Migrations au Néolithique : une reconstitution grâce à l’étude de l’ADN ancien

En étudiant l’ADN présent sur des restes fossiles, les paléogénéticiens lèvent le voile sur les mouvements, les métissages ou encore les modes de vie des populations passées. 

Étudier l’ADN ancien

Les défis de la paléogénétique 

La paléogénétique est une discipline scientifique qui porte sur l’étude génétique des organismes et des populations du passé. Elle naît dans les années 1980 au musée d’histoire naturelle du Cap (South African Museum). Grâce à l’analyse génétique d’une peau de couagga conservée depuis plus d’un siècle, les scientifiques ont pu démontrer la préservation du matériel génétique de cet équidé disparu depuis la fin du XIXe siècle.

Couagga (Equus quagga)

© MNHN - L. Bessol

Cependant, ces études dépendent de la conservation de restes biologiques qui sont souvent rares, en particulier pour les plus petites espèces. 

Au fil du temps, l’ADN se décompose naturellement en fragments de plus en plus courts et sa séquence s’altère. Mais imaginez des restes fossiles enfouis dans le sol depuis plusieurs milliers d’années !

Ces restes sont en contact avec d’autres espèces : leur matériel génétique se mêle à celui des bactéries, des champignons, des végétaux et des humains qui les ont éventuellement manipulés. Alors comment l’ADN ancien peut-il être préservé ? 

Des conditions favorables

La préservation de l’ADN dépend de plusieurs facteurs. L’activité microbienne en est un, mais il y a aussi la température et l’humidité. 

Les restes fossiles qui sont conservés dans des milieux chauds et humides comme les zones tropicales ont bien du mal à garder toute trace d’ADN au-delà de quelques centaines ou milliers d’années. 

En revanche, les milieux secs et froids favorisent la préservation de l’ADN sur du plus long terme. 

L’extraction d’ADN ancien : une délicate opération

Pour extraire l’ADN contenu dans les ossements, les chercheurs et les chercheuses prennent énormément de précautions pour éviter les contaminations. Ils mènent leurs analyses dans un laboratoire spécial, une salle blanche sous pression, exposée aux rayons ultraviolets pour casser l’ADN qu’ils transportent. 

Bout d'os analysé en laboratoire

L'analyse d'un reste fossile en laboratoire

© MNHN - A. Iatzoura

Une discipline qui évolue

Une fois toutes les conditions réunies, ils peuvent prélever l’ADN en fraisant un bout d’os. Le tout est mis dans un tube, purifié et envoyé dans un séquenceur. Les scientifiques font ensuite le tri entre l’ADN du fossile qu’ils étudient et celui des espèces avec lesquelles il a été en contact à l’aide de la bioinformatique. 

Aujourd’hui, les nouvelles méthodes d’extraction rendent possible l’analyse de fragments d’ADN très dégradés et des technologies innovantes de séquençage permettent d’obtenir des génomes anciens complets. Ces avancées contribuent à en savoir plus sur les populations passées !

Un éclairage sur des migrations au Néolithique

Les progrès de la paléogénétique ont radicalement transformé nos connaissances sur les mouvements de populations dans le passé. Elles apportent notamment de précieuses informations sur les phénomènes démographiques qui ont accompagné la diffusion du Néolithique depuis le Croissant fertile.

Carte représentant le Croissant fertile

Le Croissant fertile est un espace géographique qui s’étend du Proche au Moyen-Orient. Cette bande de terres cultivables irriguée par le Jourdain, le Tigre, l’Euphrate et le Nil doit son nom à la forme particulière qu’elle prend : une forme de croissant !

© Sémhur / Wikimedia Commons / CC-BY-SA-2.5-2.0-1.0/CC-BY-SA-3.0 / GDFL

La révolution Néolithique 

Au Mésolithique, l’humain est encore chasseur-cueilleur. Puis arrive la révolution Néolithique. 

Pendant cette période, il se sédentarise. Il domestique des animaux, cultive du blé, de l’orge, des légumes… Devenu éleveur et agriculteur, il sème, moissonne, défriche et se nourrit de sa production. Un certain nombre d’innovations voient également le jour, comme le développement de nouveaux outils.  

Ces transformations apparaissent dans plusieurs foyers, dont le Croissant fertile, aux environs de 9 000 ans avant J.-C. Elles se diffusent ensuite sur une grande partie de la Terre. 

Mais une question subsiste : celle de la transition d’un mode de vie reposant sur la chasse et la cueillette à un mode de vie basé sur l’élevage et l’agriculture. La population agricole a-t-elle remplacé les chasseurs-cueilleurs ? Qui sont ces premiers agriculteurs ? 

Les premiers agriculteurs du Proche et Moyen-Orient 

En séquençant le génome d’individus qui ont eu des modes de vie différents, les scientifiques ont pu mettre à l’épreuve l’hypothèse du remplacement de populations. 

L’analyse de l’ADN encore présent dans les dents et les ossements de ces premiers néolithiques révèle que les agriculteurs anatoliens et iraniens sont génétiquement proches des derniers chasseurs-cueilleurs locaux. Les paléogénéticiens ont alors constaté que le mode de vie néolithique s’est répandu du Proche-Orient vers l’Anatolie centrale et le plateau iranien sans remplacement de population. Autrement dit, les pratiques agricoles ont circulé entre des populations différentes.

L’expansion du mode de vie néolithique dans le sud du Caucase

Le sud du Caucase est une région proche de l’Anatolie. Elle englobe actuellement la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la région du Kars, en Turquie. Une récente étude menée par Céline Bon et Perle Guarino-Vignon, chercheuses au laboratoire Éco-Anthropologie (MNHN / CNRS), nous révèle les conditions dans lesquelles le mode de vie néolithique est apparu dans cette région. 

Il s’est avéré que les premiers agriculteurs du sud du Caucase, apparentés aux chasseurs-cueilleurs présents dans les montagnes, partageaient aussi leur patrimoine génétique avec les premiers agriculteurs mésopotamiens et anatoliens depuis plusieurs générations. 

L’apparition du Néolithique en Europe

Génétiquement, les premiers agriculteurs européens sont proches de ceux de l’Anatolie : de génération en génération, les fermiers anatoliens ont progressé de plus en plus profondément dans la “péninsule” européenne et ont transmis leurs pratiques – et leurs gènes.

À ce moment-là, des chasseurs-cueilleurs mésolithiques occupent déjà le territoire. On retrouve d’ailleurs une portion non négligeable de leurs gènes dans le génome des agriculteurs-éleveurs des générations suivantes. Autrement dit, il y a eu métissage entre les chasseurs-cueilleurs européens et les agriculteurs migrant depuis l’Anatolie. Un phénomène qui s’est déroulé dans différentes régions d’Europe durant des millénaires jusqu’à la fin du Néolithique.

C’est aussi à la fin du Néolithique que les agriculteurs-éleveurs européens se métissent avec des éleveurs originaires de la steppe pontique. C’est un phénomène que l’on voit d’abord apparaître dans le génome des Européens du Nord puis, au cours de l’âge du bronze et de l’âge du fer, dans celui des Européens du pourtour méditerranéen. Environ la moitié du génome des Européens de cette période provient des éleveurs de la steppe pontique.

Des pratiques sociales révélées

Les populations européennes de l’âge du bronze descendent principalement de femmes locales et d’hommes des steppes pontiques. Ce qui pourrait s’expliquer de plusieurs manières : 

•    un conflit a éclaté et les femmes locales en auraient payé les conséquences ;
•    les hommes des steppes pontiques auraient eu un statut social particulier qui les auraient conduit à avoir plus d’enfants. Ils auraient pu léguer ce statut à leurs fils.

Lorsqu’un enfant hérite d’un statut social par son père, on parle de patrilinéarité, et lorsqu’il le tient de sa mère, de matrilinéarité. L’étude de l’ADN ancien pose ainsi la question du statut des individus au sein d’une population et de l’organisation sociale de ces sociétés.

Les populations des steppes ne se sont pas cantonnées à l’Europe de l’Ouest. Elles sont aussi allées dans le Caucase et en Asie. Il est difficile de connaître les raisons de cette expansion, mais il semble qu’elle se soit accompagnée d’une large diffusion de leur culture.

Ainsi, qui nous sommes, ce que nous mangeons, la langue que nous parlons, les histoires que nous contons sont issus de l’étroit enchevêtrement de différents peuples ayant migré et s’étant métissés au cours du temps. 

Céline Bon, paléogénéticienne au Muséum national d’Histoire naturelle.

Source : Jean-Denis Vigne et Bruno David (dir.), La Terre, le vivant, les humains, Paris, La découverte, 2022

Article rédigé en juin 2023. Remerciements à Céline Bon, paléogénéticienne au Muséum national d’Histoire naturelle pour sa relecture et sa contribution. 

    Exposition Migrations : une odyssée humaine
    Quoi de neuf au muséum ?
    Retrouvez nos actualités et nos dossiers thématiques pour mieux comprendre l'humain et la nature.