Quelle est l’origine de l’eau sur Terre ?

L’eau est l’élément indispensable à la vie sur notre planète. Connaître son origine est donc primordial.

Dans la longue quête de nos origines, du Big Bang à l’apparition de l’homme, la question de l’origine de l’eau sur Terre et dans le système solaire est un jalon essentiel car indissociable de l’origine de la vie. Les scientifiques ont donc abordé cette question sous de nombreux angles.

Il existe de nombreuses études sur l’eau dans les objets planétaires et autant de théories ont été proposées dans le cadre de la formation planétaire. Une théorie qui a longtemps tenu le haut du pavé voudrait que la Terre se soit formée sans eau, dans l’intérieur du système solaire, à un endroit où la température était suffisamment élevée pour que l’eau ne rentre pas dans les roches.

Ce serait un apport tardif par des objets riches en eau comme des comètes ou des astéroïdes hydratés qui aurait apporté une quantité d’eau suffisante pour former nos océans et l’eau qui se trouve dans le manteau de la Terre.

Une donnée importante pour comprendre l’origine de l’eau dans les corps planétaires est sa composition isotopique et notamment celle de l’hydrogène qui la constitue. Dans la nature, les éléments existent sous plusieurs formes qu’on appelle des isotopes et qui diffèrent par leur nombre de neutrons. Ayant le même nombre d’électrons et de protons, ils ont les mêmes propriétés chimiques, ce sont donc bien les mêmes éléments. Par contre leur masse qui est concentrée dans le noyau des atomes est portée par les protons et les neutrons. Différents isotopes d’un élément ont donc différentes masses. Certains processus dans la nature sélectionnent les isotopes en fonction de leur masse. Déterminer les proportions des différents isotopes revient donc à identifier ces processus et à tracer la source des éléments d’intérêt.

Beaucoup d’études et de modèles se sont donc intéressés à la composition isotopique de l’hydrogène qui constitue la molécule d’eau (pour mémoire, la molécule d’eau contient deux atomes d’hydrogène liés à un atome d’oxygène), c’est-à-dire les proportions d’isotope de masse 1 (atomes dont le noyau est constitué d’un seul nucléon, un proton) et d’isotope de masse 2 (atomes dont le noyau est constitué de deux nucléons, un proton + un neutron, on l’appelle le deutérium).

Étudier les roches les plus anciennes du système solaire

Cependant tous ces travaux se heurtent à un écueil : la composition isotopique initiale de l’hydrogène dans le système solaire est restée inconnue jusqu’à maintenant. Les scientifiques ont donc dû faire des hypothèses sur le point de départ de leurs théories en se basant sur les observations astronomiques des étoiles en formation ou des comètes longtemps considérées comme étant les corps les plus anciens du système solaire. Dans notre travail, récemment publié dans la revue scientifique Nature Astronomy nous avons cherché à déterminer la composition initiale de l’hydrogène du système solaire en étudiant en laboratoire les roches les plus anciennes du système solaire préservées dans les météorites.

Les étoiles et leurs planètes se forment par effondrement d’un nuage interstellaire sur lui-même. Ces derniers sont les régions de la galaxie où se concentrent le gaz et la poussière. S’étalant sur des centaines d’années-lumière, c’est dans leurs régions les plus denses qu’on appelle des cœurs denses que se forment les étoiles.

Lorsque le Soleil jeune s’allume, il y a 4,5 milliards d’années, la matière en train de s’effondrer va progressivement former un disque de poussière et de gaz dans lequel les planètes vont se former, c’est le disque protoplanétaire. Les inclusions réfractaires riches en calcium et aluminium des météorites primitives sont les roches les plus anciennes formées dans le système solaire, dans ses premiers 200 000 ans. Elles tirent leur nom de leur formation à haute température près du Soleil jeune avant d’être incluses dans leur météorite hôte.

Il s’agissait alors de poussières ayant leur histoire propre dans le disque protoplanétaire. Les datations radioactives montrent qu’il n’existe aucune roche plus ancienne dans tout le système solaire. Elles se forment à l’intérieur du disque protoplanétaire, près de l’étoile, alors que le disque est en train de croître et que la matière interstellaire continue de s’effondrer et de le nourrir. Elles nous donnent donc un enregistrement du temps zéro du système solaire.

Vue en microscopie optique d’une inclusion réfractaire à la surface de la météorite d’Allende, une météorite de la même famille que la météorite d’Efremovka utilisée dans ce travail. Cette inclusion réfractaire est presque identique à celle mesurée dans notre étude. Elle est blanche à cause de l’abondance des minéraux calciques et alumineux.

© MNHN - J.-C. Domenech

Pour nos mesures nous avons utilisé une inclusion réfractaire de la météorite d’Efremovka dont nous avions déjà étudiée l’histoire thermique par le passé et pour laquelle nous avions montré qu’elle est formée de deux objets initialement distincts : une inclusion réfractaire capturée par une autre inclusion réfractaire ! Nous nous sommes focalisés sur l’inclusion de l’intérieur (qu’on appelle le xénolithe) parce que tout processus ayant eu lieu avant la capture a nécessairement eu lieu dans le gaz lors de l’effondrement du nuage interstellaire, avant que l’inclusion ait été incorporée dans un objet plus gros.

Nous avons étudié sa minéralogie sur une tranche de météorite en microscopie électronique puis nous avons sélectionné 4 zones d’intérêt dans le xénolithe que nous avons extraites de la tranche et déposées sur un support ultra-propre pour l’analyse des isotopes de l’hydrogène (plus une cinquième extraite de l’inclusion hôte pour comparaison). L’instrument qui sert à mesurer les proportions des isotopes dans un échantillon est un spectromètre de masse, il sépare les isotopes en fonction de leur masse. Le spectromètre de masse que nous avons utilisé dans cette étude est conçu pour faire de l’imagerie avec une résolution spatiale de l’ordre de 1 micromètre (dans notre cas) ou moins (jusqu’à 50 nanomètres).

Vue de profil du NanoSIMS installé au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris

© MNHN - J. Aléon

Cet instrument appelé NanoSIMS est installé dans nos locaux au Muséum national d’histoire naturelle et commercialisé par une société française, Cameca.

Nous avons donc réalisé des cartes isotopiques des zones d’intérêt du xénolithe qui nous ont donné la composition isotopique de l’hydrogène piégé en très faible abondance dans ses minéraux microscopiques.

Ces cartes ont révélé deux compositions isotopiques différentes. Dans un premier groupe de minéraux formés par condensation (passage direct d’un gaz à un solide) à partir du gaz solaire, nous avons trouvé une composition isotopique en bon accord avec le piégeage d’un peu d’hydrogène issu de gaz solaire contenant très peu de deutérium.

Dans un second groupe de minéraux formés par oxydation des premiers, nous avons trouvé une composition isotopique plus riche en deutérium et dont les proportions isotopiques sont identiques à celle que l’on trouve dans l’eau terrestre.

Cela implique qu’avant la capture du xénolithe ce dernier s’était initialement formé dans un gaz contenant très peu de deutérium puis avait été mis en présence d’un gaz enrichi en vapeur d’eau, une vapeur d’eau similaire à celle de la Terre.

De l’eau présente dès la formation de la Terre

Quelle peut donc être l’origine de ces deux types de gaz qui ont co-existé dans les régions internes du système solaire jeune ? Dans les nuages interstellaires à l’origine des systèmes planétaires, l’hydrogène est principalement réparti entre deux composants. Le premier est le gaz H2, le dihydrogène (que l’on appelle parfois hydrogène plus simplement, même si cela peut induire une confusion avec l’atome d’hydrogène). Très abondant, H2 contient quasiment tous les atomes d’hydrogène mais très peu de deutérium, c’est lui qui est à l’origine de l’essentiel du gaz qui a formé le système solaire, le gaz solaire. Le second composant, très peu abondant, ne correspond qu’à une toute petite partie de l’hydrogène et est sous forme de glace et notamment de glace d’eau formée à très basse température dans les nuages interstellaires.

À cause de ces très basses températures, cette eau interstellaire est très riche en deutérium. Nous avons donc proposé que la composition terrestre intermédiaire entre ces deux composants résulte de la vaporisation d’un excès de glaces interstellaires apportées lors de l’effondrement du nuage interstellaire parent du système solaire directement dans les régions internes chaudes où se forment les inclusions réfractaires, dès le début de l’effondrement du nuage interstellaire et de la formation du disque protoplanétaire.

Ces résultats impliquent que dans le gaz dans lequel se sont formées les briques des planètes telluriques et notamment celles de la Terre, il y avait déjà une vapeur d’eau ayant la bonne composition isotopique pour expliquer l’origine de l’eau sur Terre. Puisque les isotopes permettent de tracer la source des éléments, les premiers petits corps à l’origine des planètes qu’on appelle les planétésimaux et qui se sont formés dans ce gaz ont donc tout à fait pu incorporer de l’eau lors de leur formation sans qu’il soit besoin d’en apporter tardivement d’un autre endroit du système solaire.

Cette conclusion est en bon accord avec l’observation que l’eau de beaucoup d’objets planétaires possède cette composition : bon nombre de météorites astéroïdales, y compris celles issues de Vesta, y compris les chondrites à enstatite qui sont peut-être les restes des briques de la Terre, ainsi qu’un certain nombre de comètes et probablement aussi le manteau martien. Bien que l’histoire géologique et atmosphérique de Mars rende difficile la détermination de la composition primordiale du manteau martien, il existe un certain nombre de données montrant une composition isotopique de H similaire à celle de l’eau terrestre.

Si nos résultats montrent l’existence très précoce d’une vapeur d’eau pouvant expliquer l’origine de l’eau sur Terre, ils ne donnent par contre pas de contraintes sur la quantité d’eau ayant été incorporé à ce stade dans les briques de la Terre. L’étude des météorites et des matériaux très anciens du système solaire renseigne sur le matériau disponible au départ. C’est plutôt l’étude de la quantité d’eau qui peut être stockée dans les minéraux du manteau profond de la Terre par des expériences à très haute pression qui donnera plus de contraintes sur la quantité d’eau incorporée aux différents stades de formation de la Terre. Sur la base des météorites, on peut dire qu’il y avait tout ce qu’il faut dès le tout début de la formation de notre planète.

Jérôme Aléon, Chargé de Recherches CNRS, spécialisé dans l'étude des météorites primitives, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Article publié le 27 avril 2022.

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