Quel est l'impact des migrations humaines sur la biodiversité ?

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Publié le 29 avril 2025

Depuis des millénaires, les migrations humaines influent sur les écosystèmes de leur région d’installation. Dans ses déplacements, l’humain emporte avec lui des plantes et des animaux ; il puise les ressources nécessaires à son implantation dans son nouvel environnement qu’il façonne en fonction de ses besoins, mais aussi de ses habitudes culturelles.

Migrer avec des espèces animales et végétales

Dès leurs premières migrations, les humains ont transplanté les ressources utiles à leur survie, leur culte, ou des symboles culturels. Dans leur sillage, des espèces voyagent et impactent leur nouveau milieu.

Sanglier peint à Leang Tedongnge

Cette peinture de sanglier d’une grotte de l’île indonésienne de Sulawesi est la plus ancienne représentation d’art figuratif connue. Elle date d’au moins 45 500 ans.

© Maxime Aubert

Des animaux pour la chasse et l'élevage

Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs modelaient déjà les paysages pour s’assurer de ressources sur leurs lieux de passage réguliers. Sur l’île de Chypre, des sangliers ont été introduits par les chasseurs il y a 12 500 ans ! Des cerfs ont été apportés en Sardaigne (il y a 6 000 ans) ou en Corse (il y a 2 000 ans).

Mais à partir du Néolithique l’impact des activités humaines sur les paysages et les écosystèmes prend une autre dimension avec le développement de l’agriculture et de l’élevage.

Il y a environ 9 000 ans, l’arrivée en Europe de populations agropastorales venues du Proche-Orient s’accompagne de celle de nouvelles espèces végétales et animales : blé et orge à cultiver, chèvres et moutons, suivis de porcs et de bœufs.

Plantes domestiques voyageuses

Dans leurs bagages, les personnes migrantes emportent aussi leur conception et leurs relations culturelles à la nature. C’est ainsi que l’on retrouve des jardins « à la française », sagement ordonnés et comportant des fleurs ornementales comme le muguet au milieu de la jungle guyanaise. Toujours en Guyane, d’autres populations émigrées, les Mongs, originaires d’Asie du Sud, ont importé leurs traditions agricoles et développé des cultures de fruits, de légumes et de plantes médicinales. En France hexagonale, des plantes aromatiques telles que la menthe ont fait le voyage avec les migrants d’Afrique du Nord.

Un projet autour des plantes venant d'ailleurs

Le projet Exorigins notamment porté par le Muséum, explore la façon dont certains végétaux et graines poussant dans les jardins parisiens témoignent de l’histoire des migrations. Ces plantes et aromates peuvent être ornementaux ou destinés à maintenir des traditions culinaires, comme le raifort introduit par les migrants polonais. Leur présence et leur diversité racontent le lien entretenu avec les terres des origines, les parcours des populations qui, comme les végétaux, se sont implantées et métissées.

Des milieux exploités

Les migrations sont faites d’allers-retours, d’installations successives. À chaque étape, les arrivants apprennent à exploiter de nouvelles ressources qu’ils font ensuite voyager. En les implantant ailleurs, ils contribuent à l’évolution de la biodiversité, mais aussi parfois à son appauvrissement.

Conquêtes territoriales et migrations végétales

De chaque découverte ou conquêtes territoriales, les voyageurs ont rapporté des ressources exotiques dans leur pays d’origine. La fraise, la pomme de terre et le cacao viennent des Amériques, la pomme d’Asie centrale, le pélargonium d’Afrique du Sud… 

L’engouement pour leurs propriétés gustatives, nourricières, leurs potentiels pharmaceutiques ou industriels ont accéléré et massifié leur importation. Certains ont prospéré au point de devenir communs dans leur nouveau territoire.

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Palmier à huile

Au XIXe siècle, le palmier à huile (Elaeis guineensis), originaire du golfe de Guinée, s’implante en Asie. En Malaisie et en Indonésie, les monocultures géantes érodent les sols, captent les ressources en eau et, comme elles sont très inflammables, elles favorisent les mégafeux.

© RMX IMG - stock.adobe.com

Les monocultures occupent l’espace

Banane, coton, sucre… en installant leurs colonies, les Européens se sont appropriés les terres conquises et leurs produits. Au XIXe siècle, les plantations massives en monoculture se propagent d’une colonie à une autre. Elles sont synonymes de défrichages intensifs, de pollution, de captation des ressources en eau… 

Pour exploiter le caoutchouc de l’hévéa (Hevea brasiliensis), des routes sont taillées à travers la jungle amazonienne, tandis que des villes se développent autour de son commerce. Plus tard, les meilleures graines sont sélectionnées pour être plantées en Asie, où des hectares de forêt primaires sont remplacés par des monocultures d’hévéa. Les colons européens l’implantent aussi dans différents pays d’Afrique.

Les plantations, creusets de maladies et de pollution

Les plantes en monocultures sont fragilisées, car en l’absence de brassage génétique, leur évolution et donc leurs capacités d’adaptation sont freinées. Ces cultures intensives favorisent la propagation de pathogènes chez les plantes et… les humains. Au XIXe siècle, les travailleurs - parfois forcés, voire réduits en esclavage -, sont concentrés sur des plantations dans des conditions sanitaires déplorables.

Au XXe siècle, le recours massif aux produits phytosanitaires (engrais, pesticides…) engendre également de graves problèmes environnementaux et sanitaires, comme par exemple la contamination des eaux et des sols de Martinique et de Guadeloupe par le chlordécone utilisé dans les bananeraies.

Amazonie brésilienne : record de modification de paysage

Dans l’État du Rondônia au Brésil, la population humaine est passée de 111 000 habitants en 1970 à près de 1,8 million en 2024, détruisant plus de 25 % de la forêt amazonienne en moins de 50 ans. Aux petits agriculteurs et éleveurs ont succédé des exploitants miniers et forestiers, puis l’agriculture extensive de soja et de bovins.

Conséquences : les sols mis à nus sont soumis à l’ensoleillement, au labour, les interactions avec les racines des arbres s’amenuisent et les conditions de la vie microbienne des sols sont modifiées. On observe une perte de diversité d’arbres, des habitats morcelés pour la centaine d’espèces de mammifères et d’amphibiens et les plus de 500 oiseaux qui peuplaient ces zones.

Des migrations accélératrices de changement anthropique

Chat domestique

Apprivoisé pour protéger les réserves de céréales, le chat a causé la raréfaction voire la disparition d’oiseaux indigènes, en particulier dans des îles.

© ChiemSeherin - Pixabay

Depuis des millénaires, les mouvements humains contribuent à l’évolution du vivant. Mais leur accélération engendre des pressions trop brutales sur les milieux.

Une biodiversité réorganisée

Construction de village, défrichage, pâturage, labourage ont peu à peu modifié les paysages, mais aussi la structure des sols et la distribution des espèces.

Parfois, les modifications du milieu favorisent l’installation de nouveaux animaux, par exemple, les cultures, les haies, attirent des oiseaux nicheurs ; mais, à l’inverse, l’introduction de prédateurs (chiens, chat, rats…) peut entraîner la raréfaction ou la disparition d’espèces locales. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, seules les roussettes (Chiroptera) - par ailleurs menacées par les chats harets - sont issues de la faune de mammifères autochtones, alors que la faune exotique est composée de cinq ordres différents (Carnivora, Cetartiodactyla, Lagomorpha, Perissodactyla et Rodentia).
La totalité des mammifères des cinq plus grandes îles de Méditerranée (soit plus de 30 taxons) résulterait de l’intervention humaine durant les 10 derniers millénaires.

Invitées ou clandestines, des espèces exotiques envahissantes

Certains n’envisagent pas de voyager sans leurs animaux de compagnie. Non sans impact sur les populations autochtones. Chiens et chats, en particulier, chassent les petits mammifères, les lézards et les oiseaux, dont la population peut décliner. À Chypre par exemple, ces populations ont sans doute été malmenées par l’introduction des chiens, il y a plus de 8 000 ans.

Des passagers clandestins se glissent aussi dans les cargaisons de céréales ou les toisons des moutons. Rats, insectes, plantes messicoles (poussant dans les cultures) s’installent alors hors de leurs territoires d’origine.

L’arrivée de ces espèces exotiques peut bouleverser les équilibres locaux, parfois au détriment des espèces endémiques (propres à un territoire) ou régionales lorsqu’elles deviennent invasives. Compétition alimentaire et territoriale, prédation, herbivorie excessive, hybridation peuvent causer la raréfaction voire l’extinction des populations locales. L l’iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima) est ainsi supplanté par l’iguane commun (Iguana Iguana).
Il est estimé que les espèces exotiques envahissantes (EEE) ont contribué à 60 % de la disparition des espèces éteintes dans le monde.

Le dodo, symbole des bouleversements brutaux

L’extinction du dodo, gros oiseau de l’île Maurice, raconte ce qu’il peut advenir lors d’un changement brutal de population. L’arrivée des Européens au XVIe siècle a causé sa perte. Chassé par les humains, prédaté par les rats et les chiens emmenés dans les cales des navires, privé de terres accaparées par les cultures des nouveaux arrivants qui modifièrent la végétation, le dodo s’est éteint en moins d’un siècle

Sa disparition a bouleversé l’écosystème. Par exemple, le tambalacoque (Sideroxylon grandiflorum) s’est raréfié, car cette plante se reproduisait avec l’aide du dodo qui, après s’en être nourri, disséminait ses graines dans ses excréments. 

Concentration humaine, pollution et climat

Les migrations humaines peuvent être le fruit de causes multiples. Une constante, toutefois, la majorité des déplacements se font vers les villes. Cette concentration croissante de la population urbaine alimente les problématiques liées à l’artificialisation des sols, ou encore à la pollution, notamment celle due à l’émission de gaz contribuant au réchauffement climatique.

Or, le dérèglement climatique génère des événements naturels extrêmes débouchant parfois sur de nouvelles migrations humaines. Celles-ci entraînent à leur tour des bouleversements écosystémiques qu’il convient désormais d’anticiper. La COP 16, tenue en 2024 à Cali (Colombie), préconisait ainsi de prévoir des mesures pour limiter le risque de déplacement d’espèces invasives durant les mouvements migratoires liés aux événements climatiques extrêmes.

Relecture scientifique

Frédérique Chlous

Professeure au Muséum national d'Histoire naturelle (Patrimoines locaux, Environnement et Globalisation - UMR 208)

Image décorative

Roseli Pellens

Ingénieure de recherche à l’Institut de Systématique Evolution et Biodiversité (MNHN, Sorbonne Université, CNRS, EPHE, Université des Antilles).