humoral à fabriquer de redoutables anticorps contre cette fameuse glycoprotéine « S » virale. Déjà objectivé lors d’essais vaccinaux sur le SARS-Cov-1 et le MERS, cette production d’anticorps (dits « VHH ») capte l’attention des chercheurs, car ils semblent capables de vraiment neutraliser les betacoronavirus, et leur petite taille moléculaire en fait de bons candidats pour des applications locales au plus près des voies d’entrée virales (ex : spray nasal).

Si cette pandémie est souvent l’occasion de remettre en question les schémas d’interaction entre l’homme et l’animal, pointant du doigt la surexploitation et l’envahissement de l’habitat du premier par le deuxième, il semble aussi être temps de sortir de notre vision purement épidémiologique de l’animal où il n’est que vecteur, réservoir, hôte.. Il peut aussi être une inspiration, un auxiliaire, ou juste un support. Et le vétérinaire de se demander : si c’était au tour des animaux de se soucier de l’homme au nom de la biodiversité animale, feraient-il tant de cas des 0.00015 % de mortalité chez notre espèce ?

Alexis Lécu, Docteur Vétérinaire, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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