« Nature et santé sont intimement liées »

En 1994, l’ouverture de la Grande Galerie de l’Évolution restaurée offrait un espace inédit dédié à l’évolution, la biodiversité et les relations Homme-environnement. 30 ans après, quelles sont désormais notre vision de notre planète et nos connaissances de sa biodiversité ? 
Des chercheurs du Muséum font le point.

Coralie Martin, chercheuse en parasitologie et professeure du Muséum national d'Histoire naturelle, revient sur les mécanismes favorisant les zoonoses.

Quel est votre cadre de recherche et quel est son lien avec les zoonoses ?

Coralie Martin © MNHN - J.-C. Domenech

Coralie Martin, chercheuse en parasitologie et professeure du Muséum national d'Histoire naturelle

© MNHN - J.-C. Domenech

Au Muséum, nous travaillons à la fois sur la biodiversité et l’évolution des parasites et sur l’analyse fonctionnelle des interactions hôte-parasite. Ces deux approches complémentaires nous aident à mieux connaître le parasite dans son environnement et à comprendre de quelle façon un hôte se défend contre un parasite ou, au contraire, comment un parasite parvient à se développer dans son hôte.

Depuis quelques années, les scientifiques, et peu à peu la société, prennent conscience que nature et santé sont intimement liées. Nos travaux confirment ainsi l’impact de notre gestion des espaces et des espèces sauvages ou domestiques, et les risques liés.

Les zoonoses en sont un exemple. Une zoonose est une maladie infectieuse passée de l’animal à l’humain. Elle peut être due aussi bien à des virus, à des bactéries ou à des parasites. J’étudie notamment des vers parasites que l’on trouve chez le bétail, le chien et l’humain et nos observations attestent que la domestication est l’un des mécanismes contribuant à communiquer une maladie animale à l’être humain. Mais les facteurs favorisant cette transmission sont nombreux et variés, et nous ne les connaissons probablement pas tous. Ils sont à la fois environnementaux et dépendants du fonctionnement du système immunitaire humain qui va aider ou non à contenir la maladie. Mais une chose est sûre, les activités humaines génèrent une grande partie des conditions propices à l’émergence des zoonoses, car elles perturbent l’environnement avec des conséquences sur la santé des végétaux, des animaux et, en fin de compte, celle des humains.

Comment les zoonoses se transmettent-elles de l’animal à l’humain ?

La transmission se fait par contact direct avec la peau ou par l’eau, l’air que nous inhalons, des aérosols… ou par des vecteurs tels que des tiques ou moustiques. Par l'alimentation aussi, en consommant un animal porteur. En général, la propagation du virus, de la bactérie ou du vers pathogène passe par un animal sauvage dont le rapprochement avec les humains ou les élevages a été favorisé. Par exemple, on observe une contamination humaine par l’Anisakis, un ver parasite fréquent chez les poissons sauvages, mais aussi présent dans les saumons élevés en mer. Surtout au Japon, après absorption de préparations au poisson cru comme les sushis et les sashimis.

En quoi la dégradation de la biodiversité favorise-t-elle l’émergence des zoonoses ?

La déforestation, la fragmentation des espaces naturels et la densification des habitats humains bouleversent les équilibres des espèces et augmentent les contacts entre les humains et les agents pathogènes (qui provoquent une maladie) ou les animaux porteurs. De plus, la baisse de la biodiversité animale peut accroître la virulence et la transmissibilité des pathogènes.

Prenons l’exemple de la maladie de Lyme, transmise par des tiques porteuses de la bactérie Borrelia. De nombreux animaux peuvent potentiellement être réservoir, c’est-à-dire héberger ces tiques. Mais la virulence du virus qu’ils transportent sera plus ou moins importante et tous ne seront pas de bons transmetteurs vers l’humain. Panacher la biodiversité abaisse donc le risque de n’avoir qu’une seule population qui soit à la fois vectrice de Borrelia avec une virulence et une transmissibilité forte. Or aujourd’hui, dans de nombreuses forêts, la diversité animale décroît. Ainsi, en France, la population de Cervidés augmente faute de prédateurs. Comme les cerfs sont très infestés de tiques, que les habitations et activités humaines se rapprochent des lisières des bois, les contacts entre les humains et les cerfs deviennent plus fréquents et facilitent la contamination humaine.

Le réchauffement climatique influe également. En France, les phases affichant des températures supérieures à 20 °C durent de plus en plus longtemps. Les arthropodes hématophages (moustiques, tiques, etc. qui se nourrissent de sang) en sont les grands bénéficiaires, car cela étend leur période de reproduction ; ils sont actifs et piquent plus longtemps. En conséquence, les moustiques tigres — porteurs des virus de la dengue, du chikungunya, du Zika —, apparus dans le sud-est de la France il y a 20 ans, sont aujourd’hui présents sur l’ensemble du territoire et des cas de dengue endémique (c’est-à-dire récurrente sur le territoire) sont répertoriés en France depuis 2 ans.

L’intensité et la vitesse des déplacements et des échanges commerciaux, désormais très rapides, incroyablement nombreux, à travers toute la planète, favorisent aussi la circulation des espèces potentiellement contaminantes. On l’a vu avec la Covid ! Moins d’un mois s’est écoulé entre le premier signalement et le moment où le virus était partout.

Les conditions d’élevage facilitent par ailleurs la propagation virale, qui peut ensuite se transmettre à l’humain. Comme les animaux sont extrêmement sélectionnés pour obtenir les espèces les plus rentables, confinés à l’intérieur et médicamentés, ils ne peuvent pas développer une immunité très large, faute de brassage génétique et de contact avec des pathogènes contre lesquels leur organisme pourrait apprendre à se défendre. Il en résulte des individus tous identiques et très faibles. Et lorsqu’une bactérie, un parasite, un virus pénètre une exploitation, la maladie peut se propager très rapidement, d’autant plus si les bêtes sont nombreuses. C’est ce qui s’est passé avec la grippe aviaire qui a explosé dans les élevages de poules et de canards où les animaux étaient très concentrés.

Le développement de l’antibiorésistance pose également problème. Au fil du temps, les bactéries visées par les antibiotiques ont développé une résistance à ces molécules. Le recours massif et systématique à ces médicaments les a rendus inopérants, chez les humains, comme chez les animaux de rente. Or, l’élevage intensif entraîne un effet boule de neige : pour maintenir dans un bon état sanitaire ces populations très denses et affaiblies, elles sont traitées aux antibiotiques, et aussi par des anti-infectieux et des anthelminthiques (vermifuge), qui finissent par abaisser leur immunité. En outre, ces produits restent actifs dans l’environnement où ils affectent les petits organismes essentiels à l’équilibre biologique des milieux, contribuant là encore à fragiliser la biodiversité.

Mais les zoonoses sont-elles plus nombreuses ?

Il y a toujours eu des épidémies d’origine animale. Ce fut le cas avec la tuberculose ou la peste. Certaines maladies d’origine animale persistent également. Ebola, qui a provoqué plusieurs épidémies en Afrique de l’Ouest depuis 2014, continue de causer des centaines de morts chaque année en Afrique. Les épidémiologistes surveillent actuellement la progression du virus responsable de la maladie Crimée-Congo, transmis par des tiques. Il est hémorragique, dangereux, car sous sa forme grave, la maladie est mortelle dans 5 à 30 % des cas. Le virus a été détecté pour la première fois en France en 2023, plus précisément sur une centaine de tiques collectées dans des élevages bovins du sud du pays. En octobre 2023, aucun cas autochtone n’avait encore été détecté chez l’humain en France. En Espagne, une douzaine de cas humains ont été rapportés depuis 2016, au rythme d’un à trois cas par an dont quelques cas de mortalité, mais il s’agit de cas isolés et nous sommes encore loin d’une possible épidémie.

Il y a toujours des virus et des bactéries qui émergent avec plus ou moins de succès ; cela ne débouche pas forcément sur des épidémies. Nous devons cependant nous inquiéter de la multiplication des facteurs favorisant les transmissions humain-animal. Ils augmentent indéniablement les risques.

Quelles actions de prévention pouvons-nous mettre en place ?

La prise de conscience actuelle est un premier pas. Il y a une dizaine d’années, ces problématiques, pourtant déjà documentées, étaient globalement ignorées. Au début des années 2000, l’émergence des premières formes de SRAS, d’Ebola, du Sida a toutefois conduit à l’initiative One Health (une seule santé) portée par les agences des Nations Unies pour la santé humaine, la santé animale et l’alimentation (OMS, OIE, FAO). L’objectif de ce programme est d’attirer l’attention sur le fait que la santé des humains, celles des autres animaux et des écosystèmes sont étroitement liés, et que la lutte contre les maladies infectieuses réclame une approche intégrée de tous les facteurs. Il en résulte une meilleure coopération entre les disciplines scientifiques et davantage de soutien politique et financier pour les projets de recherche.

L’intérêt d’avoir des instituts comme le Muséum est de continuer à apporter des connaissances sur les problématiques de biodiversité. Ces connaissances donnent les outils et les arguments pour réfléchir à des solutions alternatives, en particulier en faveur d’élevages raisonnés et du maintien d’une pluralité dans les méthodes de production : préserver la diversité animale, garder des échelles rentables, mais pas surdimensionnées. Il existe probablement de multiples solutions, locales, à construire en fonction des moyens et des cultures alimentaires, car il est impératif que le consommateur joue le jeu. C’est pourquoi le Muséum a également pour mission de sensibiliser le public. Le lien entre santé et biodiversité n’est pas si facile à appréhender. Notre rôle est d’en parler, d’expliquer sans relâche que tout est connecté.
Mais l’échelle est aussi collective et internationale. Revoir nos politiques d’élevage et de cultures agricoles relève de choix politiques et réclame des soutiens financiers. Cela implique de reconsidérer nos priorités économiques et les mécanismes d’échanges internationaux qui entretiennent des cycles dévastateurs pour la biodiversité. Mais sommes-nous prêts à lever le pied ?

Interview réalisée en mai 2024

Entretien avec

Coralie Martin, professeure de parasitologie du Muséum dans l'unité Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes (UMR 7245)

Coralie Martin

Professeure de parasitologie du Muséum dans l'unité Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes (UMR 7245) 

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