Les oasis, des bulles artificielles dans le désert
Loin du cliché d’un don de la nature faisant surgir la verdure au milieu du désert, l’oasis est une construction humaine, combinant des habitations sédentaires et une agriculture irriguée. Ces enclaves rendues fertiles en terres arides sont à la base d’organisations agricoles, économiques et sociales parfois florissantes, mais reposant sur des ressources fragiles, notamment l’eau, qu’elles peuvent contribuer à épuiser.
Un travail considérable et l’eau sont à l’origine des oasis. Ce modèle d'agroécosystème irrigué, probablement né autour du Golfe Persique, résulte de l’ingéniosité de communautés humaines ayant su transformer leur environnement pour y développer des systèmes socio-écologiques durables, dans les déserts les plus chauds du monde. De là, ce modèle s’est diffusé dans les régions arides de l'Arabie, l'Irak et l'Iran, et vers le Sahara et l'Asie, ancrées sur le sable, les steppes, en vallée ou en montagne.
Des palmeraies à la fertilité cultivée

Oasis de palmier dattier près de la ville de Douz en Tunisie
© Adobe Stock - Szymon BartoszLe plus souvent, les terroirs des oasis sont des palmeraies. Le palmier dattier (Phoenix dactylifera) en est le socle. Une fois ses racines irriguées, il peut vivre en plein soleil. Son feuillage fournit de l’ombre, protège du vent chaud et sec, et stabilise la température et l’hygrométrie. Sous sa canopée, différentes strates sont plantées. D’abord des fruitiers (pommiers, orangers, pruniers, pêchers, mûriers…) puis, au sol, des cultures maraîchères (tomates, gombo, corète potagère…), des céréales (blé, orge, millet… ) et du fourrage (luzerne, sorgho…) pour les animaux en stabulation.
Poules, moutons, chèvres, vaches contribuent à l’alimentation humaine et fournissent du fumier. Car même les sols sont transformés grâce au labour, l’apport de matière et d’amendements successifs. On parle d’ailleurs d’anthroposol.
Capter l'eau
Pas d’oasis sans eau. Encore faut-il aller la chercher, l’acheminer, la partager. Pour irriguer les cultures, on capte et aménage des sources, on détourne un cours d’eau, on utilise des nappes affleurantes, en aménageant les sols, en puisant ou en creusant des galeries drainantes et, aujourd’hui, on fore des puits pour tirer l’eau de nappes souterraines profondes à l’aide de pompes motorisées.
Certaines réserves aquifères sont anciennes, nées d’accumulation d’eau dans des périodes qui connaissaient des climats plus humides. Elles peuvent se renouveler, toujours faiblement, par des eaux de pluie d’un large bassin pluvial, comme dans le nord-ouest de l’Arabie, mais souvent aussi, être fossiles et non renouvelables, comme au Sahara septentrional.
D’où vient l’eau douce de notre planète ?
Une bulle de biodiversité

Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis) dans l'oasis d'Al-Bahariya, en Égypte
© Adobe Stock - SebastianSe préservant du climat désertique, les oasis composent des équilibres agroécosystémiques propres. La plupart des espèces présentes sont introduites à des fins de production. Les agriculteurs pollinisent les palmiers, plantent les arbres, sèment des céréales, nourrissent le bétail de leurs récoltes, et entretiennent les systèmes d’irrigation indispensable à l’ensemble.
Des animaux ou des plantes adventices s’invitent toutefois dans cette généreuse parenthèse environnementale. C’est le cas du renard roux — voire le renard de Rüpell —, mais aussi d’espèces d’escargots ou de lombrics, arrivées via les fumiers d’importation dans lesquels se glissent également des graines d’espèces exotiques, telles que le chénopode des murs (Chenopodiastrum murale), la folle avoine (Avena fatua), etc. Le héron garde-bœufs (Bubulcus ibis) s’installe parfois définitivement, et beaucoup d’autres oiseaux y font des pauses lors de leurs trajets migratoires, comme le flamant rose (Phoenicopterus roseus) ou le guêpier d’Europe (Merops apiaster).
Une organisation sociale oasienne
Des réserves d’eau sont potentiellement accessibles en de nombreux points désertiques, mais leur exploitation réclame un effort collectif important. C’est pourquoi les oasis naissent de la volonté de groupes humains (aidés par des investisseurs étatiques ou commerçants) qui s’y organisent en société. La palmeraie traditionnelle est entièrement divisée en jardins privés, de petite taille, hébergeant des cultures très intensives. Elle obéit à des règles sociales définies en fonction de la culture locale, des compétences et des ressources disponibles.
Des villes oasis

Lever du jour sur une oasis, toujours combinaison d’un habitat humain permanent — au premier plan la vieille cité oasienne, Shāli — et d’une zone agricole irriguée — au second plan, la palmeraie — à Siwa (Égypte), le 17 nov. 2014
© MNHN - V. BattestiAutour des oasis s’organisent donc des systèmes économiques et sociaux donnant parfois naissance à des villes entières. Médine, ville d’Arabie saoudite de plus d’un million d’habitants, s’est construite sur un réseau d’oasis. Siwa, ville plus modeste de quelque 42 000 habitants, à l’ouest de l’Égypte, grandit régulièrement, tirant les ressources maximales de ses réserves en eaux souterraines.
Villes artificielles vs villes oasis
Abu Dhabi ou Las Vegas sont souvent brandies en symbole des territoires gagnés sur le désert. Ces villes ne sont toutefois pas des oasis. Ces ensembles urbains démesurés ne forment pas de système écologique viable. Bâtis grâce aux revenus du pétrole ou des casinos, avec des matériaux importés, ils dépendent d’une agriculture extérieure, sans être véritablement adossés à une activité agricole, forestière ou pastorale.
Surexploitation et changement climatique
Si de multiples oasis de taille modeste perdurent depuis des siècles, voire des millénaires, les grandes exploitations technicistes et monovariétale ont également fleuri partout dans le monde. Dans la région de Siwa en Égypte, les forages creusés pour alimenter une palmeraie qui s’agrandit et de nouvelles oliveraies sont si nombreux que l’eau de drainage excédentaire fait monter le niveau des lacs… au point que l’oasis risque l’inondation !
Pour autant, l’une des principales menaces qui pèsent aujourd’hui sur les oasis est bien l’assèchement. Dans le Sud tunisien, des palmiers en monoculture s’alignent en rang sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares. Les forages profonds pour les irriguer ont tari toutes les sources anciennes. Car ces palmeraies géantes pompent sans compter dans des réserves qu’il faut chercher toujours plus en profondeur. Or, il faut parfois plusieurs millénaires pour recharger les nappes souterraines non fossiles.
Cette surexploitation pourrait être aggravée par les perturbations climatiques. Au Maroc, où de nombreuses oasis sont irriguées par la fonte des neiges de l’Atlas, un changement de régime des pluies réduisant la quantité de neige et de pluie menacerait leur existence.
Des environnements plus résilients ?
Les plantes et animaux qui peuplent les espaces du désert sont habitués aux conditions extrêmes, mais il n’est pas certain qu’ils se révéleront capables de résister à de nouvelles hausses des températures.
Les systèmes oasiens —les anciens et leurs variantes— formant une sorte de bulle s’avéreraient-ils des modèles utiles pour faire face aux défis climatiques à venir ? Ils sont déjà source d’inspiration pour une gestion raisonnée de l’eau, à condition de préserver le savoir-faire. Or dans de nombreux pays, les savoirs et pratiques hérités cèdent le pas, délaissés par les jeunes générations, le travail parfois confié à des saisonniers étrangers voués à repartir chez eux.
À al-‘Ulā, en Arabie saoudite, les agriculteurs de la vieille palmeraie sont expropriés au profit d’un espace de verdure « oasien » touristique. L’oasis rejoint alors une image occidentale idéalisée et trompeuse d’éden et d’une nature à la générosité intarissable.
Relecture scientifique

Vincent Battesti
Anthropologue, chargé de recherche CNRS au Muséum national d'Histoire naturelle dans l'unité d'Éco-anthropologie (UMR 7206)

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