Pourquoi les mégafeux embrasent-ils la planète ?
De l’Australie au Canada, du Chili aux États-Unis, du Congo à l’Indonésie, en passant par l’Europe et la Russie, depuis le début des années 2000, les mégafeux se multiplient et se propagent à travers tous les continents. En cause, le réchauffement climatique et une gestion humaine des milieux souvent inadaptée. Pourtant, le vivant recèle là encore de formidables capacités d’adaptation.
Mégafeux, des feux hors normes

Episode de chaleur et sécheresse exposent aux flammes des régions pourtant humides comme le Pantanal au Brésil
© Tiffany - stock.adobe.comQu’ils courent sur quelques centaines ou quelques milliers d’hectares en Europe ou sur des centaines de milliers d’hectares sur le continent américain, les mégafeux sont des incendies hors normes, imprévisibles et dévastateurs.
Feux extrêmes
Les mégafeux se caractérisent par leur taille inhabituelle, de même que leur intensité et leur vitesse de propagation. Également qualifiés de feux extrêmes, ils se propagent souvent de façon erratique, sautant de cime en cime, se dispersant parfois sous terre en "feux zombis" pour réapparaître plus loin, démultipliant les départs de feu. Leur comportement imprévisible les rend difficiles à éteindre et ils provoquent des dégâts considérables.
La faute au réchauffement climatique
Le réchauffement climatique entraîne une élévation des températures globales moyennes et, localement, de fortes sécheresses. La végétation s’assèche, devenant plus vulnérable aux incendies, tandis que les perturbations atmosphériques se multiplient.
Une conjonction de sécheresse et de vent fort a ainsi provoqué les incendies dévastateurs en Australie en 2019-2020. L’élévation des températures assèche également des régions où les incendies étaient auparavant inexistants ou très rares, comme des zones humides telles que les forêts boréales du Canada ou de Sibérie, ou le Pantanal au Brésil, pourtant le plus grand marais du monde.
Dans un cycle infernal, les feux aggravent le réchauffement climatique qui les favorise. Ils émettent d’importantes quantités de gaz à effet de serre tandis qu’ils fragilisent ou réduisent les milieux capteurs de CO2 (forêts, tourbières…).
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Feux à Los Angeles en janvier 2025
CC BY-NC 2.0 CAL Fire Official
Feu à Los Angeles en janvier 2025
CC BY-NC 2.0 CAL Fire OfficialLe feu nourrit le feu
Les mégafeux s’auto-alimentent. Ils renforcent le dôme de chaleur à l’origine de la sécheresse qui les nourrit, c’est-à-dire de la masse d’air chaud stagnant au-dessus d’une zone alors soumise à une canicule.
Le feu entretient aussi les conditions de sa propre combustion. La chaleur dégagée par les flammes crée des mouvements d’air qui les attisent et ces vents transportent des braises des centaines de mètres plus loin où elles allument de nouveaux départs de feu.
Les feux extrêmes sont principalement dus au dérèglement climatique, même si une mauvaise gestion humaine des milieux naturels peut parfois encore aggraver ce problème.
Philippe Grandcolas, biologiste de l’évolution et écologue au Muséum national d'Histoire naturelle

Déforestation en forêt tropicale
© whitcomberd - stock.adobe.comLes humains attisent le feu
La multiplication des mégafeux est liée à l’action humaine, du fait du changement climatique. Quelle que soit la taille des incendies, les départs de feux eux-mêmes sont en majorité imputables aux humains, qu’ils soient accidentels (du mégot de cigarette mal éteint à l’incident électrique sur un réseau ou un chantier) ou criminels, pour près d’un tiers des incendies de France métropolitaine.
L’action des humains sur les paysages entretient également des conditions propices aux feux. Par exemple par des plantations ou des reboisements avec des résineux à proximité de zones habitées ou d’activités sensibles, par les modifications des milieux dans les zones de peuplement humain, y compris périurbaines. Ces conditions favorisent des départs de feux modestes que peuvent aggraver les conditions climatiques, un bâti dense ou, a contrario, des friches abandonnées offrant tous deux quantités de matériaux combustibles.
La déprise agricole laisse en friche des espaces dans lesquels la végétation inflammable s’accumule. Or la proximité d’habitations et d’activités humaines peut obliger à un entretien préventif.
La mauvaise gestion et l’exploitation intensive des milieux, par exemple la plantation d’espèces d’arbres inadaptées ou inflammables, bouleversent brutalement et souvent radicalement les équilibres écologiques, et par conséquent favorisent la survenue du feu. En 2019, des incendies ont détruit quelque 3 millions d’hectares en Indonésie, alimentés par la monoculture de palmiers à huile, hautement inflammables. En France, en 2022, plus de 30 000 hectares de pins ont brûlé en Gironde.
Même les milieux peu anthropisés (où l’activité humaine est faible) sont désormais impactés par l’agriculture ou l’industrie. Au Brésil, en forêt d’Amazonie ou dans les marais du Pantanal, le défrichage par le feu, mené à des fins d’exploitation forestière, minière ou pour ouvrir de nouveaux pâturages, enflamme parfois des espaces par ailleurs affaiblis par les coupes rases.
Mégafeux - mégadégâts
L’impact des mégafeux varie selon les milieux qu’ils affectent et les saisons auxquelles ils se déclenchent. Ils n’en restent pas moins toujours une catastrophe, dans le sens où ils modifient durablement les paysages et la vie de leurs habitants.
Une végétation perturbée
La plupart des milieux reverdissent après un incendie. À condition que la fréquence des feux leur laisse le temps de cicatriser, de repousser ou de regermer. Or, l’intensité et la répétition des incendies peuvent affecter durablement les écosystèmes.
Les arbres touchés par le feu sont plus sensibles aux maladies et aux insectes ravageurs et résistent de moins en moins aux feux successifs. Ainsi, en Californie, les arbres ne repoussent plus et des forêts entières disparaissent
Des sols érodés et assoiffés
La cendre a un effet fertilisant sur le sol, car elle lui apporte des éléments minéraux. Mais les feux extrêmes et, surtout, leur récurrence, détruisent la matière organique présente sur et dans le sol ainsi que la microfaune et la microflore associée.
Il faut 15 à 25 ans pour que celle-ci se reconstruise, au moins 50 ans sans incendies pour qu’elle se régénère, sauf pour certains milieux adaptés, car soumis à des feux récurrents depuis longtemps.
Les surfaces brûlées sont ensuite plus sensibles à l’érosion du vent et de la pluie qui va ruisseler sur des sols dénudés, incapables de retenir l’eau.
Le cycle de l’eau lui-même peut être affecté, car l’eau verte — présente dans les premières couches du sol, dans les racines et la végétation et restituée par évapotranspiration ou absorbée par les plantes — se raréfie.
Des animaux privés de ressources
Lorsque des hectares de forêt partent en flamme, la majeure partie de la biodiversité animale locale disparaît ou est très fortement impactée. En Australie, les animaux morts dans les 6 millions d’hectares brûlés en 2019 se compteraient en centaines de milliards. Et une fois le feu éteint, des espèces peuvent disparaître à la suite de la destruction de leurs habitats et de leurs ressources alimentaires.
Aucun type d’organisme n’est épargné, y compris les insectes et les micro-organismes.
Un impact aggravé par la saisonnalité
La saison du feu influence son impact. En raison du réchauffement climatique, les incendies surviennent désormais de plus en plus tôt. En 2024, des incendies — habituellement redoutés à partir de l’été — sont apparus dès le mois de juin en Amérique du Sud, au Canada, en France…
L’été, de nombreux animaux se protègent de la chaleur en se cachant sous des pierres ou dans le sol, ce qui les préserve également des incendies potentiels. Au printemps, la plupart sont en période de reproduction. Plus actifs, ils sont plus exposés et donc plus vulnérables, tout comme leur fragile progéniture. Les feux de printemps ont donc des effets encore plus délétères que les feux d’été.

En France, dans la réserve naturelle de la Plaine des Maures (Var), une majeure partie des tortues d'Hermann, une espèce en danger, ont péri après l'incendie de 70 % de leur habitat en août 2021, puis un grand nombre a encore disparu en juin 2024
© MNHN - R. Garrouste
La magicienne dentelée, une sauterelle géante, est également menacée suite aux incendies dans la réserve naturelle de la Plaine des Maures (Var). Les feux de juin 2024 ont porté à 80 % la surface de réserve détruite
© MNHN - R. GarrousteDe la place pour les espèces invasives
Si dans la savane, le feu ne détruit pas les espèces endémiques adaptées, ailleurs, il aide l’installation d’espèces opportunistes qui vont profiter de la disparition ou de l’affaiblissement de la faune et la flore antérieures.
C’est le cas de certaines plantes ou de divers animaux tels que la punaise Zelus renardii repérée dans le massif des Maures, ou des renards, des chats sauvages et des crapauds géants photographiés en Australie.
Peut-on (ré)apprivoiser le feu ?
Les feux sont apparus sur Terre avec l’oxygène. Les organismes ont appris à s’y adapter et les humains les utilisent pour se nourrir, se chauffer, chasser, cultiver, se protéger. La prévention des mégafeux appelle à rétablir des équilibres déstabilisés par l’intensification des activités humaines.
Des plantes adaptées au feu
Les incendies sont des événements naturels qui ont leur place dans certains écosystèmes adaptés aux feux, sous les tropiques ou dans les régions boréales. Ces adaptations sont particulièrement remarquables dans les régions méditerranéennes (Europe, Amérique, Australie). Certains milieux se sont si bien habitués aux incendies qu’ils en ont besoin pour se régénérer.
Ainsi, l’existence des savanes d’Afrique de l’Ouest dépend du feu. Les herbes y sont étouffées par la matière accumulée en surface si celle-ci n’est pas éliminée par le feu. Elles repoussent de bourgeons gorgés d’eau, abrités des flammes dans leur partie souterraine.
Autre dispositif adaptatif, les Banksia (Proteaceae), arbrisseaux australiens, le Séquoia géant américain (Taxodiaceae) ou plus près de nous, les pins comme les pins d'Alep (Pinus halepensis) relâchent leurs graines sous l’effet de la chaleur du feu ou même sous les flammes. Leur germination est ensuite favorisée par l’absence de compétiteur sur un sol enrichi par la cendre.
Un allié du développement humain
Les humains ont tiré profit du feu pour maîtriser leur environnement. Au Burkina Faso notamment, le feu a été un allié traditionnel des éleveurs des savanes à herbes pérennes pour éliminer les tiques des herbes et fournir de jeunes repousses riches et digestes qui attirent troupeaux et gibier. Les habitants de ces régions savent créer des zones pare-feu par des brûlis de prévention autour des villages. Ces pratiques sont généralement encadrées par des rites.
Ces usages ont été déstabilisés par l’augmentation spectaculaire des surfaces cultivées et par la mise en place d’une économie de marché, initiées pendant la période coloniale et qui se sont poursuivies ensuite. De même, en Australie, les forestiers ont interdit aux aborigènes de réaliser les brûlis qui entretenaient le bush.
Retrouver une gestion équilibrée
La prévention des incendies appelle une gestion maîtrisée des espaces, basée sur un entretien modéré et des plantations diversifiées. Un mélange de parcelles cultivées, de feuillus, des sous-bois avec des arbustes, etc., réduit le risque d’un mégafeu qui va tout enflammer. Mais cela dépend des régions considérées.
Les terres non cultivées méritent aussi une attention. Les enchevêtrements des landes bretonnes ou des maquis corses retiennent par exemple quantité d’herbes, de bois et de feuilles séchées qui sont autant de réserves de combustible. Ce milieu naturel doit être si possible laissé à sa libre évolution. Mais à proximité des habitations et des activités humaines, il exige au contraire d’être entretenu.
Pour préserver certains milieux naturels du feu, les humains en sont par ailleurs parfois bannis. Dans les Alpes maritimes, le massif forestier de l’Esterel est par exemple régulièrement interdit aux promeneurs l’été.
Favoriser les espèces des régions chaudes ?
Une solution parfois proposée est d’importer des espèces adaptées à la chaleur et au feu. Planter des végétaux méditerranéens dans le nord de la France par exemple. Or ces migrations assistées risquent au contraire d’aggraver les déséquilibres écologiques et climatiques. Globalement, ce type de végétation ne protège pas du feu, elle génère moins d’évapotranspiration, peut altérer le sol et elle est souvent très inflammable.
Si on veut maintenir les fonctionnalités écologiques, il faut juste regarder le milieu pousser. Planter pour lutter contre réchauffement via le piégeage de CO2 et la protection des sols oui, mais pas n’importe quoi n’importe où.
Romain Garrouste, biologiste et écologue, enseignant-chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle.

Feu sur les sites rituels sacrés
© IRD - Stéphan Dugast
Le Muséum participe au projet RESMaures. Des dispositifs vidéo et des capteurs bioacoustiques permettent d’observer la régénération de la faune et de la flore après les méga-incendies de 2021
© MNHN - R. GarrousteBrûler pour contrer le feu, une bonne idée ?
Le brûlage préventif, ou brûlage dirigé, consiste à mettre le feu à des parcelles pour éliminer les combustibles et créer ainsi des zones pare-feu. Cette pratique doit être maîtrisée pour circonscrire les flammes. Il faut également s’assurer qu’elle convient au milieu et n’empêche pas le retour des organismes indispensables à la bonne santé de l’écosystème concerné et donc à sa résistance au feu.
En Dordogne, les gestionnaires du Grand Site de France "Vallée de la Vézère" collaborent avec le Muséum pour étudier les conséquences éventuelles de ces brûlages préventifs sur la biodiversité.
Même si la surface brûlée à l’échelle du globe semble stagner, voire diminuer, localement, l’étendue de ces feux extrêmes augmente et a même doublé en 20 ans. Les mégafeux représentent 3 % des incendies, mais ils sont responsables de 50 % des surfaces brûlées.
© NASA's Scientific Visualization StudioRemerciements
Dossier rédigé en juin 2024. Remerciements à Anne Fournier, ethnologue et écologue attachée honoraire du Muséum national d’Histoire naturelle, Romain Garrouste, biologiste, enseignant-chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle, Philippe Grandcolas, biologiste de l’évolution et écologue au Muséum national d’Histoire naturelle et Brian Padilla, écologue, coordinateur de la cellule recherche expertise "biodiversité et processus d’artificialisation" au Muséum national d’Histoire naturelle.
Références
Fournier A., Yameogo U., "Pourquoi et comment utiliser le feu comme outil de gestion en savane", In : Triplet P. (ed.), Diouf A. (préf.). Manuel de gestion des aires protégées d'Afrique francophone. Paris, Awely, p. 509-514, 2009
Garrouste R., The Conversation, "Une nouvelle espèce exotique envahissante dans une réserve naturelle du Var : le réduve américain", 12 septembre 2023
Garrouste R., The Conversation, "Images de science : la vie reprend, un an après le feu dans le massif des Maures", 13 septembre 2022
Grandcolas P., Justine J.-L., The Conversation, "Fact check : pas 500 millions mais un million de milliards d’animaux morts en Australie", 10 janvier 2020
Michalet R., Carcaillet C., Delerue F., Domec J-C. & Lenoir J. CNRS écologie & environnement, "Migration assistée des espèces ligneuses et emballement climatique ?", 20 décembre 2023 (résumé de la publication in Oikos, "Assisted migration in a warmer and drier climate: less climate buffering capacity, less facilitation and more fires at temperate latitudes?" , 19 décembre 2023)
Observatoire des forêts françaises, Les incendies de forêt et de végétation : un risque pas si naturel qui s'amplifie, 2023

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