Recherche scientifique

Un nouveau critère chimique d’identification des fossiles de bactéries magnétotactiques

Des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP/CNRS/Paris Diderot), de l’Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (IMPMC, CNRS/UPMC/IRD/MNHN), et de la société Nanobactérie ont découvert un marqueur spécifique des magnétites synthétisées par les bactéries magnétotactiques au sein de leur cellule, reposant sur leurs teneurs en éléments chimiques présents à l’état de traces. Ces travaux ont été publiés dans la revue PNAS.

La biominéralisation désigne la fabrication de minéraux par les organismes vivants. Les bactéries magnétotactiques (MTB) sont des bactéries capables de synthétiser des cristaux nanométriques de magnétite de façon génétiquement contrôlée. Ces cristaux sont formés au sein de la cellule, dans des organites appelés magnétosomes. Lorsque les bactéries meurent, la magnétite se dépose et peut être enfouie et fossilisée dans les sédiments. Ces bactéries ont été proposées comme représentant l’une des plus anciennes formes de biominéralisation.

L’identification de tels fossiles apporterait une contribution essentielle à la connaissance de l’origine et de l’évolution de la biominéralisation au cours des temps géologiques. Or, en dehors de ces bactéries, plusieurs autres voies naturelles de formation de la magnétite existent : soit par d’autres bactéries à l’extérieur des cellules, soit par précipitation abiotique, c’est-à-dire sans intervention directe du vivant. Comment différencier toutes ces magnétites ou leurs produits de transformation dans des sédiments d’âges variés ? Telle est la question  à laquelle se sont attaqués les auteurs de l’article.

La magnétite produite au sein de vésicules dans les bactéries magnétotactiques n’est pas en contact direct avec le milieu aqueux extérieur riche en ions. Il a donc été proposé depuis longtemps que cette magnétite d’origine bactérienne devait posséder une composition très pure, reflétant le rôle de filtre chimique des frontières cellulaires pour la plupart des ions lourds. Mais cela n’avait jamais été évalué de manière précise ni systématique. Dans cette étude, les auteurs ont comparé la teneur de 34 éléments traces dans la magnétite produite par des bactéries magnétotactiques, et dans la magnétite synthétisée par des processus chimiques abiotiques. Chaque type de magnétite présente des caractéristiques chimiques bien distinctes, si bien qu’il est possible de définir des biosignatures de la magnétite intracellulaire bactérienne.

La mesure des éléments traces est très difficile, car elle nécessite de débarrasser complètement les magnétites intracellulaires de leur entourage organique et des ions adsorbés à leur surface, sans affecter les nanocristaux eux-mêmes. De plus, des quantités relativement importantes de magnétosomes sont nécessaires pour obtenir des analyses précises. Pour en disposer, les chercheurs ont fait appel à la société Nanobactérie habituée à produire, pour ses propres applications, des magnétosomes en masse en conditions très contrôlées. Ces avancées ont permis, pour la première fois, de montrer que la pureté chimique des magnétites de MTB est certes très bonne, mais imparfaite. La totalité des éléments traces y sont présents à des concentrations comprises entre 0,0001 et 0,001 % de la masse de magnétite. Même si l’incorporation des éléments traces est cent fois plus faible dans les magnétites bactériennes qu’en conditions abiotiques, certains éléments comme le molybdène et l’étain y sont plus concentrés, suggérant un contrôle biologique de leur transfert depuis le milieu extérieur. Ces éléments peuvent être un marqueur pour l’identification des fossiles de bactéries magnétotactiques, et ouvrent de nouvelles perspectives d’étude du métabolisme de ces microorganismes.

Ces découvertes ont d’importantes implications pour déterminer l’origine des cristaux de magnétite présents dans des sédiments terrestres pouvant être âgés de plusieurs milliards d’années, ou dans des échantillons d’origine extraterrestre. De tels cristaux ont été observés dans la météorite martienne ALH84001. Certains d’entre eux possèdent une faible teneur en éléments mineurs et traces, et ont donc été proposés comme fossiles de bactéries magnétotactiques ayant évolué sur Mars. L’application des résultats de cette étude devrait permettre de vérifier, ou plus vraisemblablement d’infirmer cette hypothèse.

Observation en microscopie électronique en transmission de la bactérie magnétotactique Magnetospirillum magneticum souche AMB-1 (A et B), d'une chaine de magnétosomes extraite d'AMB-1 (C), des magnétites bactériennes extraites et purifiées (D), et de deux magnétites bactériennes purifiées (E) ou non (F) observées en haute résolution. Les flèches sur les observations C et F marquent l'entourage organique des magnétites produites par AMB-1." photos (A,B,C,D) - Les photographies A, B, C et D ont été prises par Matthieu AMOR. Les photographies E et F ont été réalisées par Nicolas MENGUY.

© M. Amor / N. Menguy / PNAS 2015

Référence

Chemical signature of magnetotactic bacteria. Matthieu Amora,b,1, Vincent Busignya, Mickaël Durand-Dubiefc, Mickaël Tharauda, Georges Ona-Nguemab, Alexandre Gélaberta, Edouard Alphandéryb,c, Nicolas Menguyb, Marc F. Benedettia, Imène Chebbic, and François Guyotb - PNAS 112(6), doi: 10.1073/pnas.1414112112.
a. Institut de Physique du Globe de Paris, (CNRS/Paris Diderot/Sorbonn e Paris Cité)
b. Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie, (CNRS/UPMC/IRD/MNHN/Sorbonne Universités)
c. Nanobactérie SARL, Paris