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Communiqué de presse

Histoire des sciences : une classification des idées

Des chercheurs du laboratoire Systématique, adaptation, évolution (Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS/IRD/UPMC) ont étudié l’histoire de l’utilisation des arbres en systématique pour représenter la diversité du vivant afin de fournir à l’histoire des sciences des outils rigoureux de catégorisation. Ces résultats ont été publiés dans la revue scientifique PloS ONE.

En histoire des sciences, il n’est pas rare que les chercheurs classent les auteurs selon des « écoles », ou « mouvements » d’idées. Par exemple, parmi les « naturalistes », on a usage de considérer qu’il existe des « transformistes1 », et que, parmi eux, certains sont « darwiniens » et d’autres « lamarckiens ». Autre exemple : chez les systématiciens du XXe siècle, on distingue usuellement des « synthétistes2 », des « phénéticiens3 » et des « cladistes4 ». Ces catégorisations sont souvent décrites, mais jamais formalisées.

Cela n’est pas sans rappeler l’époque où, en systématique (la science des classifications), les groupes taxinomiques n’étaient pas, eux non plus, formalisés. Il y avait par exemple « les plantes » (ce qui ne bouge pas) d’un côté, « les animaux » (ce qui est animé) de l’autre, à tel point qu’on mit beaucoup de temps à mettre des limites entre le « monde animal », le « monde végétal » et celui des champignons. Or, dans la seconde moitié du XXe siècle, en comparant clairement les ressemblances anatomiques, c’est-à-dire en passant par des codages, on a pu créer des outils rigoureux et parcimonieux pour fabriquer ensuite des classes emboîtées les unes dans les autres. Ces outils formalisent les catégories : grâce à eux, nous savons exactement pourquoi les primates et les rongeurs sont dans le groupe des mammifères, et pourquoi les mammifères et les oiseaux sont dans le groupe des vertébrés.

Guillaume Lecointre et Marie Fisler, chercheurs au Muséum national d’Histoire naturelle, ont réutilisé ces méthodes pour coder les ressemblances entre les idées de différents auteurs sur l’arbre du vivant. Ils ont pour cela analysé 41 œuvres majeures de l’histoire naturelle, de Buffon à Tassy, de Lamarck à Darwin en passant par Haeckel, Teilhard de Chardin et bien d’autres… Cela a produit un arbre des arbres : une représentation hiérarchique des idées partagées sur les arbres parmi les auteurs. Cet arbre a permis de retrouver formellement des catégories déjà connues (comme les « phénéticiens » ou les « cladistes »), mais aussi de découvrir des catégories nouvelles (comme les « buffoniens » ou les « théoriciens des grades »), et même de s’apercevoir que certaines catégories (les « gradistes ») n’étaient pas homogènes mais devaient être séparées en deux écoles distinctes.

Ainsi, les auteurs, en appliquant les mêmes outils de catégorisation de la systématique aux différents « arbres du vivant » publiés, ont pu rendre la description de l’histoire des idées au cours de deux siècles et demi d’histoire naturelle plus transparente et plus précise.

Arbre des arbres : cette figure montre les degrés de partage entre auteurs au sujet de leurs idées sur l’arbre du vivant

© MNHN / M. Fisler – G. Lecointre

NOTES

1. Transformistes : naturalistes admettant l’idée que les espèces se transforment au cours du temps.

2. Synthétistes : classificateurs de la période de la synthèse évolutive, qui classaient par degrés de complexité.

3. Phénéticiens : classificateurs du XXe siècle qui classaient par degré global de ressemblance.

4. Cladistes : classificateurs du XXe siècle qui classaient, selon Darwin puis grâce aux méthodes de Hennig, par groupes monophylétiques (un groupe doit contenir un ancêtre et tous ses descendants).

Référence

Fisler M, Lecointre G. Categorizing Ideas about Trees: A Tree of Trees. PLoS ONE 8(8): e68814. doi:10.1371/journal.pone.0068814.
 

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