Les Cétacés, des mammifères en danger

Les Cétacés ont été une source de matières premières diverses, abondantes et utiles au quotidien des siècles passés. Leur exploitation est attestée depuis la Préhistoire et cette chasse intensive a mené certaines espèces au bord de l’extinction.

Des espèces cibles

Avec un matériel de plus en plus performant, l’industrie de la chasse à la baleine a longtemps été la principale menace pour les espèces de Cétacés les plus grandes. Considérées comme les plus rentables, certaines de ces espèces ont été amenées au bord de l’extinction. C’est le cas de la baleine franche, du cachalot, du rorqual commun, ou encore du rorqual bleu. Aujourd’hui réglementée, la chasse industrielle n’existe plus à grande échelle mais elle a été remplacée par une chasse scientifique ou/et commerciale pratiquée par quelques pays (notamment en Islande et au Japon). Parallèlement, un droit de chasse de subsistance et ancestrale sous quotas est alloué à certaines communautés autochtones encore aujourd’hui.

Vers une chasse industrielle des grands Cétacés

Chasse à la baleine

Illustration ancienne d'une chasse à la baleine en 1856

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Déjà au Moyen-Âge, les Basques et les Gascons traquaient la baleine franche sur leurs côtes. Rapidement, les techniques ont évolué : des navires à voiles puis des voiliers trois-mâts armés d’embarcations légères permettaient de poursuivre les Cétacés en haute mer. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, on chasse au harpon traditionnel principalement les baleines franches car elles sont grosses et lentes, plus faciles à attraper, et donc plus rentables. La mise au point du canon-harpon en 1864 accompagnée de l’invention du bateau à vapeur offrent la possibilité de capturer d’autres cétacés de hautes mers, plus rapides. Au début du XXe siècle, les premiers navires-usines explorent des régions encore vierges de toute exploitation comme l’Antarctique. Ils tuent, dépècent et conditionnent la matière première directement sur le bateau-usine et en très grande quantité. C’est à cette période que la chasse industrielle est à son apogée.

Contre la pêche aux Cétacés

Panneaux dans les îles Falkland où l'on peut lire "dîtes non à la chasse aux baleines".

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La prise de conscience et le débat aujourd’hui

Face à la surexploitation des populations de Cétacés et à la demande diminuée en produits dérivés, les pays baleiniers créent en 1946 la Commission Baleinière Internationale (CBI) dont le but initial reste le développement durable de l’industrie baleinière. En 1982, un moratoire international d’interdiction de la chasse commerciale à la baleine (incluant l’ensemble des Cétacés) est voté. Cependant, au sein de ce moratoire, 2 situations d’exception sont tolérées et acceptées par la CBI : l’exception de la chasse scientifique (qui autorise la prise de Cétacés à des fins scientifiques) et l’exception de la chasse de subsistance, ancestrale, traditionnelle et culturelle avec quotas imposés et l’interdiction de commercialiser la viande.

Chaque pays est libre d’être signataire du moratoire (donc de le reconnaitre et de le respecter) ou pas. La Norvège, par exemple, a toujours refusé de le signer. Elle est ainsi souveraine dans ses eaux, tout comme le Japon, sorti de la CBI en 2018 pour pouvoir continuer sa chasse commerciale enfin assumée dans ses eaux territoriales. Signataire du moratoire, tout pays peut déclarer se situer dans l’une des 2 situations d’exception, demande qui sera validée ou non par la CBI. C’est le cas de l'Islande qui a signé le moratoire sous exception de chasse scientifique, une situation encore non conforme puisque la viande est commercialisée et exportée. L'Islande est donc au centre d’une situation politique et administrative complexe, et au centre du débat passionné sur la chasse à la baleine aujourd’hui.

La chasse de subsistance

L’exception de la chasse de subsistance est autorisée et donc pratiquée par des peuples autochtones (comme en Alaska, au Canada arctique, ou au Groenland…). Ces populations partagent de forts liens communautaires, familiaux, sociaux et culturels associés à une dépendance traditionnelle à la chasse à la baleine et aux produits qui en découlent. Cette chasse a pour unique finalité la consommation de la viande par les autochtones, puisque sa commercialisation est interdite.

La chasse aux petits Cétacés

La chasse aux petits Cétacés est encore aujourd’hui beaucoup moins connue. Elle n’est pourtant pas négligeable, même si elle n’a jamais atteint la dimension internationale de la chasse industrielle des grands cétacés. Les petits Cétacés (tels que les dauphins ou les marsouins) sont encore harponnés pour la consommation humaine, voire pour servir d’appât et constituer des engrais ou la nourriture pour volailles !

Moby Dick

Illustration pour le livre Moby Dick or the Whale par H. Melville

C0 Augustus Burnham Shute - C. H. Simonds Co

Les concurrents des pêcheurs

S’insérant dans un imaginaire collectif, les petits Cétacés sont souvent rendus responsables des malheurs des pêcheurs. Ils sont accusés d’endommager les filets et de dévorer le poisson. Les moyens utilisés pour se débarrasser de ces prédateurs concurrents mais naturels ont parfois été extrêmes : ont été utilisées des armes à feu, des explosifs voire même des bombardements aériens ! Des primes furent aussi distribuées pour encourager les pêcheurs à tuer dauphins, marsouins, bélougas ou orques… Les mentalités ont depuis évolué même si l’opposition entre pêcheurs et Cétacés existe encore quelque fois dans le débat des pêcheries. Aujourd’hui, les abattages n’ont plus lieu officiellement, et certains pêcheurs participent même au comptage et à l’identification des espèces.

Un met délicat

Il y a quelques dizaines d’années, on trouvait encore de la viande de petits Cétacés sur les marchés français ! Le marsouin a même été considéré comme un mets royal : au début du XVe siècle, un plat de marsouins rôtis fut servi au mariage d’Henry V d’Angleterre ! Cependant, depuis 1970, il est interdit en France de capturer ou de tuer un delphinidé. Toutes les espèces de Cétacés sont aujourd’hui protégées.

Les dangers actuels

Cétacés blessés, contaminés, désorientés, pris dans les filets… Bien plus que la chasse, d’autres activités humaines mettent aujourd’hui gravement en péril les dauphins et les baleines. Face à ces menaces, il est essentiel d’agir collectivement et individuellement pour la préservation des différentes espèces. À travers eux, c’est toute la biodiversité des océans qui est en jeu !

La pollution chimique

Les Cétacés sont particulièrement exposés à la pollution chimique, microplastique et toxique rejetée dans nos océans. Situés en haut de la chaîne alimentaire, ils concentrent dans leurs organismes tous les polluants accumulés le long de cette chaîne, dans les organismes qu’ils la composent et dont ils se nourrissent. Les Cétacés sont contaminés par des polluants organochlorés, des métaux lourds issus de l’industrie et de l’agriculture ainsi que des composés dérivés des HAPs (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques) produits notamment par les alumineries. Ces concentrations de polluants provoquent notamment des tumeurs ou des troubles des systèmes immunitaire et reproducteur. La consommation de la viande de Cétacés encore effective dans certains pays soulève aussi des inquiétudes pour la santé humaine : une étude toxicologique a révélé que 52 % de la viande de Cétacés disponible sur le marché japonais était impropre à la consommation !

Pollution plastique et cétacés

Un cachalot en train de manger un sac plastique

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La pollutions physique

Filets, bouteilles, sacs en plastique… les macro-déchets transportés par le vent ou les cours d’eau constituent un véritable problème pour l’environnement marin. Sur les 100 millions de tonnes de plastiques produites chaque année, environ 10 % finissent dans les mers. Très résistants à la dégradation, les plastiques s’y accumulent et s’entassent. Ils mettent en danger tous les Cétacés et particulièrement ceux qui consomment des céphalopodes, comme les baleines à bec. Ces dernières avalent les sacs plastiques qu’elles confondent avec leurs proies, ce qui obstrue leur tube digestif et entraîne leur mort.

La pollution biologique

La pollution des mers et des fleuves par les eaux d’origine domestique est une source insidieuse de maladies pour les baleines et les dauphins. Nos eaux usées drainent en effet un grand nombre de virus, de bactéries et de parasites auxquels les Cétacés sont d’autant plus sensibles que leur système immunitaire est déjà fragilisé par les polluants chimiques. Attention ! La transmission de pathogène (comme celui de la grippe par exemple) entre un humain et un Cétacé peut avoir lieu par simple contact ou via des particules en suspension. Il ne faut jamais caresser un Cétacé depuis un bateau, ni toucher un animal échoué sans formation préalable ni protections adaptées (masque, gants…).

La pollution sonore

Contrairement à l’idée reçue, le monde sous-marin n’est pas le monde du silence. En plus des sons d’origine naturelle, les activités humaines telles que le trafic maritime, les manœuvres militaires, les industries pétrolières et gazières rendent les océans chaque jour un peu plus bruyants. Les scientifiques s’interrogent sur l’impact de ces nuisances sur les baleines et les dauphins : sont-elles à l’origine de stress, de lésions du système auditif ou brouillent-elles les signaux sonores utilisés par les cétacés pour communiquer et s’orienter ? Des liens ont effectivement pu être établis entre l’emploi de certains sonars militaires et plusieurs échouages de baleines à bec. Les connaissances restent cependant insuffisantes et des programmes scientifiques sont en cours pour mieux évaluer les effets des bruits générés par l’homme.

Le trafic maritime

En plus des nuisances sonores qu’il génère, le trafic maritime et la pression touristique est à l’origine de nombreuses perturbations voire parfois de collisions. Le risque est d’autant plus grand dans les sites dits "sensibles", comme les sites de reproduction et d’alimentation. Entre 1986 et 1998, en Méditerranée, 26 % des décès de rorquals communs étaient attribués à une collision avec un navire. Conscients des problèmes, certains états réagissent : en 2004, la route des navires marchands a été déviée de plusieurs kilomètres dans la baie de Fundy au Canada afin de ne plus traverser la zone de nourrissage des baleines franches par exemple. Le dérangement des embarcations dévolues à l’observation des Cétacés peut aussi constituer une nuisance non négligeable dans certaines zones ou ce commerce d’observation "whale-watching" ou de nage commerciale est très développé. Le dérangement devient alors répétitif et des effets sur leur santé peuvent être ressentis, ce qui impacte leurs chances de survie et de reproduction.

baleine filet de pêche

Baleine dont la bouche est prise dans un filet de pêche

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Les prises accidentelles

Les effets de la pêche sont à la fois directs (par des prises accidentelles dans les filets) et indirects (au travers de la raréfaction des proies). Pris au piège, il est fréquent que les Cétacés se blessent ou meurent asphyxiés dans des filets. La législation européenne est en pleine évolution sur le sujet, et de nombreuses solutions sont désormais envisagées. Parmi elles, l'installation d'une collaboration active des pêcheurs dans le démaillage des animaux, la restriction de l’utilisation des filets maillants dérivants, ou encore la mise en place de programmes de surveillance sur les navires. Est envisagée également une période de fermeture des pêches afin de limiter le nombre de décès de Cétacés.

La dégradation des habitats

Il faut noter également que la dégradation des habitats est particulièrement critique pour les Cétacés ayant une aire de répartition limitée, comme les dauphins d’eau douce. La construction de barrages et de structures de pêcherie bloque les déplacements, et constituent des barrières qui fragmentent les populations. De plus, ils réduisent les stocks de poissons dont s’alimentent les dauphins. À la fin de l’année 2006, les scientifiques estimaient que le dauphin de Chine "Baiji" (Lipotes vexillifer) avait définitivement disparu du fleuve Yangtsé où il vivait depuis des millions d’années. La construction du monumental barrage des Trois-Gorges aurait eu raison de l’espèce.

krill d'Antarctique

Krill d'Antarctique

© B. Wilks

Le réchauffement climatique

Les changements climatiques modifient également les courants marins, perturbant ainsi le brassage des couches d’eau, essentiel au maintien de zones riches en plancton. Aux pôles, la fonte de la banquise s’accompagne d’une raréfaction des algues microscopiques dont se nourrit le krill. Plusieurs chercheurs estiment même que depuis les années 70, le réchauffement climatique pourrait être à l’origine de la diminution de 80 % de la biomasse de krill près de la péninsule antarctique. Les baleines affaiblies par cette diète forcée (puisqu’elles se nourrissent de krill), ont davantage de difficulté à se reproduire et sont condamnées à modifier leurs parcours de migration vers de nouvelles aires d’alimentation.

Il faut protéger les Cétacés

Les cétacés sont importants pour de nombreuses raisons, écologiques, scientifiques, culturelles et même purement esthétiques et c’est pourquoi une attention particulière doit être portée à leur conservation. Placés au sommet de la pyramide alimentaire, les cétacés jouent un rôle majeur dans l’équilibre écologique de l’écosystème marin.

Article rédigé en septembre 2023. Remerciements à Aude Lalis, Chercheuse en génétique à l'Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, et chargée de la Collection de Mammifères marins au Muséum national d’Histoire naturelle, pour sa relecture et sa contribution.

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