Quelle place pour la nature en ville ?

En France, plus de 22 % du territoire est urbanisé et près de 80 % de la population vit en ville selon l’INSEE. Pour que cette vie citadine soit durable, elle a besoin de préserver et développer la biodiversité singulière qui la compose et aide par exemple à réguler la température ou à limiter les effets de la pollution.

Nature en ville : quelle biodiversité ?

La nature est présente partout dans la ville. Végétaux, animaux vertébrés ou invertébrés peuplent en grand nombre les espaces choisis pour eux (parcs, jardins…) ou délaissés par les humains (friches, égouts…).

Des animaux plein les rues

Certaines espèces animales adoptées par les humains comme animaux de compagnie, chats, chiens, oiseaux, cochons d’Inde, etc. cohabitent avec des espèces sauvages qui pullulent à nos côtés : des oiseaux en grand nombre, quelques mammifères comme les rats, les écureuils voire des renards et, surtout, de très nombreux insectes tels que les blattes, les araignées, les fourmis, les mouches, les abeilles…

Fleurs des trottoirs

Fleurs des balcons, plantes du potager, arbres d’alignements partagent également l’espace urbain avec des végétaux sauvages ou librement disséminés : des herbacées poussées entre les pavés, des mousses et des champignons s’incrustant sur les murs, derrière les fils et les tuyaux, dans les gouttières…

Une biodiversité limitée

L’abondance d’animaux et de plantes en ville n’est pas le signe d’une riche biodiversité. On retrouve partout les mêmes espèces, sélectionnées par les humains et/ou adaptées aux conditions urbaines (pollution, bruit, lumière, chaleur). Cette vie manque de la diversité nécessaire pour former des écosystèmes complexes et solides, dans lesquels une grande variété d’éléments interagissent entre eux et avec leur milieu, dans un enrichissement mutuel. L’écosystème urbain est donc à la fois très particulier et fragile.

Perruche à collier sur une branche

Certains animaux domestiques, comme les perruches à collier, se sont échappés des maisons pour coloniser les villes.

© Cjmppasquier
Rat brun mangeant un fruit par terre

Les rats mangent nos déchets. Ils contribuent ainsi à les recycler et évitent que nos ordures n’engorgent les égouts.

© Z. Cebeci
Chat

Le rôle des animaux domestiques est ambivalent : le chat régule les rats et les pigeons, jugés invasifs, mais il menace des populations fragiles comme les chauve-souris

© M. Milivojevic - Pixnio
Fleurs au balcon d'un appartement

Les fleurs de balcons font partie de l’écosystème urbain. Elles attirent les pollinisateurs

© Congerdesign de Pixnio

Où se cache la nature en ville ?

La ville offre une grande diversité de milieux. Chacun d’eux constitue un habitat favorable à certaines espèces végétales ou animales. Parfois, ces niches de biodiversité se cachent dans des endroits insoupçonnés.

Cours d'eau

Quand ils ne sont pas pollués, les cours d’eau et leurs rives sont des milieux très riches

© Donations welcome - Pixabay

La vie au fil de l’eau

Du fleuve à la flaque, la vie se développe partout où il y a de l’eau. Les goélands sont entrés dans les villes en suivant les fleuves et… nos déchets dont ils se nourrissent. Les rives des fleuves, canaux et ruisseaux abreuvent quantité de plantes, et dès que la qualité de leurs eaux s’améliore, les poissons reviennent. Dans les rues, sur les toits, l’eau attire mollusques et insectes, mousses et algues.

Espaces verts

Les jardins et les potagers des particuliers, les parcs, accueillent aussi bien des espèces horticoles, cultivées pour l’ornement ou la consommation, que des espèces adventices, apparues spontanément, comme le pissenlit, le trèfle…

La nature conquérante

Une faille dans un mur, un espace entre deux pavés, le pied des arbres d’alignement, un terrain en friche… dans chaque coin de terre accessible, des végétaux plantent racine et les insectes, vers de terre et autres bactéries s’y démultiplient.

Cymbalaire des murailles

Certaines plantes comme la cymbalaire des murailles aime les murs autant que les falaises.

© Jeantosti

La vie cachée du caniveau

La « saleté » des caniveaux abrite une biodiversité d’une richesse insoupçonnée. Bactéries, algues, champignons, éponges, mollusques… composent cette micro-faune et cette micro-flore. Selon une étude parisienne menée par le Muséum, 70 % de ces organismes se développe uniquement dans ces milieux spécifiques où il se nourrissent des déchets et des résidus de pollution qu’ils contribuent à réguler.

Pourquoi la ville a-t-elle besoin de la nature ?

L’urbanisation gagne sans cesse du terrain, participant à la raréfaction des terres et à la diminution de la biodiversité. La ville doit donc préserver des espaces pour la nature. Par souci éthique, pour permettre à la biodiversité d’exister, mais aussi parce que ces éléments naturels fournissent des services de régulation, dits services écosystémiques, grâce auxquels les villes restent vivables.

Régulateur thermique

Les végétaux contribuent à réguler la température grâce à l’évapotranspiration (le transport de l’eau du sol et des plantes dans l’atmosphère) et à leur ombre. Des écarts de 2 à 10 °C sont constatés entre les rues d’une même ville selon leur degré de végétalisation.

La régulation thermique assurée par les végétaux en ville peut être une question de vie ou de mort. Pendant la canicule de 2003, la mortalité a été plus élevée dans les rues les moins végétalisées.

Nathalie Machon, professeur en écologie au Muséum national d’Histoire naturelle, spécialiste l’écologie urbaine

Barrière anti-pollution

Les végétaux atténuent également la pollution atmosphérique et sonore. Ils absorbent une partie des eaux de pluies et régulent les écoulements, ce qui peut notamment éviter les inondations et les débordements des égouts dans les cours d’eau.

Des bénéfices culturels et sanitaires

La présence d’éléments de nature contribue au bien-être et à la bonne santé physiologique et psychologique des urbains. Outre leur apport esthétique, la présence d’arbres et d’espaces verts, le voisinage d’animaux dans les parcs diminuent le stress.

Régulateurs naturels

Enfin, de nombreux animaux et autres organismes vivant sont des régulateurs naturels : oiseaux et chauve-souris mangent les moustiques, les insectes pollinisateurs fécondent les fleurs sauvages ou horticoles et les plantes de nos potagers (qui ont un rôle alimentaire), les bactéries régulent la qualité de l’eau…

Sauvages de ma rue

Lancé par le Muséum en 2011, « Sauvages de ma rue » s’appuie sur les observations des habitants pour inventorier la nature et la répartition des plantes sauvages des villes de France. Ce programme de sciences participatives améliore la sensibilité environnementale et les connaissances du public et alimente les bases de données scientifiques. Il a notamment montré que, depuis 130 ans, la population des plantes sauvages en ville évoluait peu en nombre, mais variait en espèces, pour céder la place à des variétés mieux adaptées au réchauffement climatique.

Quels sont les freins à la biodiversité urbaine ?

Dense et artificialisé, le milieu urbain est souvent contraire aux conditions favorisant une riche biodiversité.

Morcellement et bétonisation

Les villes sont des territoires très minéralisés qui limitent l’installation et la dispersion de nombreuses espèces.

Le sol et le sous-sol sont les lieux de vie d’un quart des espèces vivantes de la planète. Bactéries, vers, mollusques, insectes, arachnides, vertébrés, champignons et plantes dépendent de ces milieux que stérilisent les revêtements en béton, de pierre, d’asphalte, etc.

Au sein d’une même espèce, les individus doivent échanger leurs gènes afin de pérenniser l’espèce. Des espaces de nature trop petits et non connectés limitent ces rencontres.

Éclairage fatal

Dans certains endroits de la ville, les gaz toxiques émis par les chauffages, les transports, etc., nuisent à l’installation ou au développement de certaines espèces. Certains oiseaux ou mammifères farouches sont sensibles au bruit, ou encore, des animaux comme certaines chauves-souris rares dont les rhinolophes, sont perturbés par l’éclairage artificiel.

Adaptation climatique

Les villes constituent de véritables îlots de chaleur. Elles conviennent à certaines espèces comme les lézards et la pariétaire de Judée qui apprécient en outre les milieux minéraux, les falaises comme les murs. La chaleur repousse en revanche d’autres espèces comme la Centaurée jacée qui a peu à peu disparu des villes.

Branche de Pariétare de judée

La pariétaire de judée apprécie la chaleur de la ville.

© D. Villafruela
Centaurée jacée

La Centaurée jacée disparaît des villes dont la température se réchauffe.

© I. Leidus

La ville devient vivable si l’on y apporte de la végétation, mais elle ne peut devenir durable qu’à la condition d’y favoriser une diversité d’espèces qui interagissent de façon à assurer un fonctionnement écologique, en un écosystème équilibré.

Philippe Clergeau, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, chercheur et consultant en écologie urbaine.

Des villes du futur réconciliées avec la nature ?

Habitants, urbanistes et architectes intègrent peu à peu la nécessité d’inclure la nature aux projets urbains pour créer un écosystème durable.

Trames vertes et bleues

Depuis le début des années 2000, des lois tentent de freiner l’érosion de la biodiversité, la pollution et le réchauffement climatique, notamment dans les villes. La loi Grenelle (2007) a institué la création de trames vertes. Il s’agit de corridors végétaux reliant les espaces naturels entre eux (du pied d’arbre au jardin, en passant par les toits végétalisés et jusqu’aux parcs naturels en périphérie des villes) afin de faciliter la circulation des espèces et des individus.

Le même principe guide la création des trames bleues concernant les cours d’eau.

« Ensauvager » les espaces verts

L’usage des produits phytosanitaires (pesticides, herbicides…) est interdit depuis 2014 (loi Labbé) pour l’entretien des parcs, voiries, cimetières, terrains de sport…

La gestion différenciée des espaces verts gagne du terrain : des espaces en friche côtoient des massifs composés, des ruches et des potagers sont installés sur des toits végétalisés…

Accepter les feuilles mortes, les « mauvaises herbes », les insectes, etc. sont de nouvelles habitudes à prendre pour les habitants et les pouvoirs publics.

© J. Leroy

Penser global

Les évolutions sont à penser sur le long terme et en abordant la ville comme un écosystème global. Ainsi, l’installation de ruchers en ville est ralentie pour éviter la compétition des abeilles domestiques avec les autres pollinisateurs).

La végétalisation des toits reste encouragée, mais en renforçant les études sur le biomimétisme, qui consiste à calquer le comportement de la nature, on cherche à diversifier les espèces végétales utilisées et à désimperméabiliser et à végétaliser un maximum d’espaces de plein sol.

La recherche au secours de l’urbanisme

Murs vivants

Certains urbanistes et architectes participent à la recherche de matériaux et de pratiques écologiques. Le laboratoire CESCO (centre d’écologie et des sciences de la conservation) du Muséum mène ainsi des programmes publics/privés sur l’étude des interactions entre plantes horticoles et plantes locales spontanées ou importées et leur impact sur les sols et les espèces animales corrélées, ou encore sur l’édification de « murs vivants » renfermant de la terre et de l’eau et semés d’espèces locales.

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Murs vivants

© MNHN - O. Genevoix / ChartierDalix

Aller plus loin

Dossier rédigé en mai 2022. Remerciements à Nathalie Machon, Professeur au Muséum en écologie urbaine et biologie des populations des plantes rares (UMR 7204 Centre d'Écologie et des Sciences de la Conservation), pour sa relecture et sa contribution.

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