Le spectre du diamant bleu de Louis XIV

Grand absent des réserves du Muséum, le Diamant bleu de Louis XIV est un joyau dont il ne nous reste que le moulage en plomb retrouvé par Jean-Marc Fourcault et le minérologue François Farges en 2007. Le chercheur identifie aussitôt ce plomb au Grand Diamant Bleu de Louis XIV, volé à la Révolution et que la rumeur associe au Hope, le célèbre diamant bleu exposé au Smithsonian de Washington. Cette découverte va permettre d’apporter la preuve de leur parenté, car un autre diamant bleu, le Terenschenko, lui dispute cette origine royale.

Le butin de Tavernier

Jean-Baptiste Tavernier

Portrait de Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689) par Nicolas de Largillière, vers 1678 

C0 Herzog Anton Ulrich-Museum Braunschweig

En 1668, Jean-Baptiste Tavernier rentre d’un long voyage qui l’a mené en Inde dans la vallée des diamants de Golconde. Le marchand a négocié un millier de gemmes fabuleuses qu’il destine au roi. Parmi elles, un diamant exceptionnel de 115,4 carats (environ 23 gr) à la « teinte céleste » attire l’attention de Louis XIV. La légende rapporte que la pierre aurait été dérobée sur une statue de la déesse Sitâ, et que le voleur, enfermé toute la nuit dans le temple, aurait été frappé par la foudre au petit matin. En Inde, le pouvoir des diamants bleus est redouté, on suppose même que Tavernier aurait profité de la défaveur du diamant pour l’obtenir à bon prix. Mais l’homme est habile, et il sait que le bleu est avec l’or, la couleur emblématique de la monarchie française. C’est sous la supervision de Jean Pittan, marchand et joaillier alors très en vue, que commence la retaille du diamant.

Cosmogonie Bling Bling

Diamant bleu retaillé serti d’or

Diamant bleu retaillé serti d’or

© MNHN - F. Farges

Louis XIV va faire du diamant bleu un des symboles de son règne. À commencer par le soleil à 7 branches qui fait rayonner son centre. Le 7, évoque le diadème aux 7 rayons d’Hélios et le chiffre d’Apollon, sa divinité fétiche. Dans les descriptions des inventaires, François Farges découvre que le diamant était présenté sur un « bâton d’or emmaillé par derrière ». Il en déduit que l’or du serti se reflétait dans le coeur du bijou pour donner l’illusion d’un soleil au centre d’un ciel bleu. Une simulation photoréaliste basée sur la spectrométrie du diamant Hope, nous restitue cette vision. Cette mise en scène héliocentrique est aussi une affirmation du pouvoir royal face au Vatican et ses partisans à la Cour.

Le spectre du diamant bleu

Moulage en plomb et Hope

Moulage en plomb et Hope

© F. Farges - MNHN - Smithsonian institution

Après plusieurs mois d’analyses, le scan du plomb rend enfin ses secrets. Il révèle 20 facettes inconnues à l’arrière du diamant et permet de reconstituer l’aspect du joyau avant son vol. La superposition numérique du facettage du plomb et celui du « Hope », montre le travail de retaille assez grossier qui a été opéré. Les « barbares » se sont contentés de supprimer les trois pointes et de modifier l’épaisseur du bijou de quelques millimètres. Le diamant bleu du Roi-Soleil est méconnaissable. Il réapparait officiellement en 1839 dans la succession de Henri-Philippe Hope, le fils d’un banquier londonien. Au cours de son enquête, François Farges va retrouver deux documents qui laissent supposer qu’il est le commanditaire de cette retaille. Le premier est la description du « modèle en plomb d’un diamant remarquable pour sa limpidité », appartenant à « M. Hoppe de Londres » dans sa fiche archivée au catalogue d’inventaires du Muséum. La seconde est une lettre conservée au Geological Survey de Washington, signée d’un joaillier londonien réputé pour sa discrétion, qui décrit fidèlement le diamant Hope. La correspondance est datée du 19 septembre 1812, presque 20 ans jour pour jour après le pillage du Garde-Meuble. La période de prescription du vol est passée, et le joyau peut commencer sa seconde vie en toute légalité.

La malédiction du « Hope »

Si on croit la légende, le « Hope » n’aurait semé que le malheur sur son passage. Il faut dire qu’une suite d’événements dramatiques ont accablé ses propriétaires : faillite, suicide, folie, noyade, on l’accuse d’avoir ruiné deux bijoutiers new-yorkais, et du meurtre d’une danseuse des Folies Bergères. Evalyn Walsh McLean, la milliardaire américaine qui achète le diamant à Cartier en 1911, défie la malédiction pendant trente six ans au cours desquels elle perd deux enfants et un mari qui finit à l’asile. Dans les faits, la « malédiction » accuse autant les mœurs dissolues de ses propriétaires et les aléas de l’économie, que les retours vengeurs du karma. Surtout elle a épargné le principal intéressé, Tavernier, mort à 84 ans et non pas dévoré par un loup, un tigre et diverses bêtes sauvages comme on peut le lire dans certains récits.

Une Joconde américaine

Une chose est certaine, le « Hope » a porté chance au Smithsonian. Chaque année, le diamant attire 8 millions de visiteurs dans la galerie Harry Winston, le joaillier qui le cède au Muséum en 1958. Il est l’objet d’art le plus visité dans le monde ex-aequo avec Mona Lisa, une sorte de Joconde américaine, en plus expressif. Parmi les milliers de personnes qui se pressent tous les jours devant sa vitrine, peu l’ont approché suffisamment près pour découvrir son dernier secret. Il apparaît que la retaille a beaucoup assombri la pierre et qu’un spot de lumière assez bleutée, discrètement braqué sur le bijou, soit nécessaire pour le garder à la hauteur de sa réputation.

Adieu "French Blue"

The Hope Diamond Mysteries - affiche du film - 1921

The Hope Diamond Mysteries - affiche du film - 1921

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Si la matière du « Hope » appartient théoriquement à la France, il y a peu de chance qu’il nous revienne un jour, même après la découverte de 2007 qui valide son antériorité royale. Les plus imaginatifs pourront se consoler en allant admirer le plomb et les répliques officielles qui font renaître le joyau perdu dans notre Galerie de Minéralogie. Aux amateurs de pittoresque, on recommande la réédition en DVD du Hope Diamond Mystery, une série de 1921 qui raconte sa légende et ce qu’il en coûte de marauder les trésors des déesses indoues.

Ce dossier a été rédigé en 2014. Tous nos remerciements à François Farges, Professeur et ancien chargé de conservation des collections de minéralogie au Muséum national d’Histoire naturelle, pour son aide précieuse pendant l’écriture de ce dossier.

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