Le "deep-sea mining" : un danger pour l’océan profond

L’océan profond se situe entre 4 et 5 km sous la surface, dans un noir total. C’est dans cet espace que se trouve toute une biodiversité encore mal connue, mais aussi des ressources en métaux rares. Ces derniers sont convoités par des industries, notamment des entreprises souhaitant exploiter le fond de l’océan, c’est le "deep-sea mining" (exploitation minière en eaux profondes). Très vulnérable, les plaines abyssales sont au cœur de nombreuses convoitises et préoccupations.

La menace d’une industrialisation en terre inconnue

Nodules de manganèse sur les fonds océaniques

Les plaines du Pacifique central (zone Clipperton) recouvertes de nodules de manganèse

CC BY 4.0 ROV-Team, GEOMAR

Les fonds marins de l’océan profond forment de larges plaines abyssales à plusieurs kilomètres sous la surface. Du fait des difficultés d’accès, on ne connait pratiquement rien de ces immenses espaces, pourtant très riches en biodiversité.

Pourquoi ces zones intéressent les industriels ?

Aujourd’hui, nos besoins en terres rares sont plus accrus que jamais. En effet, chaque smartphone, ordinateur ou voiture électrique contient des métaux rares, comme du nickel, du cobalt ou encore du manganèse, utilisés le plus souvent pour fabriquer des batteries. Après avoir largement exploité certaines réserves à la surface du globe, les industriels se tournent désormais vers l’océan qui se présente comme le nouvel Eldorado.

En effet, ces métaux se trouvent dans les grands fonds sous forme de nodules. Sur les plaines abyssales, ces "boules" métalliques se trouvent en grand nombre, notamment dans les zones de haute mer. Ils sont très solides et les métaux recherchés représentent presque 100 % de leur masse.

Malheureusement, au lieu de se tourner vers un mode de fonctionnement durable, la société nous pousse à consommer de façon toujours plus effrénée. Les industriels sont ainsi incités à exploiter certaines zones naturelles fragiles, et jusqu’alors vierges de toute entreprise.

Schéma représentant le deep-sea mining (exploitation minière des fonds marins)

Schéma représentant le deep-sea mining (exploitation minière des fonds marins)

CC BY-SA 4.0 MNHN à partir de G. Mannaerts

Quelles méthodes seraient utilisées pour exploiter ces espaces ?

Certaines entreprises envisagent de récupérer ces nodules métalliques avec des machines qui racleraient les fonds marins. Tels de gigantesques moissonneuses-batteuses, ces engins détruiraient ainsi l’intégrité du plancher océanique et pollueraient à la surface, lors de l’exploitation de ces nodules.

Des fonds océaniques désertiques ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les grands fonds marins, qui représentent des milliers de kilomètres de plaines à grande profondeur, ne sont pas de grands espaces désertiques sans organismes vivants. Et même s’ils sont inégalement peuplés, les plaines abyssales renferment une biodiversité marine d'une richesse insoupçonnée. Des études tentent aujourd’hui de déterminer comment les espèces des grands fonds marins s’organisent pour coloniser une telle surface.

En guise d’illustration, on peut penser aux regroupements de multiples formes de vie qui peuvent exister si loin sous la surface, par exemple lorsqu’une baleine meurt et que des dizaines d’espèces s’y retrouvent pour s’alimenter. En effet, le corps de celle-ci plonge vers les profondeurs et sert de nourriture à de nombreux organismes pendant plusieurs années, formant de véritables oasis ! Mieux connaître cette biodiversité difficile d’accès permettrait une meilleure reconnaissance de son importance écologique. Elle bénéficierait ainsi d’une meilleure protection.

  • 20 %
    des fonds marins
    3 %
    des grands fonds (abyssaux)

Quels effets délétères subirait l’océan ?

Les nodules de manganèse sont l'habitat de nombreuses formes de vie

Les nodules de manganèse sont l'habitat de nombreuses formes de vie

CC BY 4.0 ROV-Team, GEOMAR

Une biodiversité malmenée 

Les effets d’une industrialisation de l’océan profond seraient catastrophiques. Comme nous avons pu le noter, ces zones et leurs écosystèmes sont encore très mal connus. Leur importance n’est plus à débattre au sein de la communauté scientifique et nous savons que beaucoup de choses s’y passent d’un point de vue biologique. Par ailleurs, les rares espèces abyssales ayant pu être étudiées se sont révélées fascinantes. C’est pourquoi, il est primordial de mieux connaitre les milieux abyssaux, avant même de songer à l’exploiter.

Des migrations d’espèces marines perturbées

Évidemment, ces exploitations ne se font pas en silence. Les engins mécaniques produisent des vibrations, tandis que les bateaux passant pour ravitailler les plateformes "offshore", récupérer les minerais ou changer les équipages en feront tout autant.

Envisager une exploitation des fonds, c’est cautionner le fait que la pollution sonore augmente encore pour tous ces organismes marins qui se repèrent grâce aux ondes acoustiques.

Guillaume Massé, océanographe

En effet, le trafic des navires (notamment marchands), dont les moteurs s’entendent au moins à 20 km, perturbe déjà fortement certaines espèces marines. Certains animaux perdent ainsi leurs repères lors de leurs migrations ou devront faire de longs détours.

Au-delà des pollutions sonores, les usines installées en pleine mer pour traiter ces roches augmentent les pollutions anthropiques : les eaux de surface seront polluées, acidifiées, réchauffées et les routes de migration de certains cétacés seront très probablement impactées.

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Du changement pour les courants

Dans ces zones relativement plates que sont les plaines abyssales, les courants sont faibles et les sédiments très fins. Une exploitation par de grosses machines viendrait mettre en suspension une bonne quantité de ces sédiments, amenés à flotter longtemps avant de pouvoir retomber. Cette remise en suspension des boues à globigérines1 modifierait ainsi l’équilibre de tout écosystème local, mais pas seulement : avec la circulation thermohaline2, les eaux situées au fond de l’océan finissent par remonter à certains endroits en surface, comme en Namibie ou au Pérou, plusieurs siècles plus tard. Avec toutes ces particules remises en suspension, les eaux seraient encore plus riches en nutriments, le phytoplancton situé dans les zones de remontées prolifèrerait. À la suite de cette forte augmentation, la densité des populations de poissons changerait, ce qui aurait un impact sur tout le milieu dans lequel ils vivent. Toucher au fond de l’eau aurait ainsi des impacts à la surface, sur le court terme comme le long terme.

Par ailleurs, ces mouvements mécaniques créeraient sans doute des turbulences au niveau des courants à plusieurs milliers de mètres sous la surface. En fonction de celles-ci, les couches d’eau plus ou moins froides seraient amenées à se mélanger, et ainsi à réchauffer le fond de l’océan.

Une libération de carbone

Les sédiments marins stockent une certaine quantité de carbone. En les "labourant", ce carbone retourne en suspension, on perturbe la biogéochimie (les bactéries) du sol. Par ailleurs, il existe dans les fonds marins des zones avec des écosystèmes qui évoluent en état d’anaérobie. L’exploitation des sols abyssaux réintroduirait ainsi de l’air dans leur milieu et serait susceptible de bouleverser les écosystèmes microbiens dans ces environnements.

Il faut absolument que nous connaissions et comprenions mieux les grands fonds marins avant qu’ils soient exploités. Il faut que nous sachions ce que peut engendrer une industrialisation de ces espaces, afin de savoir comment préserver cette biodiversité encore méconnue.

Guillaume Massé, océanographe

  • 1Nom donné aux boues chargées en sédiments calcaires, situées sur les fonds océaniques (plaines abyssales).
  • 2Courant engendré par les différences de densité (liées à la salinité et température) de l'eau dans l océan.

Vers une protection de ces espaces ?

Nodules de manganèse

Nodules de manganèse

CC BY-SA 4.0 H. Grobe/AWI

Si l’espace maritime est exploité (notamment comme source de protéines), faut-il pour autant le surexploiter ? La France se situe au cœur de ces sujets notamment du fait de la taille de sa Zone Économique Exclusive (ZEE). Après avoir appliqué un moratoire enjoignant à la protection de tous ces espaces a priori, une loi intitulée "Biodiversity Beyond National Jurisdiction" (la biodiversité au-delà des juridictions nationales) a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale fin mai 2024.

Quels sont les objectifs de ce projet de conservation ?

Cette loi a pour but de protéger l’océan profond et de réguler davantage l’exploitation en haute mer. Pour cela, elle vise à la création d’aires marines protégées dans les eaux internationales, à obliger la réalisation d’une évaluation d’impact environnemental pour toute activité dans ces zones, et à partager de façon juste et équitable les bénéfices issus de l’utilisation des océans. Elle prendra en compte la santé des écosystèmes, les routes migratoires des espaces et s’orientera vers une préservation des ressources halieutiques. Elle reconnait également que l’exploitation minière des fonds marins est une menace essentielle et majeure pour les écosystèmes marins, pouvant entraîner des dommages irréversibles pour l'océan.

Pour aller plus loin

Tribune du Muséum

Quel avenir pour l'océan et sa biodiversité ?

Venez en discuter avec des experts lors de la prochaine Tribune du Muséum le samedi 7 décembre 2024.

Remerciements

Article rédigé en juin 2024. Remerciements à Guillaume Massé (Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques), océanographe et responsable de la Station marine de Concarneau, site du Muséum national d’Histoire naturelle. 

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