Recherche scientifique

1,5 million d’années aurait suffi pour former les précurseurs des planètes telluriques dans le disque d’accrétion solaire

Une équipe franco-américaine regroupant des chercheurs du CRPG (CNRS/Université de Lorraine) de Nancy,  de l'IPG de Paris (CNRS/PAris Diderot/Sorbonne Paris Cité), du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris et de l'Université de Californie à Los Angeles, vient de montrer que la production des précurseurs solides des planètes telluriques aurait cessé 1,5 million d'années seulement après le début de la formation du système solaire. La découverte de cette date très particulière montre que beaucoup reste à apprendre sur les propriétés et l'évolution du disque protoplanétaire à partir duquel la Terre et les autres planètes telluriques du système solaire se sont formées. Cette étude est publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Avec la découverte d’un nombre croissant d’exoplanètes ayant des caractéristiques orbitales très variables, la compréhension des différentes étapes de formation de la Terre devient essentielle. S’il semble acquis que la Terre se serait formée en moins d'une centaine de millions d’années par collisions entre des embryons planétaires, les premières étapes ayant donné naissance aux premiers petits planétésimaux et aux embryons, restent dans le flou. Seules certaines météorites primitives, les chondrites, permettent de remonter aux premiers millions d’années de l’histoire du système solaire. La nature minéralogique ainsi que les compositions chimiques et isotopiques des composants de ces chondrites démontrent qu'ils se sont formés à partir du gaz et des poussières, constituant le disque d'accrétion qui nourrit le soleil en formation et dans lequel les planètes apparaissent. L'observation des étoiles jeunes analogues au soleil montre que la durée de vie moyenne de ces disques d'accrétion, ou disques protoplanétaires, est de l'ordre de 5 à 10 millions d’années.

Certaines chondrites primitives sont majoritairement constituées de chondres qui sont des billes silicatées, partiellement vitreuses, et de taille variant entre le dixième de millimètre et le centimètre. Les chondres sont compris comme étant le résultat de la fusion éclair et du refroidissement rapide dans le gaz du disque de grains de poussières précurseurs, de taille nanométrique à micrométrique. Cependant, l'origine de ces précurseurs, la nature des processus de chauffage éclair, les conditions physico-chimiques et la chronologie de formation restent en grande partie énigmatiques. La formation des chondres est une étape clef de la formation planétaire puisqu'ils sont les témoins du passage du matériau primordial du disque (gaz et grains nanométriques) aux premiers solides millimétriques. Certains modèles prédisent que, sans l’apparition des chondres, la formation planétaire n’aurait pas pu débuter.

Un paramètre clef dans la compréhension de l'origine des chondres est l'âge de leurs précurseurs solides et celui des processus de fusion éclair, synchrones ou pas avec la formation des précurseurs. Ces deux âges peuvent maintenant être déterminés sur le même objet à partir de mesures fines des excès radiogéniques de l'isotope de masse 26 du Mg (26Mg) produits par la désintégration radioactive de l'isotope à courte période (demi-vie de 0,73 millions d'années) de masse 26 de l'aluminium (26Al). Grâce au couplage inédit de deux techniques de spectrométrie de masse, l'analyse par sonde ionique à haute résolution et multi-collection pour les mesures à l'échelle du micromètre (au CRPG de Nancy) et la spectrométrie de masse à source plasma et multi-collection pour les mesures à l'échelle de milligramme (à l'IPG de Paris et à l'Université de Californie à Los Angelès), Luu et ses collaborateurs ont pu déterminer pour la première fois les âges des précurseurs et les âges de fusion pour une quinzaine de chondres de la météorite Allende.

Alors que les âges de fusion se répartissent entre ≈1,5 et ≈3 millions d'années après le début de la formation du système solaire, ceux de leurs précurseurs sont plus anciens, entre 0 et ≈1,5 millions d'années. Les précurseurs des chondres se sont donc formés dès les tout débuts du système solaire, en même temps que les solides réfractaires présents dans les chondrites et considérés comme étant les premiers solides se condensant à partir du gaz à très haute température (entre 2000 et 1600 K). L'arrêt de leur production 1,5 millions d'années indique quelque chose de fondamental sur la physique du disque d'accrétion. Cela pourrait résulter d'une chute de température dans les zones internes du disque (en dessous de ≈1200K) supprimant la possibilité de condensation des silicates de type olivine. Cela pourrait aussi être lié à un changement fondamental de sa structure spatiale car une autre théorie considère que les précurseurs des chondres pourraient être la poussière produite par des collisions entre des planétésimaux formés très tôt dans le disque. Cette date de 1,5 million d'années correspondrait alors à la dissipation de ces planétésimaux de première génération.

Il semble en tout cas acquis qu'une des étapes essentielles de la formation des planètes terrestres ait pris fin seulement 1,5 million d'années après l'effondrement du nuage moléculaire parent du système solaire, c'est à dire il y a 4 565 millions d'années. Les grandes lignes des compositions chimiques des planètes étaient alors déjà en partie établies.

A. Structure interne de chondres typiques

© Luu et al. 2015

B. Structure interne de chondres typiques

© Luu et al. 2015

Référence

Short time interval for condensation of high-temperature silicates in the solar accretion disk, Tu-Han Luua,b,1, Edward D. Youngc, Matthieu Gounelled,e, and Marc Chaussidonb. PNAS. Janvier 2015 : www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1414025112
a. Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) (CNRS/Université de Lorraine)
b. Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), (CNRS/ Paris Diderot/Sorbonne Paris Cité)
c. Department of Earth, Planetary, and Space Sciences, University of California
d. Institut de Minéralogie et de Physique des Matériaux et de Cosmochimie, (CNRS/UPMC/IRD/MNHN)
e. Institut Universitaire de France, Paris