Existe-t-il des sociétés où la cuisine quotidienne est traditionnellement assurée par les hommes ?

D’abord, le partage des tâches tel qu’on l’entend aujourd’hui n’a pas toujours existé, et il est probable que nos ancêtres lointains vivaient dans des sociétés sans doute beaucoup moins genrées que laissent entendre les clichés que nous en avons. 

Deux cuisines distinctes

Maintenant, il apparait que dans nos sociétés modernes, en France tout comme dans la plupart des pays développés où le tourisme et la restauration commerciale jouent un rôle important, la cuisine existe sous deux formes distinctes, sexuées et hiérarchisées : la cuisine professionnelle, valorisée et rémunérée, très largement masculine, et la cuisine domestique, invisibilisée, très largement féminine. Ce que Pierre Bourdieu avait très bien formulé dans la Domination masculine (1998) :

Les mêmes tâches peuvent être nobles et difficiles quand elles sont réalisées par des hommes, ou insignifiantes et imperceptibles, faciles et futiles, quand elles sont accomplies par des femmes ; il suffit que les hommes s’emparent de tâches réputées féminines et les accomplissent hors de la sphère privée pour qu’elles se trouvent ennoblies et transfigurées.

En conséquence, les hommes cuisinent rarement au quotidien, même si l’écart tend à se réduire, sans doute justement en partie du fait de la récente revalorisation de la cuisine, notamment dans la sphère médiatique1. On notera que cette différence genrée dans l’occupation des fourneaux entre la maison et le restaurant est d’autant plus marquée que la cuisine prend une valeur de luxe et de prestige, ce qui n’est pas aussi marqué partout. Ainsi, le français qui se rendra en Géorgie par exemple, sera surpris en poussant les portes des cuisines des restaurants d’y trouver souvent des femmes. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas par hasard que l'alter ego géorgien de « notre » Georges Auguste Escoffier est une femme, Barbaré Jorjadze, auteure d’un ouvrage de référence publié en 1874 collectant et codifiant la cuisine de son époque.

Une cuisine sans femmes ?

La question se pose alors de savoir s’il existe aujourd’hui de par le monde des sociétés où ce rapport est inversé et où ce sont majoritairement les hommes qui œuvrent dans le foyer domestique… ce qui, à notre connaissance, n’existe pas ! En effet, quand les hommes cuisinent au quotidien, c’est le plus souvent lorsqu'il n'y a pas de femmes avec eux (célibat, veuvage, temps de guerre, expéditions de chasse, campements, etc.), ou alors pour réaliser certaines préparations festives qui correspondent à « l'exocuisine » chère à Lévi-Strauss, c’est-à-dire de la cuisine servie au-delà du cercle familial. Il s’agit alors le plus souvent de plats riches en viande et qui nécessitent la maitrise du feu : méchouis au Maghreb, BBQ aux USA, barbacoa au Mexique,…

On rencontre aussi des spécificités sur certains plats : ainsi, au Mexique, il peut arriver que des hommes cuisinent dans certaines circonstances (épouse malade, absente, etc.), et ils feront alors tout… sauf les tortillas, qu’ils iront systématiquement acheter à une voisine ou une parente !

Auteur

Christophe Lavelle

Christophe Lavelle

Chercheur au Muséum national d'Histoire naturelle (Structure et instabilité des génomes - UMR 7196 - U1154)

Avec l'aimable contribution de Serge Bahuchet et d'Esther Katz