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L'humain, un artiste depuis toujours ?
Les spécialistes de la préhistoire recensent de nombreuses représentations figuratives, humaines ou animales, réalisées par les hommes et les femmes préhistoriques depuis au moins 45 000 ans. Seraient-elles les premières expressions d’une démarche artistique ?
À l'aube de l'art
Peintures, dessins, gravures ou sculptures… Que se passe-t-il à partir de 45 000 ans pour que des œuvres figuratives émergent en nombre dans plusieurs régions du monde ? Et sur quels critères s’appuient les préhistoriens pour qualifier d’art ces productions préhistoriques ?
Qu'est-ce que l'art préhistorique ?
Si les premières traces graphiques laissées par les humains et retrouvées à ce jour dépassent les 100 000 ans, voire les 400 000 ans, elles s’apparentent plutôt à des réalisations géométriques. Il faut attendre l’arrivée des Homo sapiens en Europe et en Asie pour voir apparaître des représentations figuratives, puisque les spécialistes de la préhistoire attribuent les premières images d’humains ou d’animaux connus au Paléolithique supérieur (- 45 000 à -11 700 ans). La datation permet de situer les plus anciennes aux alentours de 45 000 ans.
Parce qu’elles témoignent d’une maîtrise technique et d’une pensée élaborée, et qu’elles déclenchent des émotions chez ceux qui les contemplent des milliers d’années après leur élaboration, elles sont qualifiées de premières œuvres d’art de l’humanité.
L’émotion que ces œuvres plurimillénaires suscitent chez le spectateur actuel, alors qu’il n’en comprend pas forcément le sens, dénote leur puissance artistique.
Éric Robert, préhistorien au Muséum national d'Histoire naturelle
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Une dynamique universelle
Les statuettes du Jura souabe (Allemagne) ou les peintures et les gravures de la grotte Chauvet (France) sont parmi les œuvres et sites de productions artistiques les plus anciens connus. Longtemps, ces découvertes ont conduit les chercheurs à considérer que les productions artistiques préhistoriques étaient l’œuvre d’Homo sapiens uniquement en Europe, voire précisément en Europe de l’Ouest.
Mais des recherches récentes ont mis au jour d’autres œuvres à des milliers de kilomètres, notamment en Indonésie, et le catalogue ne cesse de s’enrichir. Ainsi, la dynamique, qui paraît universelle, semble illustrer la mobilité des Homo sapiens dans le monde.
Partis d’Afrique, peut-être en plusieurs vagues, comme d’autres humains préhistoriques avant eux, ceux-ci s’établissent à la même période en Europe et en Asie où l’art apparaît ainsi de manière quasi simultanée, puis dans le reste du monde.
Une nécessité
Les multiples découvertes et les études des chercheurs confirment que Sapiens est l’auteur des œuvres de la préhistoire les plus remarquables connues à ce jour. Si ses prédécesseurs, comme Neandertal , produisent eux aussi des représentations graphiques, c’est Sapiens qui, le premier, propose des sortes de récits, de riches combinaisons d’images élaborées, sur les objets de son quotidien ou dans son environnement. Pourquoi ? Les chercheurs ne savent pas expliquer, pour le moment, ce qui pousse désormais les humains à s’exprimer au moyen d’images.
Chefs-d'œuvre de la préhistoire
Art rupestre ou pariétal, art mobilier… les œuvres recensées témoignent de la compétence gestuelle et technique des hommes et des femmes qui les réalisent. Leurs sujets sont centrés sur leur environnement, véritable source d’inspiration, et sur leur imaginaire.
Diversité des supports, variété des sujets, il n’y a pas un art de la préhistoire mais plusieurs. Les chercheurs considèrent que l’apogée est atteinte au Magdalénien (- 21 000 ans à - 14 700 ans).
L'humain, l'animal et le signe
Aux quatre coins du monde, les thèmes illustrés depuis 45 000 ans attestent de leur universalité. Où qu’ils se trouvent, les humains préhistoriques représentent la faune, leurs semblables, de façon souvent simplifiée, et toute sorte de signes géométriques.
Le bestiaire : art mobilier ou rupestre, les animaux sont majoritaires dans la production artistique préhistorique. Les artistes les choisissent dans leur environnement, comme les grands herbivores en Europe tels que le cheval, figure incontournable, mais aussi le bison. Bouquetins, mammouths et cervidés complètent la galerie de portraits, tandis qu’oiseaux et poissons s’avèrent très rares.
Nous n’avons pas, à ce jour, l’explication de ce qui motive les choix des artistes du paléolithique. En préhistoire, les "pourquoi" appellent souvent des "je ne sais pas".
Éric Robert, préhistorien au Muséum national d’Histoire naturelle
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Les humains : moins nombreuses que celles du bestiaire, les représentations d’humains montrent des femmes à une écrasante majorité. Fait remarquable, si les animaux sont très précisément illustrés, les humains sont souvent figurés de façon originale : fragmentaires, comme les nombreuses occurrences de mains et de sexes isolés, déformés, par exemple le visage étonnant de la grotte de la Marche (Vienne) ou encore mêlés à des caractères animaliers, comme l’homme-lion de Hohlenstein-Städel en Allemagne ou le sorcier de la grotte des Trois-Frères en Ariège.
Les signes : au-delà des représentations figuratives, les signes géométriques font partie du triptyque des sujets plébiscités par les artistes de la préhistoire. Si on les retrouve dans le monde entier, certains semblent limités à des zones restreintes, par exemple des signes tectiformes, en forme de toit, identifiés dans quatre grottes autour des Eyzies en Dordogne. Ils pourraient indiquer le marquage d’une identité ou d’un territoire.
Art et nature
Si la nature est omniprésente dans les œuvres d’arts préhistoriques connues à ce jour, il ne s’agit pas seulement de la reproduire plus ou moins fidèlement mais plutôt d’une source d’inspiration pour leurs auteurs. Grottes, parois en plein air… centrées sur la nature, leurs réalisations s’inscrivent aussi au cœur de celle-ci.
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Un acte réfléchi
Sujets, techniques, supports, matières premières… les artistes de la préhistoire ne laissent pas de place au hasard. Avant d’atteindre les escarpements choisis pour toile de fond ou bien de se glisser dans de sombres cavités, ils anticipent leur œuvre et préparent leur matériel.
Matières premières
Naturalistes, chasseurs, les artistes du paléolithique sont de fins observateurs du monde qui les entourent. Outre leur inspiration, ils trouvent dans leur environnement la matière première qui donnera vie à leurs œuvres.
Les animaux fournissent les bois, les os, les dents, ou l’ivoire à graver et sculpter tandis que les outils sont en poil d’animaux ou en bois mâchonné. La nature offre aussi la palette de couleur : charbon de bois ou oxyde de manganèse pour le noir, ocre et hématite pour les rouges et les jaunes…
Le brouillon manquant
Dessin, gravure ou sculpture, la qualité des productions artistiques montre que le geste de leurs auteurs est maîtrisé dès le début du Paléolithique supérieur. Comment les artistes ont-ils acquis une telle maîtrise ? Existait-il des ateliers d’apprentissage où des élèves travaillaient leurs brouillons préalables sur des écorces de bois ou à même le sol ? Les conditions de conservation n’ont pas permis de retrouver de telles traces. Les chercheurs tentent aussi de comprendre si les talents dont faisaient preuve ces peintres, sculpteurs et graveurs leur conférait une place spécifique dans le groupe. Étaient-ils considérés comme des artistes ?
Des messages pour la postérité ?
Quel sens donner à ces œuvres figuratives ? Certains spécialistes ont tenté de proposer des pistes. Produit de transes chamaniques, animaux totems d’un groupe, rituels de fécondités liés aux sexes féminins… Une théorie plus récente envisage que les humains préhistoriques aient voulu illustrer des mythes, ces récits plus ou moins universels que se transmettent les peuples.
Mais aucune de ces propositions de réponse ne colle à la réalité des découvertes archéologiques qui montrent des productions d’une extrême diversité. Chercher une explication unique n’est pas la solution : les populations étudiées partageaient visiblement un vocabulaire graphique commun, mais elles possédaient probablement une identité propre selon les époques et les territoires, voire selon la sensibilité de leurs artistes.
Quel que soient les messages, ils ne nous sont pas destinés et il faudrait connaître les codes de cette période pour les comprendre. Ils restent donc difficiles à interpréter pour les préhistoriens.
Éric Robert, préhistorien au Muséum national d'Histoire naturelle
Article rédigé en mars 2023. Remerciements à Éric Robert, préhistorien au Muséum national d'Histoire naturelle (HNHP, UMR 7194), pour sa relecture et sa contribution.
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